La chair et l'esprit - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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La chair et l’esprit

Traduit par Bernadette Cosyn

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Un étudiant m’a écrit récemment pour demander : « Il y a une question qui me tracasse depuis un bout de temps. Pourquoi Saint Paul dit-il aux Galates que ‘la chair a des désirs contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair’ ? Saint Paul dit également aux Romains que ‘la loi de l’esprit’ se débat contre ‘la loi de la chair’. Si nous avons été créés ‘bons’, comme le dit la Genèse, pourquoi cette dichotomie en nous ? »

C’est une excellente question. Et même c’est un problème de terminologie qui a induit en erreur de nombreux lecteurs de la Bible au cours de l’histoire.

Il est clair que Saint Paul croit (avec l’ensemble de la tradition juive) que, ainsi que le dit le livre de la Genèse, toute la création est « bonne », « très bonne ». Mais il croit également que nous avons asservi la bonne création de Dieu à la « vanité ». C’est-à-dire que nous en avons mésusé et l’avons vidé de sa signification, la rendant pas là « vaine », ou « creuse » ou mauvaise, un instrument de notre désir de dominer les autres.

Prenons par exemple le corps. Nous pourrions l’utiliser comme un instrument de véritable amour et de souci des autres. Après tout, c’est pour cela que Dieu nous a donné un corps. Nous pouvons embrasser les gens, soigner leurs blessures, porter de lourds fardeaux pour eux. Et pourtant, fréquemment, nous utilisons plutôt notre corps comme un instrument de vanité : « regardez-moi, voyez comme je suis merveilleux ; voyez comme je suis branché – bien supérieur à ces tocards là-bas. »

Ce n’est pas sans importance non plus bien sûr, que l’on puisse faire le même usage vain de son intelligence. Les péchés ne prennent pas naissance dans le corps après tout. Ils ont leur origine dans notre esprit et dans notre orgueil.

Donc, quand Saint Paul oppose « la chair » ou « le monde » à « l’esprit », il parle de « la chair » et du « monde » tels que nous les utilisons en rejet de Dieu. Le monde et notre chair nous ont été donnés comme un don gratuit d’amour pour être utilisés comme des instruments d’amour. A la place, nous disons « c’est à moi, à moi, à moi » et nous les utilisons pour dominer et détruire les autres, ce qui n’est vraiment pas ce que Dieu avait en tête. C’est comme une personne qui aurait gagné au loto et qui ensuite dépenserait l’argent de telle manière qu’elle détruirait sa vie en essayant de frimer devant les autres.

Nous pourrions utiliser les voitures pour transporter les gens là où ils ont besoin d’aller, mais nous les utilisons pour parader. Nous pourrions utiliser les vêtements pour protéger les gens des intempéries, mais là encore, nous les utilisons pour frimer, ou pis, pour les inciter à la luxure. Nous pourrions bâtir des immeubles pour améliorer le confort des gens et créer des communautés, mais nous les utilisons pour montrer notre puissance et notre richesse et tenir les indésirables à l’écart.

Toutes choses sont soumises à notre vanité. Et de ce fait elles deviennent sans signification, vides et sans valeur. Pour certains, il n’y a rien de pis que la voiture de l’an dernier ou les vêtements de la saison passée. Et bien sûr, devoir vivre ou travailler dans de nombreux immeubles dernier cri porte en soi sa propre punition masochiste.

Pourquoi faisons-nous ainsi mauvais usage des dons de Dieu ? Très franchement, parce que nous sommes stupides. Pas stupide dans le sens de ne pas savoir comment faire fonctionner techniquement les choses, mais dans le sens de « sans bon sens ». Dans l’Ancien Testament, le contraire de la sagesse, ce n’est pas l’ignorance, c’est la stupidité.

Alors, au lieu de nous laisser mener stupidement, comme nous le faisons souvent, par notre avidité, nos peurs, nos colères – qui toutes s’expriment dans notre chair (paumes moites, souffle précipité, visage écarlate) – Saint Paul suggère que nous nous laissions « guider par l’Esprit » – c’est-à-dire par l’Esprit-Saint lui-même, l’Esprit de Dieu. Nous devrions devenir comme le Christ : l’amour incarné, animé par l’Esprit-Saint venu de Dieu, partageant l’amour qui unit les personnes de la Trinité.

Trop souvent, nous pensons que si nous avions plus, nous serions plus. Il y a de fortes chances que si nous nous attachons aux choses matérielles pour elles-mêmes, les vénérant comme les peuples antiques vénéraient les idoles, nous devenions tout aussi privés de vie. D’un autre côté, si nous unissons notre esprit à l’Esprit-Saint, les choses matérielles peuvent acquérir une nouvelle vie, celle qu’elles étaient destinées à avoir comme instruments d’amour et de communion.

Il y a des gens qui sont « morts » à ceux qui les entourent et au monde dans lequel ils vivent parce qu’ils adorent des objets. Vous avez peut-être rencontré des gens comme ça. Et puis vous avez des gens qui aiment des objets, mais ils les aiment précisément parce qu’ils peuvent les partager avec ceux qu’ils aiment. Ce sont des gens vraiment vivants parce qu’ils se voient comme vivant dans un monde pas uniquement composé de matière vide en mouvement, mais imprégné d’esprit, imprégné toujours et partout du potentiel de servir avec l’amour même de Dieu.

La question est : dans quel monde croyez-vous vivre ? Croyez-vous que le monde (ainsi que le corps humain, la chair) est un don de l’amour de Dieu ? (Voir le monde de cette façon implique bien évidemment la foi). Ou êtes-vous convaincu que le monde n’est rien de plus que de la simple matière en mouvement, sans projet, sans but, sans fin dernière et sans bonheur éternel ? C’est une autre vision des choses. La seconde n’est pas plus démontrable que la première, bien évidemment, bien que parfois les gens la confondent avec la déduction d’un raisonnement. Mais afin de ne pas confondre la seconde vision du monde avec la sorte d’affirmation optimiste de l’existence implicite dans la foi, appelons « opinion » cette seconde vision du monde. Les gens ont bien le droit d’avoir leurs opinions.

Je ne peux pas vous dire laquelle des deux visions adopter. Mais je peux vous assurer que votre choix aura des conséquences sur la façon dont vous déciderez de vivre votre vie.

Il semble que Saint Paul pensait de même.

Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université de Saint-Thomas à Houston (Texas).

Illustration : « Saint Paul » par James J. Tissot, vers 1890

source : http://www.thecatholicthing.org/2015/06/13/flesh-and-spirit/