LA BIBLE CONFRONTÉE AUX AFFIRMATIONS DE LA SCIENCE - France Catholique

LA BIBLE CONFRONTÉE AUX AFFIRMATIONS DE LA SCIENCE

LA BIBLE CONFRONTÉE AUX AFFIRMATIONS DE LA SCIENCE

Copier le lien
Un lecteur écrivait à Aimé Michel : « Qui oserait aujourd’hui reprendre à son compte les soirs et les matins de la Création ? » Le trouble de votre lectrice de la Seine-Maritime (France Catholique-Ecclesia N° 1604, du 9 septembre 1977) ne peut manquer de gagner un nombre toujours plus grand de chrétiens. Maintenant 25 % de la population font des études secondaires complètes, 20 % des études supérieures, 35 % des études techniques. Tout ce monde reçoit une formation à l’esprit critique et une bonne initiation aux sciences diverses. À la catéchèse, des enfants disent tout haut, à la suite de leurs parents : « Tout ça, c’est de la foutaise » (Croix du Dimanche du Nord, du 15-10-77). À Roubaix, en 1976, 4 garçons de la Communion solennelle viennent dire à l’abbé : « Nous, on veut bien faire la Communion, mais vous savez, Jésus, on n’y croit pas. » Alors il n’est sans doute pas bon d’augmenter la difficulté de croire en conservant des « littéralités » qui heurtent les esprits et risquent de conduire à de graves mécomptes, comme fit « l’arrêt du soleil » dans sa course autour de la terre à la prière de Josué. La Bible est le livre de famille du peuple hébreu ; il marque d’une façon vigoureuse les bases de sa vie sociale : obéissance au Dieu unique, créateur de toutes choses, mais aussi conducteur de son peuple par le truchement de ceux à qui il parle. C’est la théocratie jointe à un système patriarcal très cohérent. Le péché est dès lors le seul mal qui puisse toucher l’homme. Dieu pourtant aime ses créatures jusque dans leurs infidélités. La promesse d’un Messie est une constante des livres saints. Autour de ces gros traits, le reste semble pour une large part écrin, tissu de présentation, matériel didactique, très adapté d’ailleurs au temps, aux gens, à l’espace. La Genèse présente bien le caractère des récits mythiques, allégoriques, ou de fiction de toujours. Dès maintenant, personne n’oserait reprendre à son compte les soirs et les matins de la Création. L’apparition de l’homme et celle de la femme sont de la même veine littéraire, combien charmante ; et aussi la désobéissance, combien pathétique. Cette dernière présente une très grande valeur de symbole. Mais comment faire accepter à notre société éprise de justice que nous souffrons en maux atroces la sanction infligée par un Père infiniment bon à ses enfants pour une offense qu’ils n’ont pas commise ? Tout « autrement » imaginable, dites-vous, ne peut que s’éloigner de la vérité dernière. Je ne le crois pas. Ce qui paraît clair aux hommes de notre temps, savants d’abord, c’est que les mécanismes de l’évolution ont produit des êtres de plus en plus perfectionnés, « en route vers plus de conscience », jusqu’à se trouver capables, comme dit saint Paul, de connaître Dieu. Des législations existent maintenant partout ; progressivement elles s’unifient dans une conception de plus en plus respectueuse de la personne, de la justice, de la fraternité des peuples, même si les actes ne suivent que de très loin. La « littéralité du jardin » abandonnée, beaucoup de choses se trouvent simplifiées, embellies ; la vue pessimiste et décourageante d’une nature blessée à jamais se trouve remplacée par l’ambition et l’espoir de diminuer l’injustice, l’inégalité, la souffrance ; exemple ce qui est fait sous nos yeux pour les vieillards, les handicapés, les malades. Simplifié aussi le problème du mal. Presque tous les malheurs des hommes deviennent alors conséquence, non du péché d’un autre mais de leurs propres péchés, personnels ou collectifs, par action ou par omission. Exemple : les hommes dépensent 20 % du fruit de leur travail en armements, au lieu de les consacrer à vaincre la famine, la misère. Le rôle du Christ, loin d’être diminué comme Rédempteur se trouve confirmé et personnifié quant à nous ; son action cosmique selon les vues de saint Paul devient plus lumineuse, plus exaltante pour ceux qui doivent y collaborer, c’est-à-dire tous ses disciples. Les théologiens, il est vrai, auraient une ample besogne de réajustement ; mais s’en plaindront-ils ? En attendant, la situation est délicate pour le chroniqueur catholique, il faut en convenir. Elle n’est pas intenable ; à preuve l’article du 17 juillet 1977 dans « le Pèlerin » qui révèle une compréhension exacte de l’attente des esprits aujourd’hui. Avant de terminer je voudrais, cher Monsieur, vous dire ma grande admiration pour votre vaste culture et votre agilité dialectique. Pourtant j’en conserve une impression un peu mitigée pour deux raisons. J’ai cru réentendre le cours d’apologétique que je suivais en 1913, temps où, d’un « revers de main », on liquidait les objections, les historiques notamment. Le dernier concile a été plus efficace en exprimant solennellement des regrets ; et le Pape, en levant des excommunications. En second lieu, si j’admire votre belle exubérance scientifique je crains que beaucoup n’y voient que de la poudre jetée aux yeux ; ou pire, une humiliation infligée à l’esprit insoumis, dans le genre : « Baissez la tête petit prétentieux ». C’est aussi l’impression que peuvent donner les invectives « ô ignorants, ô ratiocineurs ! » ainsi que les nombreux points d’exclamation, 12 dans un paragraphe de 17 lignes. Aimé Michel répondait : « Refuser un Dieu plat, glissé sous la porte de Freud et de Marx » Sans doute beaucoup éprouvent-ils, à la lecture de ces petites chroniques, la même déception que notre lecteur : j’entends en effet souvent parler ainsi. Il y a donc une distance à franchir. Ce déplacement intérieur appartient à la vie spirituelle de chacun, à sa destinée propre, et quelques propos plus ou moins habilement tournés dans un journal ne remplacent pas l’expérience du vrai. Je me bornerai donc à tenter d’exprimer plus clairement ce que j’ai voulu dire, quitte éventuellement à chacun (y compris moi) de poursuivre sa méditation. 25 % d’études secondaires, 20 % d’études supérieures, 35 % d’études techniques : « tout ce monde reçoit une formation à l’esprit critique et une bonne initiation aux sciences diverses… » Ben, non, cher monsieur, ce n’est pas du tout ce que je crois voir, ni ce que je lis dans les manuels où étudient nos enfants. Nous sommes au contraire dans un âge de pleine confusion. Tout ce monde est saturé et baigné jusqu’à la moelle d’idéologies contradictoires déguisées en sciences, cela, oui, on peut le dire. (2) Mais le tableau général de l’univers tel qu’il ressort actuellement des sciences les plus fiables, astronomie, physique fondamentale, paléontologie, où diable le prendrions-nous ? Il est ignoré des professeurs eux-mêmes (et ce n’est pas leur faute, on ne le leur enseigne pas, et il n’existe pour ainsi dire pas de livres français où ils pourraient satisfaire leur éventuelle curiosité). En revanche, on nous met en tête, et cela oui, une certaine idée de la science, tirée de Marx, de Freud et d’autres vénérables idéologues morts depuis des lustres, idée selon laquelle, a) « la science a expliqué, explique ou expliquera tout », donc « Dieu et tout ça, c’est de la foutaise », et b) l’homme intérieur « s’explique » lui aussi (ou s’expliquera sous peu) par divers moyens, dont le plus en vogue est que toute spiritualité n’est que le fantasme sublimé d’autre chose. (3) Non seulement il n’y a pas de place pour une « révélation » dans ces idées (diffuses, vagues, mais profondément imprégnantes), mais l’idée même de révélation reçoit en un tour de main son interprétation « scientifique », grâce à quelques formules tirées d’un remâchage de deuxième ou troisième main des idéologies en question telles qu’elles baignent jusque sur les affiches du métro. Fantasme. Aliénation. Sublimation sexuelle. Les maîtres mots répondent à tout. Mon correspondant propose que l’on se débarrasse de tout ce qui, dans la Bible et les autres livres saints, serait contraire à la science (les « littéralités qui heurtent les esprits »). Je me demande comment on pourrait trouver dans ces livres quelque chose qui fût contraire à la science, puisqu’ils nous enseignent des vérités que par méthode la science ne prend pas en considération, puisqu’ils portent sur l’essence spirituelle de l’homme. Mais, dira-t-on, Dieu « se promenant dans le Jardin », Jonas dans la baleine, les anges qui chantent, etc., c’est absurde ? Je l’espère bien ! Si ce n’était pas absurde, ou plus exactement, mystérieux, à quoi servirait une révélation ? De plus il faut bien réfléchir avant de prononcer le mot « absurde ». Il faut surtout comprendre et ne jamais oublier, comme je l’ai écrit bien des fois (me bornant à répéter un raisonnement fameux de J.-J. Rousseau), que dire que telle chose est contraire aux lois de la nature, c’est dire qu’on connaît ces lois et qu’on les connaît toutes. (4) Quel savant sérieux dira cela ? Certes un idéologue le dira, lui, sans hésiter. Il ne s’agit que de savoir si l’on accepte le principe d’une révélation nous parvenant de l’infini : tout est là. Si on accepte ce principe, alors, qu’on se demande si une telle révélation peut prendre une autre forme que celle d’une histoire, et d’une histoire pleine de mystère. Refuser le mystère, c’est dire que l’infini avant de se manifester dans notre obscure et brève histoire, eût dû demander d’abord prudemment de se faire assister par un comité de l’Académie des Sciences, pour s’épargner la rigolade critique de nos « savants ». Quels savants, à propos ? ceux de 1977 ? ou ceux de l’an 10 000, qui feront une infinité de choses bien plus absurdes encore que ce qu’on lit dans la Bible, ou que l’eût été l’explosion d’Hiroshima sous les yeux de Henri Poincaré, lequel avait, comme on sait, mathématiquement établi l’éternelle stabilité de l’atome ? Allons plus au fond. Ce qui est en question, et que toutes les idéologies actuelles (déguisées en sciences) « réfutent », c’est que l’essence de l’homme soit de nature spirituelle : non, non, n’importe quoi, mais pas spirituelle ! chimique, électronique, que sais-je ? sexuelle, physiologique, sociale, structurale, mais pas spirituelle. Je n’ai pas la folie de vouloir réfuter d’un trait de plume toutes ces idéologies, chacune provisoirement tenue pour la seule vérité acceptable par leurs partisans. J’ai simplement remarqué ceci. À tant de jeunes gens qui souvent nous viennent dire : « Foutaises que tout cela ! » si l’on se borne à répondre : « T’arrive-t-il d’aimer ? d’être heureux ? malheureux ? de te demander si cet univers immense où tu ne passes qu’une fois a un sens, ou s’il est absurde ? de t’interroger sur la fuite irréparable du temps, sur ta jeunesse bientôt finie », et autres questions semblables, eh bien, on est toujours surpris de trouver chez eux la lancinante présence de ces pensées, qui sont l’essence de l’interrogation religieuse. Et combien je comprends qu’ils disent « foutaises » quand, pour répondre à cette soif infinie, on leur propose un Dieu tellement plat qu’il puisse être glissé sous la porte de Freud et de Marx ! Moi aussi, je dis foutaises, et de ce Dieu-là je n’ai que faire. À une soif infinie, ce n’est pas le « Dieu des savants » (encore moins des faux savants) qui répond ; mais « celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». C’est celui qui gardera son Infinie distance, au fond de l’infiniment mystérieux, même pour les Newtons et les Einsteins de l’an 10 000, quand nos ratiocineurs et leurs élucubrations auront depuis longtemps sombré dans la poussière. Mais enfin les « littéralités » ? Aurait-on pu filmer Jonas avec une caméra ? Et « Dieu se promenant dans le Jardin », qu’aurait-on pu filmer ? Je n’en sais rien. J’ai bien le droit de ne pas tout savoir ? Si je crois à la Révélation, je sais que ces récits sont porteurs d’une inépuisable vérité qu’aucune caméra, de toute façon, ne saurait jamais montrer. Peut-être la caméra me montrerait-elle quelque chose d’incompréhensible, ou peut-être rien. Mais, de toute façon, pas la vérité inépuisable du récit. Sinon, si je peux remplacer la révélation par une caméra, à quoi bon une révélation ? Je n’en ai que faire (voir plus haut). Foutaise que cela. Un mot pour finir sur la « poudre aux yeux » et les points d’exclamation. Ayant bien réfléchi, je ne vois pas, malheureusement, comment m’y prendre pour éviter sur ce point de mourir impénitent : il y en a dont l’histoire de Jonas dilate la rate, comme dit le méchant Grand Vizir. (5) Quant à moi, je n’y peux rien, ceux qui me feront mourir de rire si j’abuse de leur lecture, ce sont les grands messieurs qui s’évertuent à si bien arranger la malheureuse baleine qu’elle puisse passer inaperçue des gens de bien. Ah, si l’on pouvait prouver qu’elle est une interpolation, une addition tardive, un conte arabe, un symbole œdipien ou anal, une protestation de classe, un phallus. Voilà qui nous permettrait de marcher la tête haute parmi les idéologues, voilà qui ferait ouvert au monde. Mais outre que la baleine est incompressible, ce n’est pas cela que l’on attend de nous. Quand on a bien balayé toutes les baleines sous le tapis et achevé le chef-d’œuvre d’une vraie religion moderne, style nouille, que découvre-t-on ? Que sur le plan politique, les politiciens font mieux que nous ; les syndicalistes, mieux sur le plan syndical ; les animateurs, mieux sur l’animation ; les chanteurs de charme, mieux sur la chansonnette ; et ainsi de suite. Et ce n’est pas le pire : le besoin religieux des hommes restant ce qu’il est, les voilà qui se mettent à découvrir ailleurs force religions plus religieuses que la nôtre, toute récurée à fond qu’elle est et mise à la mode d’un irréprochable style nouille, point d’exclamation, et tel chrétien de se convertir à l’islam (j’en ai entendu un l’autre jour à la radio, médecin de son métier, et affirmant qu’il en connaît bien d’autres), tel autre à Moon, tel autre à Rama Krishna, tel autre aux Témoins de Jéhovah, sans compter les nombreux savants qui se rallient à la Gnose de Princeton. Alors, « en restera-t-il un seul quand Je reviendrai ? »(6) Tout est là. Mais voici ce que je crois discerner : que les idéologies, encore très fortes chez le malheureux peuple cherchant où il peut la vérité, sont en train de crever par la tête ; que la science achèvera ces idéologies à mesure de sa diffusion, qui est lente, certes ; et que les hommes n’ont en définitive qu’une aspiration : qu’au mystère de ce qu’ils sont réponde le Mystère ultime, comme un Père aimant, non comme un Père Système. Extrait du chapitre 26 « Commentaires bibliques » de La Clarté au cœur du labyrinthe, pages 665 à 667. Les notes en bas de page sont de Jean-Pierre Rospars. Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port). À payer par chèque à l’ordre des Éditions Aldane, case postale 100, CH-1216 Cointrin, Suisse. Fax +41 22 345 41 24, info@aldane.com.

Documents joints