L'épreuve des religions - France Catholique
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L’épreuve des religions

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Église Catholique à Negombo, Sri Lanka

Église Catholique à Negombo, Sri Lanka

CC by sa : Ronald Saunders

Nous ne pouvons pas regarder le voyage du Saint-Père au Sri Lanka et aux Philippines en nous abstrayant du contexte français des derniers jours. Un voyage en Asie devrait nous permettre de décentrer notre regard obsessionnellement rivé au Moyen-Orient. L’hyper-concentration sur l’islam ne nous détourne-t-elle pas de l’universalité chrétienne à laquelle prétend l’Église ?

L’athéisme de Charlie Hebdo tend à mettre toutes les religions dans le même sac. On s’attaque au « religieux » en tant que catégorie. Plus encore que la question de la représentation du Prophète, la critique porte sur l’amalgame qui est parfois fait entre Mahomet et Jésus ou Bouddha, ou entre le Pape et un imam ou un ayatollah. Le christianisme est la seule religion qui proclame la foi en un Dieu personnel, un Dieu aimant, un Dieu souffrant. Faire pleurer le Prophète ou lui faire pardonner est une erreur de casting, un Mahomet christianisé. Le Prophète n’est pas Dieu. Les musulmans ne peuvent pas comprendre et refusent absolument que Jésus soit Dieu fait homme. Pour eux, Jésus n’est qu’un prophète, l’avant-dernier avant Mahomet. De même Bouddha n’est pas Dieu. Mahomet n’est que le scribe qui a écrit sous la dictée, le Livre révélé est tout.

Autre erreur d’appréciation : ce sont les musulmans les plus christianisés, au sens où ils ont été exposés à la culture occidentale, en Afrique noire ou au Maghreb, spécialement au Maroc, qui accordent le plus de considération à la personne du Prophète ainsi qu’au culte des saints de l’islam ou aux confréries. Ce sont eux, les plus modérés, qui sont le plus choqués dans leurs convictions, par ses caricatures. Les musulmans les plus fanatiques à l’inverse ne veulent faire aucune acception de la personne du Prophète, ne célèbrent pas, contrairement aux autres, la fête populaire du Maulid, ou Mouloud, de la naissance du Prophète (qui tombait cette année le 3 janvier), comme les chrétiens célèbrent la naissance de Jésus à la Noël.

Le rejet le plus fort de cette forme d’humanité ou de chrétienté introduite dans la pratique musulmane est apparu, certes, dans la filiation wahhabite en Arabie saoudite, mais on oublie qu’elle est la plus extrême dans le sous-continent indien. Le monde hindouiste est en effet par excellence celui des dieux-idoles. En réaction l’islam et le bouddhisme, le premier par la destruction de toute image, le second par la multiplication d’images qui ne participent pas de l’économie divine, mais qui excitent l’imagination, l’activité de l’esprit.

C’est ici que le voyage concomitant du Saint-Père, d’abord au Sri Lanka, puis aux Philippines, prend tout son sens. Il ne s’agit pas ici de l’islam : l’islam de la mer entre océan Indien, mer de Chine et océan Pacifique, y est malais, ce qui est tout à fait différent à la fois des versions maghrébo-africaines et de celles du sous-continent indien. La question centrale du voyage est celle de l’unité du monde et de l’universalité du Christ. Asie et Occident ne formaient qu’un lorsqu’ils furent séparés. Pour certains, c’est l’islam qui s’est interposé, qui a érigé une barrière, tout en opérant comme passeur de l’un à l’autre. Le rêve chinois des papes ou des missionnaires se réfère à cette unité originelle, unité perdue quelque part, même avant l’avènement du christianisme, mais que celui-ci devait en principe restaurer, sauf l’islam. Un monde où L’Asie et l’Europe pourraient se retrouver et joindre leurs mains, comme disait Claude Lévi-Strauss dans sa fameuse conclusion des Tristes Tropiques (1955) : « Que l’Occident remonte aux sources de son déchirement : en s’interposant entre le bouddhisme et le christianisme, l’Islam nous a islamisés, quand l’Occident s’est laissé entraîner par les croisades à s’opposer à lui et donc à lui ressembler, plutôt que se prêter – s’il n’avait pas existé – à cette lente osmose avec le bouddhisme qui nous eût christianisés davantage, et dans un sens d’autant plus chrétien que nous serions remontés en-deçà du christianisme même. »

Au-delà des différences, on retrouve ici quelque chose de la vision universaliste du père Teilhard de Chardin auquel nous avons emprunté notre titre issu de Comment je crois (1934) où il mettait les religions à l’épreuve, les orientales, les « panthéistes humanitaires » et le christianisme (il ne considérait pas l’islam comme une religion originale).

C’est cette référence qui s’était imposée au P. François Russo, s.j., commentant le voyage de Paul VI en Asie (décembre 1970), Sri Lanka, Indonésie, Philippines et Hong Kong, première visite d’un pape en Asie.
« Le Christ-Universel où se satisfait ma foi personnelle, écrivait Teilhard, n’est pas autre chose que l’expression authentique du Christ de l’Évangile. » Son Dieu pense, aime, parle comme Quelqu’un.

Mais aussi intime et personnel qu’Il soit, il s’agrandit aux dimensions de l’Univers entier. L’ethnologue sceptique et le paléontologue jésuite se faisaient chacun leur idée d’une montée convergente de l’Extrême-Orient et de l’Occident.

Il ne faudrait pas que le huis clos avec l’islam nous provincialise et nous détourne du vaste monde (on pourrait aussi faire appel à Claudel dans le même sens). Nous devons chercher et dire le Christ en avant, au-delà, en haut, grandir et non rétrécir, monter et non nous laisser attirer sans cesse vers le bas. Tel est le message qu’est venu apporter le Saint-Père si loin de nos préoccupations actuelles.