L’avenir de la religion - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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L’avenir de la religion

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A une réunion des aumôniers militaires de l’armée de l’air américaine, le P. Andrew Greeley, qui est un des sociologues les plus éminents du Nouveau Monde, a donné, il y a quelques mois, une conférence qui leur a paru si intéressante qu’ils l’ont publiée dans leur périodique.

L’excellente revue pour le clergé américain The Priest, dans son dernier numéro, en a reproduit l’essentiel. Face à tant de slogans qui, pour bien des catholiques contemporains, tiennent lieu à la fois de pensée et d’information, il peut être bon de citer quelques-unes des remarques d’un prêtre qui est en même temps un savant de premier ordre. Tant pis pour ceux dont cela dérange le conformisme… dans le non-conformisme !

1. Il n’y a pas de preuve empirique d’un déclin actuel, en Amérique en particulier, dans l’intérêt pour les choses religieuses.

La religion est ancrée en l’homme

2. Il n’y a pas de base théorique sérieuse qui puisse permettre de s’attendre à un déclin de ce genre au cours des années à venir.

3. La religion et le rituel paraissent appartenir à la condition humaine comme telle.

4. Un modèle évolutionniste selon lequel l’homme évoluerait vers un monde purement séculier est tout à fait inapproprié du point de vue du sociologue, de l’anthropologue ou de l’historien des religions. Le sacré et le séculier ont coexisté depuis très longtemps et rien ne montre qu’ils doivent cesser de coexister à l’avenir.

5. Dans une société aussi complexe que la nôtre, la religion continuera d’exister sous une forme organisée…, ce qui ne veut pas dire que toutes les organisations religieuses qui existent aujourd’hui doivent survivre.

6. S’il y a quelque chose de certain, c’est bien que le sacré, actuellement, loin d’être en passe de disparaître, est en train de passer par un renouveau dramatique, un renouveau qui risque même de virer à la superstition, précisément parmi ceux qu’on aurait cru les derniers à être intéressés par le sacré.

7. Rien n’est plus inactuel pour les Eglises que la recherche de l’actualité à tout prix (c’est-à-dire ce qui se trouve être à la mode à l’instant même)… La « cité séculière » est morte, et Harvey Cox lui-même s’en rend compte, bien que beaucoup de ses disciples catholiques ne s’en soient pas encore aperçu. Le mouvement dit de « la mort de Dieu » est mort, et quelques-uns au moins de ses premiers propagateurs l’ont déjà compris. Le style de l’évêque Robinson n’a satisfait que des étudiants en théologie et des aumôniers universitaires, mais n’a guère donné de résultats pour le dialogue avec le monde. Ces trois mouvements, qui se voulaient passionnément « actuels », apparaissent déjà comme de simples résurgences du XIXe siècles…

Faute de place, je passe, me réservant d’y revenir, sur des réflexions qui me paraissent des plus judicieuses et dont le thème est celui-ci : une certaine obsession de super-orthodoxie, pas encore disparue, est ce qui a paralysé la pensée, chez nous, et nous a conduits au chaos et à l’impuissance actuels – à cette « actualité » la plus « inactuelle » qui soit et qui vient d’être décrite et analysée. Je me bornerai à citer telle quelle la conclusion :

« Les Eglise organisées dans les années qui viennent seront jugées d’après leur capacité de répondre au besoin de l’homme et à sa recherche d’un sens de la personne, de l’amour, de la vie intime, de la signification profonde de la sexualité, d’une plus grande unité avec les forces fondamentales de l’univers. A un tel défi, les Eglises nées de la tradition juive et chrétienne devraient répondre volontiers, car c’est là ce qui correspond au meilleur de leurs traditions… Ceux qui les poussent à oublier ces traditions et à s’efforcer de s’adapter aux fantaisies ou aux modes du moment ne sont que de faux prophètes et l’on ne doit pas y faire attention.

Un monde meilleur que tout le monde

Les Eglise, actuellement, ne sont pas faibles parce qu’elles ont été incapables de s’ajuster à un monde libéral, sécularisé, cartésien, mais bien plutôt parce qu’elles ne s’y sont que trop bien adaptées. Leur position est faible, non parce qu’elles sont inactuelles, mais parce qu’elles ont cherché à être trop actuelles, et, du coup, se trouvent toujours à la mode juste dépassée. Elles ont cherché à se conformer au lieu de prophétiser. Elles ont cherché à s’adapter au monde moderne au lieu de garder la vision du monde meilleur que tout monde visible… Ce dont nous avons besoin, c’est d’hommes qui sachent voir l’un et l’autre, au lieu de ne voir jamais que l’u ou l’autre. C’est malheureusement, en tout temps, ce que les leaders religieux ont le plus de mal à comprendre ! »

Si un vulgaire théologien, comme votre serviteur, avait lâché de pareils blasphèmes, qu’est-ce qu’il aurait entendu ! Heureusement qu’il y a encore des sociologues !

Louis BOUYER