L'animal jardinier - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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L’animal jardinier

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« Le Christ apparaissant à Marie-Madeleine comme un jardinier » (ou « Noli me tangere »)

« Le Christ apparaissant à Marie-Madeleine comme un jardinier » (ou « Noli me tangere »)

[Bibliothèque Nationale du Pays de Galles, Aberyswyth]

Le carême est un temps de préparation. Notre observance de la prière, de la pénitence et de l’aumône durant le carême aide à nous débarrasser des attachements et des vices que nous avons accumulés et qui sans cela empêcheraient notre croissance spirituelle. Le travail du carême nous prépare corps et âme pour les joies de Pâques et la célébration de la vie nouvelle dans la Résurrection.

En fin d’hiver et tout début de printemps, le travail du jardinier imite les travaux spirituels du carême. Les vieilles pousses, mortes ou malades, doivent êtres coupées et éliminées des massifs de vivaces pour faire de la place aux nouvelles pousses – des pousses que je ne peux pas encore voir mais dont je sais (espère?) qu’elles vont bientôt se montrer. Et il y a les mauvaises herbes, qui par une industrie diabolique continuent de se répandre et de grandir quand le reste du jardin prend son repos hivernal. Celles-là doivent être déracinées.

Là où je vis, en Virginie du Nord, les premiers signes du printemps se font déjà voir. Quelques jonquilles et tulipes commencent à percer le sol détrempé. Les premiers crocus et quelques perce-neige fleurissent. La pelouse est comme un paillasson, mouillée et boueuse, tout spécialement là où les enfants ont joué. Les roses ont besoin d’être taillées et le sol lourd du potager a besoin d’être bêché. La plus grande partie du jardin semble morte et sans vie, plus que miteuse. A Pâques, tout sera différent, une explosion de vie et de couleur.

Le parallèle entre le travail d’un jardinier et celui d’un pénitent du carême ou entre la floraison printanière et la joie de Pâques n’est pas difficile à voir. Mais l’analogie entre le jardinage et la vie spirituelle mérite qu’on la considère à un niveau plus poussé. A toutes les étapes de l’histoire du salut, souvent dans les moments les plus critiques, nous trouvons un jardin.

Le premier foyer naturel de l’homme est un jardin, LE jardin : «  le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’est, et y plaça l’homme qu’il avait formé ». Il vaut la peine de le remarquer : un jardin n’est pas un espace sauvage, vierge de l’intervention de l’homme, mais un espace ordonné et soigné. Dieu Lui-même a effectué la plantation. Le Paradis – dont l’étymologie suggère une jardin clos – est un endroit d’ordre et d’harmonie entre Dieu et l’homme, entre l’homme et la Création sur laquelle il lui est donné de régner.

Notre punition pour le péché est la perte du Paradis et de la relation et de l’ordre appropriés qui existaient dans le Jardin. Par le péché, nous sommes devenus étrangers à notre Créateur et notre relation à la Création est marquée par un dur labeur et un désir d’emprise. Caïn est devenu agriculteur, mais son offrande n’a pas été agréée par Dieu. L’homme coopère avec la nature pour se procurer sa subsistance – tout agriculteur sait que sa récolte dépend du sol, de la semence et du temps qu’il fait. Après la Chute, la coopération subsiste, mais elle est gâchée par la lutte et le besoin. Une ferme, tout comme les étendues sauvages, peut être belle et bonne, elle n’est pas un jardin.

Les jardins réapparaissent au long de l’Ecriture. Dans le Cantique des Cantiques, par exemple, le jardin est un endroit d’intimité entre l’amoureux et sa bien-aimée et, allégoriquement, entre Dieu et son peuple épousé, Israël. De nouveau, le jardin est un endroit où la relation juste entre Dieu et l’homme est reflétée dans l’ordre et la beauté de l’environnement naturel.

Dans les évangiles, le péché et la désobéissance d’Adam, qui nous ont valu la perte du Jardin d’Eden, sont rachetés par l’obéissance du Christ à la volonté du Père dans le Jardin de Gethsémani. Le Christ n’est pas chassé de Gethsémani, il y est emmené de force. Et quand l’œuvre de rédemption du Christ est accomplie, Saint Jean nous dit où ils déposent Son corps crucifié « il y avait un jardin là où Il avait été crucifié, et dans ce jardin une nouvelle tombe où personne encore n’avait été enseveli ».

Quand le Christ, le Nouvel Adam, ressuscite à Pâques, Il surgit de la terre d’un jardin. Lors de ce matin glorieux, Marie-Madeleine se rend à la tombe et y rencontre le Christ ressuscité. Mais elle ne Le reconnaît pas tout d’abord ; elle Le prend pour le jardinier.

Nous étions faits pour un Jardin ; nous avons été racheté dans un jardin par le Divin Jardinier.

Dans tout cela, le jardin est plus qu’une allégorie de l’harmonie avec notre Créateur et sa Création. Jardiner est, ou peut être, une entreprise morale. Un jardinier a besoin d’un savoir sur les différentes plantes, le sol, le soleil, le vent, la pluie, la température. S’il souhaite ordonner son jardin pour le rendre plus beau, il doit user de ce savoir pour travailler avec la nature et non contre elle.

Tout jardin est une école de téléologie : les graines germent, non pas parce que le jardinier les fait germer mais parce que c’est ce que font les graines ! Les fleurs s’épanouissent pour produire le fruit, et le fruit est pour le bien de la graine. C’est une leçon élémentaire, mais qui en cette époque particulièrement, est positivement subversive : la nature a des buts ! Tout jardinier en est conscient, non comme d’un principe abstrait mais comme d’un fait évident.

Je peux difficilement penser à un antidote plus puissant pour notre époque technocratique et utilitariste que travailler en accord avec la nature plutôt que contre elle. Nous ne sommes pas, comme l’aurait dit Descartes, « maîtres et possesseurs de la nature ». Rappelons-nous la définition de la vertu selon Cicéron : « la vertu est une habitude de l’esprit en adéquation avec la nature, la modération et la raison ». Le jardinage est en tous points une excellente école pour acquérir de telles habitudes.

On peut dire beaucoup de choses de l’animal humain – qu’il est rationnel, politique, social, et ainsi de suite. On pourrait peut-être rajouter : l’homme est un animal jardinier. Nous allons voir si cela colle. Je vais ruminer ces choses bien après que le carême ait débouché sur Pâques.

En attendant, dans mon jardin, il y a du soleil (pour le moment), de l’air frais et des mauvaises herbes à arracher.