L’Eucharistie : réponse à la Parole et son accomplissement - France Catholique
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Saint Benoît, un patron pour l'Europe
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L’Eucharistie : réponse à la Parole et son accomplissement

FC 1214 – 20 mars 1970

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La Parole divine est toujours créatrice. La création essentielle, c’est le peuple de Dieu définitif, le peuple selon le cœur de Dieu, où son Fils unique, Jésus, devient « le premier-né entre beaucoup de frères ». Cette création, c’est fondamentalement dans la messe qu’elle s’accomplit. La prière eucharistique, réponse de l’Eglise à la Parole qui la convoque, qui l’assemble, qui la suscite, est en même temps l’ « action sacrée » par excellence, le sacrifice où tout notre agir est pris dans l’agir de Dieu. C’est dans la prière eucharistique, en effet, que nous « annonçons la mort du Christ jusqu’à ce qu’Il vienne ».

C’est-à-dire que nous la « représentons » (au sens le plus fort du mot), d’abord à Dieu lui-même, en le suppliant, d’après la formule d’une des récentes prières (reprise d’ailleurs à l’antiquité) de reconnaître « dans le sacrifice que l’Eglise lui présente celui de son propre Fils ». Et c’est ainsi que nous sommes recréées tous ensemble, à l’image de Celui-ci, comme le peuple nouveau voué à la gloire de son Père.

Le second élément majeur de l’Ordo Missae

Il en résulte qu’une restauration de la proclamation de la Parole divine dans la première partie de la messe devait préparer la restauration de la prière eucharistique, de sa réalité pleinement exprimée dans la seconde.
C’est là précisément, le second élément majeur du nouvel Ordo Missae. Tout au contraire de commentaires ineptes, propagés par ceux qui n’ont pas lu les textes, ou qui n’y ont lu que leurs préjugés lors même que ces textes y apportaient le démenti le plus flagrant, la présentation renouvelée de la prière eucharistique, loin de volatiliser le sacrifice de la messe, n’a jamais eu d’autre but que d’en mettre mieux en lumière le sens et le réalité.

La restitution de l’antique plénitude du Canon

L’ancien Canon romain l’exprimait déjà en des formules admirables. Mais la réduction des préfaces antiques à quelques-unes (et pas toujours les meilleures) à la fin du Moyen Age, l’usage devenu le plus habituel de la préface dite commune, où le mystère sacrificiel n’était même pas exprimé, ou de la préface de la Trinité, où une présentation quelque peu scolaire du dogme trinitaire avait pris la place normalement réservée à la proclamation de la croix et de la résurrection du Sauveur, avaient fait perdre au Canon son antique plénitude. Celle-ci lui a été rendue en lui restituant des préfaces où s’exprime dans les termes les plus clairs en temps que les plus traditionnels la « reconnaissance », par l’Eglise, de ce que toute grâce lui vient par le sacrement de la Passion salvatrice et la volonté de s’y offrir elle-même à l’intérieur de l’oblation à jamais consommée de son Epoux céleste, à la gloire du Père.

Dans un avenir prochain, des « communicantes » et des « hanc igitur » plus explicites parachèveront cette restauration. La faculté, déjà donnée, d’alléger les listes des saints et de supprimer les conclusions qui fractionnaient l’unité de la prière, avec l’acclamation qui suit la consécration, contribuent à cette redécouverte du sens et de l’unité de l’Eucharistie : dans la représentation au Père, par le mémorial sacramentel, objectif, de la Passion de son Fils, qui nous unit tous dans son sacrifice, nous donnant part ainsi, dès à présent, aux fruits de sa résurrection, pour nous préparer à son dernier avènement.

Toutes les ressources du patrimoine chrétien

Pourquoi donc alors avoir encore ajouté à l’ancien Canon romain d’autres prières eucharistiques, composées ad hoc  ? Pour deux raisons.

La première est que, de même qu’aucun des quatre Evangiles (bien qu’inspirés) ne peut épuiser les richesses de la personnalité ni de l’œuvre du Sauveur, mais que leur rapprochement, sans y parvenir davantage, en fait au moins ressortir le relief, apprécier la plénitude, de même en est-il avec l’Eucharistie. Pas plus que la Parole faite chair ne peut être embrassée d’un seul regard, pas davantage la réponse que l’Esprit divin lui suscite au cœur de l’homme. C’est ainsi que la tradition de l’Eglise a connu diverses formes complémentaires de la prière eucharistique, et que toute la signification de celle-ci ne se laisse percevoir qu’en passant de l’une à l’autre.

Aujourd’hui en particulier que la liturgie dite « romaine » s’est étendue de fait, non seulement à tout l’Occident chrétien, mais par les missions au monde entier, il était donc désirable qu’elle s’ouvrit au témoignage d’autres traditions de la prière catholique que celle de Rome, voire que celles de l’ancienne chrétienté par la prière numéro 2, rénovant l’usage d’une forme d’Eucharistie très ancienne, encore calquée sur les prières juives, – la prière numéro 3, toute formée suivant la structure des anciennes prières gallicanes, hispaniques et celtiques, avec des éléments repris aux mêmes sources, et aussi l’ancienne prière de l’Egypte, – la prière numéro 4, enfin, très proche des anciennes prières syriennes, et donc des grandes eucharisties de nos frères orthodoxes qui dérivent de ces dernières.

Des prières plus pédagogiques

La seconde raison de cet élargissement, c’est que le recours, d’ailleurs très libre, à ces autres sources, permettait de composer des prières plus pédagogiques, parce que plus claires dans leur schéma et plus explicitées dans leurs formules essentielles que le Canon romain lui-même. Ainsi, leur usage, alternant avec l’usage de ce dernier, loin de lui nuire, le rendrait lui-même plus assimilable et donc plus fructueux. La prière numéro 2, en effet, synthétise de la façon à la fois la plus simple et la plus ramassée la prière eucharistique, comme évocation dans l’action de grâce de l’œuvre créatrice et rédemptrice aboutissant à la croix de Jésus, comme présentation au Père de son mémorial sacrificiel, et comme invocation de l’Esprit pour que nous fassions nôtre, dans le sacrement, la présence transfigurante du Christ sacrificateur et sacrifié.

La prière numéro 3, de son côté, met pleinement en lumière comment tout cela, devenant nôtre dans le sacrement de l’unique sacrifice, fait de nous tous, et de tous ceux qui, dans le monde entier, viennent à la foi, un seul corps et un seul esprit dans le Christ, une perpétuelle offrande à la louange de la gloire divine.

Enfin la prière numéro 4, évoquant toutes les phases préparatoires de l’ancienne alliance et sa consommation dans l’alliance nouvelle annoncée et réalisée par Jésus dans les jours de sa vie terrestre, nous aide à reconnaître comment l’Eucharistie étend effectivement au monde entier, à la vie humaine tout entière le mystère de réconciliation qui est au cœur de l’histoire sainte.

Ces richesses de la tradition qui nous sont rendues

Ici, plus que jamais, une effort nous est demandé pour assimiler dans la méditation et faire nôtres ces richesses de la tradition qui nous sont rendues, sous la forme et dans les termes les plus accessibles à l’homme moderne. Prétendre « dépasser » un tel ressourcement en l’ignorant, sous le prétexte d’une « adaptation » plus poussée aux besoins contemporains, serait méconnaître qu’une adaptation du christianisme d’aucune époque n’a de valeur si elle ne part pas d’une redécouverte des richesses, encore insoupçonnées trop souvent, de l’expérience vitale de l’Eglise dans sa rencontre avec son Chef divin.

Louis BOUYER