L’Eglise ce n’est pas « nos idées » - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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L’Eglise ce n’est pas « nos idées »

FC 1021 – 24 juin 1966

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Guidés par le décret sur l’œcuménisme et par la constitution pastorale du Concile sur l’Eglise et le monde présent, demandons-nous quelles sont les tâches qui attendent les chrétiens dans le monde actuel et quel est l’esprit dans lequel ils doivent s’y consacrer.

Tout doit partir d’un renouveau de notre fidélité à l’Eglise et à la foi catholique. L’Eglise porte la foi non seulement au monde mais d’abord en elle-même. A cet égard, ne craignons pas de le dire franchement et sans détour, un premier effort du Concile a été de faire éclater une crise d’une profondeur et d’une extension telle qu’on n’avait certainement rien vu de pareil depuis le XVIe siècle. Cette crise était sans doute inévitable. Il dépend de nous tous qu’elle se révèle finalement comme une crise de croissance, qui sera foncièrement bénéfique en fin de compte, même si elle s’est manifestée, d’abord sous des aspects plus ou moins troublants et douloureux.

Ne pas identifier tradition et routine

Pourquoi cette crise ? En partie, sans nul doute, parce que trop d’entre nous, et nous tous, en quelque mesure, nous sommes des gens d’habitude, qui nous étions faits, plus ou moins bien, à une situation stable, au moins en apparence, et qu’une abondance de changements, plus ou moins soudains ne peut manquer de déconcerter. Certains soutiennent que la crise présente n’a pas d’autre motif et qu’elle est tout entière le résultat des paresses ou des étroitesses de certains chrétiens. Nous manquerions également à l’honnêteté, comme au courage, soit en prétendant qu’il n’y a rien de vrai dans cette vue, soit en prétendant qu’elle n’est permet de tout expliquer dans le désarroi que beaucoup ressentent. Disons-le donc sans ambages, nous avons tous à nous défaire d’une mentalité qui identifie tradition à routine, autorité des uns à passivité des autres, et qui ferait tenir tout l’idéal de l’Eglise dans la parole de l’Ecclésiaste (laquelle, en fait, vise non le peuple de Dieu, mais le monde qui se refuse à y entrer) : « Ce qui a été est ce qui sera. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Nous avons tous besoin d’accepter, et quelque peine à accepter, soit en principe soit dans les faits, que nos habitudes les plus invétérées ne soient pas toujours ni nécessairement le meilleur ni l’essentiel de notre foi ni de notre vie chrétienne.

Le trouble et l’incertitude

Est-ce à dire, cependant, comme des voix autoritaires sinon toujours autorisées, l’affirment parfois, que la crise actuelle tient toute à de telles réactions ?

Peut-on dire que le malaise actuel, ressenti par tant de chrétiens, ne soit que la réaction d’un conservatisme bourgeois, et qu’il ne faille y voir qu’une faiblesse à corriger patiemment, charitablement sans doute, mais en dédaignant de prêter aucune attention aux réclamations ou aux craintes si généralement exprimées ? Ceux mêmes qui le soutiennent font observer justement que des enquêtes rendent manifestes le fait qu’une réaction de conservatisme purement négatif devant les changements en cours n’est le fait que d’une toute petite minorité. Mais il est non moins indéniable qu’un sentiment d’incertitude, de trouble profond devant tout ce qui se passe actuellement dans l’Eglise est, au contraire, quasi universel à l’heure présente. Ce trouble, cette incertitude ne sont donc pas que des réactions d’attardés à redresser si on le peut, à négliger de voir en ne leur prêtant aucune attention positive dans un cas comme dans l’autre.
Il est indéniable, en effet, que les réactions en question sont provoquées, autant et plus que par le conservatisme supposé de ceux qui les manifestent, par le goût frénétique du changement pour le changement de quelques agités, guère plus nombreux sans doute que les rares conservatismes figés dans leurs habitudes, mais non moins bruyants et sûrs d’eux-mêmes s’il se peut.

D’étranges obstinés

Quelques-uns, il est vrai, refusent tout changement. Quand on célèbre (suivant les nouvelles prescriptions conciliaires), la liturgie en langue vulgaire, il se trouve parfois des fanatiques pour troubler la célébration en criant bien haut des réponses en latin. Et quand le prêtre, aujourd’hui, présente le Saint-Sauveur aux communiants en leur disant « le Corps du Christ » il rencontre parfois d’étranges obstinés qui le regardent d’un air de défi en serrant les dents pour ne pas lâcher l’Amen qu’on lui demande… Combien y en a-t-il ? Un sur mille, peut-être…Mais n’y a-t-il pas, dans une proportion qu’on voudrait espérer aussi faible, en dépit de la publicité qu’ils se font ou qui leur est faite, des gens qui invoquent à tout propos le Concile pour introduire des fantaisies de leur cru qui n’ont rien à voir avec la réforme conciliaire ?

N’y a-t-il pas quelques excités qui ne veulent plus du Saint-Sacrement gardé dans les églises, pour qui la messe doit être réduite à un repas fraternel désacralisé, et qui considèrent la traduction officielle des prières comme une survivance déjà dépassée à laquelle ils voudraient substituer des formules de leur cru, sans plus d’attache avec la tradition ? En fait, il faut le dire, ces novateurs frénétiques et ces conservateurs fanatiques s’entretiennent mutuellement dans leurs outrances également insoutenables.

Deux erreurs qui procèdent de la même confusion

D’où vient ce malaise chez les meilleurs chrétiens ?

Tout simplement de ce qui nous confondons trop facilement la fidélité à l’Eglise avec l’attachement à nos simples routines, de sorte que la fidélité à l’Evangile, en retour, ne nous paraîtra plus faire qu’un avec un enthousiasme éphémère pour n’importe quelle lubie. Les deux erreurs vont ensemble car elles procèdent de la même confusion. Conservateurs apeurés, novateurs survoltés sont également incapables de distinguer les dons de la grâce de leurs propres façons de faire, quelles qu’elles soient, parce qu’ils confondent la parole divine, fondement de l’Eglise, avec leurs idées toutes faites.
Jusqu’à ces derniers temps, les convertis (d’où qu’ils viennent, d’autres confessions chrétiennes, du judaïsme, ou de quelque forme d’incroyance ou de paganisme que ce soit), les convertis ne se sentaient pas vraiment acceptés par une grande partie au moins des catholiques de naissance.

Les convertis sont-ils méprisables ?

Tertullien disait : « On ne naît pas chrétien, on le devient. » Ces catholiques, eux, pensaient et agissaient comme si, au contraire, on naissait catholique, mais on ne saurait le devenir. Créaient, en quelque sorte leur catholicisme.
Or, aujourd’hui, parce que la vogue est à l’œcuménisme, au dialogue, etc., par le même réflexe, au fond, ces mêmes catholiques considèrent maintenant les convertis comme des imbéciles : de méprisables minus qui ne se sont pas rendu compte de la beauté, de la valeur humaine, voire même surnaturelle, de l’athéisme, du marxisme ou de n’importe quelle forme de religion pourvu qu’elle ne soit pas catholique, et qui viennent, par une démarche incongrue, compromettre la politique dernier cri de ces catholiques qui proclament maintenant qu’ils jugent leur religion assez bonne pour eux (et encore !) mais qu’ils n’ont aucun désir de la communiquer aux autres, lesquels peuvent se sauver aussi bien, ou mieux, sans elle !…

Une phase étonnement révélatrice

Je me rappelle avoir entendu, il y a quelques années, un prêtre dire à un jeune converti : « Vous vous intéressez beaucoup trop à la Bible et à la liturgie. Les vrais catholiques n’y attachent pas du tout cette importance. » Phrase étonnement révélatrice ! Quoi de plus essentiel pourtant, au catholicisme traditionnel, que la Parole de Dieu, que la tradition vivante de la vie ecclésiale où cette Parole est reçue et mise en œuvre comme elle doit l’être !… Oui, sans doute, mais pour tels catholiques simplement routiniers de l’époque, ces trésors n’étaient que des talents enfouis dans la terre. Le vrai catholicisme, à leurs yeux, c’était donc un catholicisme où personne ne se souciait de cela, et où seulement des intrus, des gêneurs, se mêlant de ce qui ne les regardaient pas, pouvaient s’y intéresser. Autrement dit, ce vrai catholicisme n’eût été qu’un complexe d’habitudes, bonnes et mauvaises, où les mauvaises, pourvu qu’elles fussent suffisamment invétérées, avaient autant et plus de droits que les bonnes à substituer.


Aujourd’hui, en se croyant libéraux et généreux…

Ce qui n’est pas vu, dans un cas comme dans l’autre (qu’on s’enferme dans le conservatisme ou qu’on explose dans le progressisme), c’est que l’Eglise n’est pas notre Eglise à nous, c’est que la vérité catholique n’est pas une vérité qu’on possède.

La vérité catholique, parce qu’elle nous est donnée (ou plutôt confiée) d’en haut, par le Christ, par Dieu, ne peut jamais être possédée par nous, c’est elle, au contraire qui doit prendre possession de nous, et la chose, certes, n’est pas facile. L’Eglise catholique n’est pas notre Eglise, à qui nous pouvons donner le visage qui nous plaît, aujourd’hui vieille demoiselle renfrognée, demain jeune écervelée facile et compatissante, à notre goût, qui sera toujours le goût du jour.

Un dépôt vivant dont nous devons vivre

L’Eglise est un héritage et bien plus qu’un héritage : un dépôt vivant dont nous devons vivre, puis croître pour le communiquer aux autres, en faisant tout autre chose que les encombrer de nos vieilleries ou que les déboussoler par nos fantaisies.

Louis BOUYER