La réaction de notre collaborateur Aimé Michel n’a pas été sollicitée. Elle nous vient par courrier tournant. Nous la publions telle quelle, en espérant que le lecteur la prendra avec un grain de sel, comme nous-mêmes. Dans ces colonnes, Aimé Michel a souvent abordé la définition des sciences positives : on ne s’étonnera pas qu’il s’en prenne à des sciences conjecturales, dont les résultats sont toujours controversés, et que le temps rend souvent caduques.
Dieu me garde de vouloir ajouter mon mot dans les profondes et graves discussions des exégètes sur la résurrection de Jésus et de Lazare et sur l’envol (qui se dit maintenant, paraît-il, exaltation) d’Énoch et d’Élie. En les lisant, je découvre mon ignorance et le rouge de la honte me monte au front. Je croyais que le mot « résurrection », par exemple, ne posait aucun problème d’exégèse. Je m’imaginais qu’un ressuscité revenait à la vie.
Je n’aurais par conséquent jamais songé à me poser la question qui trouble tant le P. Xavier Léon-Dufour [1] : « Qu’est devenu le cadavre ? » (a). – Eh ! mon père, aurais-je été tenté, dans ma candeur, de lui répondre, de quel cadavre parlez-vous ? S’il y avait encore un cadavre au tombeau après la résurrection, c’est cela qui serait embêtant, si vous me passez cette familiarité. Il y en aurait un de trop, et Hercule Poirot lui-même ne saurait qu’en faire. Dans un cas pareil, l’incollable détective imaginé par Agatha Christie serait fondé à se retourner vers son auteur et à lui dire : « Dans quel pétrin m’avez-vous fourré ? ».
La biographie du Ressuscité
Mais je badine. Exégèse, Dieu merci, n’est pas roman policier : l’exégète fait appel à l’anthropologie, à la cosmologie, aux évidences scientifiques (b). Il est vrai qu’il invoque d’une façon faite tout exprès pour humilier le malheureux homme de science borné et qui ne comprend rien à rien, ce qui, du reste, est fort bon, car on n’humiliera jamais assez l’orgueil des savants.
Par exemple (c ), il parait que les données de chronologie et de topographie sont insuffisantes pour permettre de reconstituer quelque « biographie du Ressuscité » », et que cela est très ennuyeux. Ah ! diable (c’est le cas de le dire), et pourquoi donc ? En physique non plus, on ne peut pas reconstituer la « chronologie » et la « topographie » des particules, et j’aurais été porté à penser bêtement que si l’électron refuse de venir docilement pointer au guichet, le créateur de l’électron pourrait lui aussi en être tenu quitte.
Encore une fois, Dieu me garde de fouler les plates-bandes de l’exégèse dont je respecte infiniment les profonds mystères. Mais quand les exégètes se réfèrent aux sciences profanes, cela éveille ma curiosité.
Il paraît, nous dit-on, que « si les anciens n’avaient aucune difficulté à imaginer une disparition de la matière, nos contemporains se sentent en contradiction avec une de leurs évidences scientifiques » (d).
Vraiment ? quelle évidence ? et quels contemporains ? Les physiciens, quant à eux, prennent cela avec beaucoup de philosophie : quand de la matière disparaît, ils trouvent la chose d’un extrême intérêt et le notent sur leurs tablettes sans aucunement perdre le sommeil, bien au contraire : avec un peu de veine, c’est même là un coup à avoir le prix Nobel.
De plus, et à supposer que les évidences et les contemporains en question existassent quelque part, n’y aurait-il pas dans l’usage qu’on en fait une de ces erreurs de raisonnement comme tout savant bien né se délecte d’en trouver dans la publication d’un cher collègue ? Car si Jésus est ressuscité d’entre les morts, c’est qu’il est Dieu et, dès lors, les évidences scientifiques, c’est lui qui les fait. Ne pourrait-il éventuellement, s’il lui plaît, les défaire ? Il est vrai, je m’en avise à l’instant, que l’exégète connaît très probablement la bonne façon d’interdire au Créateur un usage immodéré de sa toute-puissance. Me voilà coi. Ne parlons donc plus de cette objection-là.
Quoique à la réflexion, et sauf égarement, une autre petite difficulté me semble naître à l’horizon. Supposons, en effet, le Créateur dûment et fermement interdit de tout prodige, de quoi parlions-nous donc au juste ? N’était-ce pas de résurrection ? La résurrection sans miracle ni prodige ? Nous voilà dans de beaux draps, et j’aime mieux m’en tenir là, non sans prier messieurs les exégètes d’agréer l’expression de ma très haute considération. [2]
Je ne sais pourquoi cela me rappelle une discussion que nous eûmes l’autre jour, quelques amis et moi, entre poire et fromage. L’un de nous exprima l’avis (pas très original) que, décidément, la religion est chose difficile, qu’après deux mille ans de progrès, les voies de la sainteté sont toujours aussi escarpées, et qu’il serait temps d’inventer les moyens de mettre la religion à la portée de tout le monde, et surtout des mous, des tièdes et des paresseux, victimes d’une intolérable discrimination.
– Que nous chantez-vous là ? dit l’autre. Ces moyens existent. Je connais au moins une dizaine de ces pieux et faciles substituts de la sainteté dont les pharisiens étaient orfèvres au temps de Jésus... Les choses n’ont guère changé : battre sa coulpe sur la poitrine de l’Église ou dénoncer systématiquement autrui... Un bon truc, c’est l’ouverture au monde : vous allez de balthazars chez les francs-maçons en gueuletons chez les communistes, croissant chaque jour en mérite et en volume. Je vous donne le tuyau : il paraît qu’on mange mieux chez les francs-maçons, surtout au Grand-Orient. Il y a aussi la relecture.
Une démonstration peu charitable
– La relecture ? lui demandâmes-nous en chœur.
– Oui, vous prenez n’importe quelle lanterne à la mode, n’importe quelle fausse science comme il en traîne dans les revues intellectuelles, que sais-je ? la psychanalyse, l’astrologie, le structuralisme, la sémantique générale, et vous vous répandez en exposés intitulés : « Relecture structuraliste (ou korzybskyenne [3], etc.) de l’épître aux Romains ». Succès assuré.
– Entre tous ces moyens, lequel est le meilleur ? lui demandâmes-nous alors.
Oserai-je le dire ? Notre ami affirma que c’était l’exégèse. Je ne rapporterai pas sa démonstration qui manquait à la charité. Du reste, je crois qu’il se trompe. Au peu que j’en ai lu, l’exégèse moderne me parait une science infiniment ingrate.
Il est vrai que le texte sacré, lui, fut écrit par de pauvres ignorants qui ne savaient rien, à part la Vérité.
Aimé MICHEL
(*) Chronique n° 87 parue dans F.C. – N° 1322 – 14 avril 1972. Reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 23 « Prodiges et miracles », pp. 579-581.
(a) France Catholique, n° 1320 du 31 mars.
(b) Ibidem, col. 1 et 2. p. 12, colonne 3.
(c) Ibidem, p. 9, col. 9.
(d) Ibidem p. 9, col. 2.
Les Notes de (1) à (3) sont de Jean-Pierre Rospars
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Rappel :
Entre 1970 et sa mort en 1992, Aimé Michel a donné à France Catholique plus de 500 chroniques. Réunies par le neurobiologiste Jean-Pierre Rospars, elles dessinent une image de la trajectoire d’un philosophe dont la pensée reste à découvrir. Paraît en même temps, une correspondance échangée entre 1978 et 1990 entre Aimé Michel et le sociologue de la parapsychologie Bertrand Méheust. On y voit qu’Aimé Michel a été beaucoup plus que le « prophète des ovnis » très à la mode fut un temps : sa vision du monde à contre-courant n’est ni un système, ni un prêt-à-penser, mais un questionnement dont la première vertu est de faire circuler de l’air dans l’espace confiné où nous enferme notre propre petitesse. Empli d’espérance sans ignorer la férocité du monde, Aimé Michel annonce certains des grands thèmes de réflexion d’aujourd’hui et préfigure ceux de demain.
Aimé Michel, La clarté au cœur du labyrinthe. Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).
Aimé Michel, L’apocalypse molle. Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du Veilleur d’Ar Men par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).
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