Entretien avec François Esperet - France Catholique
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Entretien avec François Esperet

Propos recueillis par Alexis Chevalier

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Normalien devenu gendarme puis conseiller à la mairie de Paris, catholique devenu orthodoxe, lecteur devenu écrivain… quand vous vous retournez, que vous inspire ce parcours atypique ?

François Esperet : Je le vois comme un continuel approfondissement de ma vocation. Autrement dit, à chaque fois que j’ai bifurqué, changé de métier ou d’état, c’est simplement pour suivre ma voie, telle que l’Esprit me la dévoilait. Rien d’atypique donc de mon point de vue, bien au contraire. Ce parcours est la manifestation et la conquête de mon type. Il m’a amené en particulier à être davantage et mieux catholique au sein de l’église orthodoxe où j’espère devenir chaque jour davantage un serviteur du Christ.

Ce parcours semble habité par la foi et la parole de Dieu. Depuis quand lisez-vous la Bible ?

Depuis l’âge de seize ans environ. Je l’ai lue et relue, au point qu’elle a tissé les fils de ma conscience. Elle m’a procuré le souvenir de qui nous étions avant la chute, la conscience du péché, le sentiment néanmoins d’être à l’image et ressemblance de Dieu, et l’espérance du Royaume. J’ai l’impression que la lecture de l’Ancien Testament, et en particulier celle des psaumes, nourrit l’ensemble des facultés de l’âme. Quant à celle de l’Évangile, elle me bouleverse et convertit encore et toujours. De la lecture de la Bible je dirais, pour reprendre les paroles du psaume, qu’elle met mon cœur au large. Et c’est ce que j’ai toujours cherché aussi dans la littérature et la poésie.

Quels sont vos maîtres ? Que vous apportent ces lectures ?

Je préfère parler de pères ou de frères que de maîtres. En poésie Apollinaire : je suis né cent ans jour pour jour après lui et je n’ai rien lu d’aussi inspiré dans le domaine profane qu’il rend sacré. De ses vers je peux dire Ils sont des Christs d’une autre forme et d’une autre croyance / Ces vers sont les Christs inférieurs des obscures espérances.

Je pense également à Bob Dylan, qui est à mes yeux le plus grand poète en langue anglaise de ce siècle et du précédent.
En matière de littérature, je citerais Léon Bloy et Jack Kerouac – deux hommes épris d’absolu et dont l’œuvre et la vie se consument dans un désir fou de sainteté. Et je terminerais plus classiquement par Louis-Ferdinand Céline et Marcel Proust – deux grands génies du verbe…

Toutes ces lectures m’inspirent, à la fois pour écrire et pour vivre. Elles me font deviner, ressentir, comprendre et parfois contempler des éclats ou des états de la Vérité. Léon Bloy écrit de l’artiste que son élection (et sa malédiction) consiste à faire signe, pour ses contemporains, vers le paradis perdu dont il a douloureusement le souvenir. Je n’attends jamais moins que cela des artistes que j’aime : un raccourci vers le Royaume.

Et parmi les théologiens ?

J’ai été révolutionné à 17-18 ans par la lecture de Kierkegaard (après Bloy, un autre chrétien fervent contrarié par la tiédeur des institutions ecclésiales de son temps). Puis par la lecture de Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, et Catherine de Sienne. Enfin, depuis ma mue orthodoxe, par la lecture des Pères de l’Église – Grégoire de Nazianze, Maxime le Confesseur, et Grégoire Palamas – mais également par la grande voix contemporaine de Wladimir Lossky. En chacun de ces théologiens et mystiques (j’aime quand ils sont les deux à la fois), je vois des intensificateurs de la lumière évangélique – des révélateurs de la révélation.

Après « Larrons » et « Gagneuses », deux livres consacrés à des hommes et des femmes vivant dans les marges ou les souterrains, vous publiez Visions de Jacob. Est-ce bien le Jacob de l’Ancien Testament ?

Oui, c’est bien lui : le fils d’Isaac et de Rébecca, le frère d’Esaü, le voleur d’aînesse, le rêveur de l’échelle, l’époux de Léa et Rachel, le gendre de Laban, le père des douze tribus d’Israël, et le lutteur avec l’ange. Mais en même temps c’est moi. Il s’agit d’un grand poème épique à la première personne du singulier. Je me suis fait Jacob pour raconter à la fois sa vie et la mienne.

Comment vous est venue l’idée d’écrire sur un thème si différent de ceux abordés dans vos précédents livres ?

J’étais en pleine traversée du désert artistique et spirituelle quand j’ai rencontré, lors d’un dîner chez un ami, Marc Velay, un artiste passionné par Jacob. Nous avons parlé à bâtons rompus de sa ruse et puis de sa hanche, de l’échelle et puis de l’ange – de tous ce que ces versets révèlent de notre condition humaine. D’Origène aussi dans mon souvenir et d’exégèse. Le lendemain matin, un ami présent à ce dîner m’a dit, au cours d’un footing, voilà ce sur quoi tu devrais écrire : Jacob. Alors l’inspiration doucement est revenue.

Justement, il existe une édition de bibliophilie et une sculpture qui forment, avec l’édition courante, une seule et même grande œuvre à quatre mains. Les visions de Jacob de Marc Vellay et les vôtres sont-elles convergentes ?

Marc Vellay et moi avons parcouru ce chemin ensemble pas à pas. Les versets. Mes vers. Ses dessins. Nos visions de Jacob – non pas identiques, mais convergentes à l’endroit d’un seul et même mystère : celui de Dieu et celui de l’homme créé à son image et ressemblance. Et il est assez extraordinaire que, partant de deux vies, deux arts, deux expériences religieuses très différentes, nous nous soyons retrouvés à l’endroit de cette source mystérieuse. Cette œuvre à quatre mains dont vous parlez, je dirai qu’elle s’est construite dans le travail fraternel de deux fois deux mains acharnées à mettre à jour le Sens. Il reste de ces deux années de travail un rare triptyque d’objets auxquels ont concouru les artistes, mais également le mécène, les éditeurs et plusieurs artisans. De l’édition courante à la sculpture, chaque objet est le fruit d’une belle convergence de talent et de travail.

Notre confrère La Vie vous a consacré son dernier supplément « Les essentiels ». Pouvez-vous nous résumer en quelques phrases ce qu’il a compris de vous… Et ce qu’il n’aurait pas dit ?

Il a compris que j’aspirais à être libre. Parce que c’est librement que l’on rencontre le Christ, que l’on goûte à la Vérité, que l’on aime. Librement encore que l’on fait fructifier les talents confiés par le Seigneur. Librement enfin que l’on entre dans le Royaume – non pas après, non pas ailleurs, mais dès aujourd’hui. Cette liberté, Jésus l’a manifestée et respectée au point de mourir pour elle. Nous devons la chercher chaque jour comme la drachme perdue. Nous devons la vivre au grand jour comme on sort la lampe de sous le boisseau. Nous devons la laisser nous conduire à Dieu. Comme l’écrit simplement Nicolas Cabasilas, « notre cœur est un écrin si grand, si vaste, qu’il peut même contenir Dieu. »

aux Editions du Sandre http://www.editionsdusandre.com/accueil

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Dédicace à la librairie 49, rue Gay-Lussac le jeudi 22 mars 2018 de 16 à 19 h.

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Gravures de Marc Vellay http://www.marcvellay.fr/fr/sculpture/

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