Ce n’est pas un roman que raconte Fabrice Humbert, auteur de l’excellent la fortune de Sila, mais l’histoire vraie de sa famille maternelle tout au long du XXe siècle.
Version moderne des Rougon Macquart, l’auteur cherche à comprendre comment sa famille a traversé de manière singulière le XXe siècle. C’est de la réalité que des écrivains comme Balzac, Zola, Proust ont puisé leurs personnages et nourri leur imaginaire. Car la réalité, quand on prend le temps de se pencher sur elle, est toujours complexe. Le déterminisme social ne peut à lui tout seul faire surgir un personnage ; il faut y joindre le caractère mais aussi l’éducation, et des modèles que chacun se choisit selon ses rencontres, ses affections et ses affinités.
Pour Fabrice Humbert, tout part de sa grand-mère, Madeleine et de sa cousine germaine, Sarah, toutes deux nées pauvres et qui chacune vont se marier, avoir des enfants et des petits enfants. Deux cousines élevées comme des sœurs, mariées toutes les deux à des André et qui auront, sans pourtant jamais se quitter, des trajectoires radicalement différentes. Madeleine aura deux maris, cinq enfants, et une vie dure dont jamais elle ne s’est plaint. Sans avoir été à l’école, elle a le respect des livres et du savoir.
Sarah sera comblée par un mari aimant et au charisme exceptionnel, une vie paisible et aisée dans une belle maison de Clamart. C’est l’André de Sarah qui fonde une communauté, appelée la Fraternité, sorte de paroisse protestante, qui rassemble le dimanche parents et enfants, pauvres et riches mais unis par les mêmes valeurs de travail, de partage, et de rigueur. Et c’est ce même héritage qui fera que la mère de l’auteur gravira les échelons sociaux jusqu’à côtoyer ministre, chefs d’entreprises, et puis sur le tard, « people », tandis que sa cousine fraiera avec la gauche radicale pour finir emprisonnée pour cause de soutien à Action Directe.
A travers ces deux familles, c’est bien l’histoire de la France qui nous est contée, basculant avec Mai 1968, des Trente Glorieuses, au bling bling des années 90. Car entre temps, c’est l’argent qui a gagné sa place de nouveau dieu dans le panthéon des puissants de notre époque, éjectant sans ménagement les idéaux et les valeurs chrétiennes qui ont construit notre pays. On n’a pas fini d’en payer les dégâts et cependant, il n’y a pas d’amertume dans ce livre où l’auteur rend hommage à tous ceux qui lui ont permis d’être ce qu’il est aujourd’hui.
Fabrice Humbert, Eden Utopie, Gallimard.
