Chronique des années folles - France Catholique
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Pèlerinage de Chartres : la jeunesse de l'Église
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Chronique des années folles

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© UNESCO / J. Hammand

Voulez-vous vous réconcilier avec la sociologie ? Alors, lisez d’urgence les livres de Jean-Pierre Le Goff. Il est l’auteur du meilleur livre qui ait jamais été publié sur mai 1968 (Mai 1968. L’héritage impossible, La Découverte). Avec lui, les chausse-trapes de l’idéologie sont exclues parce que la complexité du réel échappe à ses catégories et parce que l’auteur est précisément passé par les griffes d’un gauchisme absolu, dont il est sorti, en en tirant toutes les leçons. On savait que l’étudiant avait eu un parcours militant très ardent, mais il ne l’avait jamais rapporté à travers toutes ses péripéties. Voilà qui est fait, avec un récit au titre significatif : Mes années folles.

À ceux qui objecteraient qu’il n’est peut-être pas très utile de ressasser un passé qui correspond à une étape révolue et qu’il n’est pas nécessaire de ranimer une nostalgie soixante-huitarde contre-productive, il convient de répondre que, précisément, la compréhension du présent, et notamment de ses prétendues avancées sociétales, n’est accessible que par l’étude généalogique d’une histoire intellectuelle, politique et sociale.

En revivant ses années de militantisme, Jean-Pierre Le Goff a fait une expérience étrange, il s’est découvert « soi-même comme un autre », selon l’expression de Paul Ricœur. Avec son personnage ancien, il avait pris toutes les distances. Il a aujourd’hui l’obligation de se le réapproprier. Ainsi en est-il de toute une littérature qu’il avait absorbée autour de ses 20 ans : « Les idées, le style et le vocabulaire me sont encore familiers, tout en étant devenues une sorte de langue morte gravée dans des manuscrits anciens que je parviens encore à décrypter. »

Le peuple adolescent

C’est que la culture de l’époque se mariait étroitement avec un certain type de militantisme. On pourrait dire exalté. Mais l’exaltation ne vient pas seulement d’un bouillonnement intellectuel, elle acquiert une puissance intérieure par l’apparition d’un phénomène inédit : le peuple adolescent. L’adolescence n’est plus cette étape intermédiaire, fugace et provisoire qui sépare l’enfance de la maturité adulte. Elle tend à se prolonger indéfiniment à cause des conditions qui retardent l’entrée dans la vie active, avec l’accès massif à l’université. Même si toute la génération des années soixante ne participe pas unanimement au rêve surréaliste de changer la vie, une frange importante voudra s’en emparer à travers une démarche de rupture. Ne s’agissait-il pas de « mettre l’imagination au pouvoir » ?

Il est vrai que, dans l’esprit gauchiste de l’époque, il y avait une étonnante composition avec le marxisme-léninisme des formations trotskistes et maoïstes. Ce qui produisait des différences d’engagement, avec la perspective commune d’une révolution qui renverserait l’ordre bourgeois et capitaliste. Inutile de préciser que le modèle maoïste et l’exemple des Gardes rouges étaient complètement fantasmés par rapport aux réalités sordides d’un régime totalitaire meurtrier. Mais il fallait avoir en point de mire un modèle idéal, tel celui de l’Espagne républicaine dont on ignorait les exactions.

Le rêve idéologique allait donc inspirer quelques milliers de jeunes, disposés à un affrontement direct avec un régime promis au fascisme. Jean-Pierre Le Goff peut faire ainsi le récit de son action dans l’université et des bagarres les plus dures avec les forces de l’ordre, alors qu’il était étudiant à Caen, une ville particulièrement sensible à cette agitation. Rétrospectivement l’agressivité à l’égard d’enseignants comme Pierre Chaunu et Lucien Jerphagnon fait froid dans le dos, tant l’intolérance se traduit par la persécution.

Ce militantisme correspond à une période révolue, mais il n’en est pas moins en relation directe avec le gauchisme culturel qui a pris le dessus depuis lors. Pour Jean-Pierre Le Goff, la contre-culture d’hier « s’est répandue dans la société, devenue culturellement dominante dans le secteur de l’édition, de la culture, du journalisme devenu militant et même du showbiz s’érigeant en nouveau donneur de leçons ».

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Mes années folles. Révolte et nihilisme du peuple adolescent après mai 1968, Jean-Pierre Le Goff, Robert Laffont, 432 p., 22 €.