« Chanter est le propre de celui qui aime » - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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« Chanter est le propre de celui qui aime »

Traduit par Bernadette Cosyn

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La phrase de Saint Augustin, « Cantare, amantis est » (Chanter est le propre de celui qui aime), est devenue le titre d’un de ces petits livres classiques de Joseph Pieper qui disent tant de choses.

Le titre anglais est également charmant – Only the Lover Sings (Seul l’amoureux chante). Je me rappelle avoir lu quelque part que les chants d’oiseaux n’ont pas besoin de toutes les notes qu’ils gazouillent pour assurer la vie quotidienne et la reproduction. La réalité regorge de choses apparemment inutiles dont nous pourrions très bien nous passer. Pourtant, nous les avons. Et elles embellissent notre existence. Il nous est donné plus que ce dont nous avons besoin. La réalité n’est pas parcimonieuse. Nous nous demandons pourquoi. Nous nous en réjouissons.

Pourquoi chantons-nous et dansons-nous ? Nous arrivons à un point ou simplement parler ou rester tranquillement assis semble insuffisant. Pourquoi la mariée danse-t-elle avec son époux et son père le jour de ses noces ? Il est dit que les anges sont organisés en chœurs. Ils louent et glorifient Dieu. Mais a-t-Il vraiment besoin de leur musique pour Le glorifier ? Dieu se situe bien au-delà du « besoin ». Il existe déjà en gloire.

Dieu n’a pas besoin de nous par manque de quelque chose dans Sa vie trinitaire. La « vie » de Dieu ne serait-elle pas moins ouverte au doute si Il n’était pas embarrassé de la nécessité d’expliquer pourquoi il a introduit des êtres humains finis et de toute évidence faillibles dans Son monde ? La plus grande accusation contre Dieu est généralement : « Si Il ne voulait pas que nous péchions, pourquoi s’est-il d’abord donné la peine de nous créer ? »

L’existence du péché au sein d’une création bonne signifie que Dieu avait quelque chose d’autre en tête. Il ne voulait pas que nous péchions, c’est sûr ; mais Il ne voulait pas ne pas nous créer, même si nous devions pécher. Alors Il nous a créés. Il nous a créés mâle et femelle. Il prévoyait que nous pécherions. Il en a porté les conséquences en Lui-même, en Son Fils.

La réponse à cette question éternellement déconcertante du péché se trouve probablement dans le « Cantare, amantis est » de Saint Augustin. S’occuper de nos péchés n’est pas le dernier mot du Dieu/ homme, bien que ce soit le dernier mot qu’Il ait prononcé depuis la Croix, « la Tête Sacrée encerclée ».

Dans le Livre de la Sagesse, nous lisons : « tu aimes toutes les choses qui existent ; tu n’as d’aversion pour rien de ce que tu as créé » (Sagesse 11). Cet amour pour tout ce qui existe devait évidemment inclure l’amour de ceux qui finalement Le rejetteraient, quelque chose qui nous est toujours possible. Dieu ne peut pas « faire » que quelqu’un qui ne veut pas L’aimer se mette à L’aimer. Dans quel but ?

Dans un passage rappelant à la fois Martin Buber et Joseph Pieper, Joseph Ratzinger, dans « Principes de théologie catholique » (1987) écrivait : « la clef du je se trouve avec le tu ; la clef du tu à travers le je. Nous arrivons maintenant à la question capitale. Est-ce vrai alors, si quelqu’un me dit : ‘est-il bon que tu existes ?’ » Cela ne peut être vrai que si mon existence et ton existence sont elles-mêmes voulues par une Existence qui est elle-même bonne, une existence qui n’est pas capable de ne pas exister. Autrement, nos existences et nos affections ne font que passer.

Le Psaume 12 dit : « je chanterai le Seigneur qui m’a accordé de bonnes choses ». Le langage de l’amour dit : « il est bon que tu existes ». Le langage de l’amitié ajoute que : « il est bon que nous existions et que nous nous connaissions ». Le langage de la vérité affirme : « il est vrai que tu existes ». Le langage de la création affirme que « toi et moi nous existons même s’il n’était pas nécessaire que nous existions ». Le langage au sein de la Trinité parle « vie éternelle ».

Dans le Livre de Judith, on nous exhorte :  « faites du bruit pour notre Dieu sur des tambours, et chantez pour mon Seigneur avec des cymbales. Commencez un nouveau chant en son honneur, exaltez et invoquez Son Nom. Je chanterai pour mon Dieu un cantique nouveau. Seigneur, Tu es grand et glorieux » (Judith 16). Dans le Psaume 47, « Dieu monte parmi les ovations, le Seigneur s’élève au son du cor ; chantez les louanges de Dieu, chantez ! »

On trouve de nombreuses références à la musique dans l’Ecriture, bien que, étonnamment, on trouve peu de choses dans le Nouveau Testament, à l’exception des anges dans le ciel à la Nativité. Quand le Christ visite la synagogue de Nazareth, Il « lit » dans Isaïe, Il ne psalmodie ni ne chante le texte. Je ne me rappelle d’aucun tambour, cinnor ou harpe aux noces de Cana.

« Etre humain est un recommencement dans chaque homme » écrivait Ratzinger en 1979 : « Le succès de la génération précédente ne peut pas être transféré simplement et automatiquement à la génération qui vient. Chaque génération peut et doit faire bon usage de ce qui a été précédemment accompli. Mais chaque génération doit également souffrir, surmonter et gagner pour soi l’état d’être humain. »

Chaque vie humaine débute dans l’obscurité du Verbe. « A la fin, seul celui qui l’aime le chante. »


James V. Schall, qui a été durant trente-cinq ans professeur à l’université de Georgetown, est l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique.

Illustration : « La danse de Myriam » par un artiste inconnu de l’école littéraire et religieuse de Tarnovo, vers 1360 [Musée Historique d’Etat, Moscou, Russie]. Tirée du psautier bulgare de Tomic, cette œuvre illustre Exode 15:20 : « Et Myriam la prophétesse, la sœur d’Aaron prit un tambourin à la main ; et toutes les femmes sortirent derrière elle en dansant avec des tambourins ».

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/26/cantare-amantis-est/