Ce que nous avons à perdre - France Catholique
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Ce que nous avons à perdre

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L’opéra fonctionne parce qu’il plonge l’être humain dans les questions les plus difficiles auxquelles il peut être confronté. Que pourrait-il m’arriver de pire ? Le grand danger imposée autrefois par la piété traditionnelle était la perte de son âme immortelle. Cette ancienne perspective a été abondamment exposée lors d’une récente production de « Faust » de Charles Gounod par l’Opéra National de Washington.

Le public mondain avec lequel j’ai assisté au spectacle n’était clairement pas trop inquiet par la possibilité de la damnation. Le compositeur ne semblait pas lui-même aussi imprégné des présages catholiques qu’il semblait le suggérer. D’ailleurs, la version de Gounod de la grande mésalliance avec le diable n’est plus aussi populaire qu’elle l’a été. « Faust » a beau être l’œuvre qui a ouvert le nouvel Opéra Métropolitain en 1883, il n’est plus désormais une référence de répertoire.

Il se peut que sa description résolument catholique de la lutte entre le ciel et l’enfer soit tout simplement moins crédible. L’art enraciné dans une sensibilité chrétienne est aussi vulnérable à un épuisement que cette sensibilité elle-même. Le critique musical du Washington Post a semblé en dire autant en notant que la production semblait un peu en décalage avec l’époque.

Mais est-ce le mot de la fin pour un chef-d’œuvre que les générations précédentes tenaient en si grande estime ? Un opéra ouvertement catholique peut-il fonctionner pour le grand public ? Le chrétien prend-il les alternatives du salut ou de la damnation, tout simplement trop démodées pour aujourd’hui ?

La perspective traditionnelle reste dans le cadre choisi pour les homélies dominicales, mais fonctionne-t-elle sur la scène de l’opéra de la façon dont le Paris du XIXe siècle de Gounod pouvait le considérer ? Bien sûr, même dans ce contexte, il a peut-être atteint les limites de la présumée piété du public. En d’autres termes, y a-t-il quelque chose d’universel dans la légende de Faust et son récit particulier ?

L’un des effets les plus puissants de la musique en général et de l’opéra en particulier, est certainement qu’elle nous attire vers les tréfonds de l’existence. Les émotions humaines brutes sont exposées et nous n’avons d’autre choix que de les engager comme étant nôtres.

Comme beaucoup de mes collègues de la salle de spectacle du Kennedy Center, « Faust » a dû prendre en compte le déclin de son pouvoir dans le processus de vieillissement. Mais contrairement au public, il était en pleine révolte contre le destin. Son cri pour redevenir jeune évoquait Méphistophélès, l’esprit diabolique qui insinue la possibilité de tromper la vie elle-même.

Même les notes du programme du concert laissaient entendre qu’il s’agissait d’une affaire « faustienne », qui est le principal point de convergence avec notre monde. Pourtant, ce n’est pas simplement le pouvoir qui est recherché. Faust de Gounod veut être jeune à nouveau, pour ressentir à nouveau les passions vigoureuses de la jeunesse.

Qui ne voudrait pas revenir en arrière en ces jours grisants d’excitation mêlée de joie ? Le désir peut naître facilement, mais un moment de réflexion révèle les formidables inconvénients d’une existence sans fin. La vie elle-même serait vidée de tout sens, chacun de ses moments perdant sa signification particulière.

La mortalité ne peut être trompée qu’au prix de tout ce qui fait de la valeur de la vie. Nous ne pouvons ni arrêter ni inverser le processus de vieillissement, malgré les progrès de la longévité. La mort peut être différée mais non évitée. Chercher à la vaincre, c’est perdre le fil qui relie tout ce qui est plus réel que la vie elle-même.

Nous ne vivons pas pour maintenir une vie physique, mais pour préserver tout ce qui dépasse l’envie de survivre. Même une vie pleine de passions et de plaisirs juvéniles devient lassante quand elle ne mène plus à rien de plus significatif dans les relations qui comptent pour nous.

Méphistophélès entraîne les citadins dans un chœur entraînant à Bacchus, mais Faust s’intéresse à la transcendance plus profonde que seul l’amour peut fournir. C’est ici que se déroule le centre de la tragédie. Nous commençons à voir qu’il veut obtenir l’amour sans le donner. Son marché avec le diable est de se donner sans vraiment le faire. Il veut tromper l’amour. C’est pour cela qu’il est incapable d’amour à la fin.

La signification de l’opéra ne tourne pas autour des fastes de l’âme et de l’au-delà, mais de la tragédie bien réelle de l’auto-immolation dans celle-ci. En tant que personne qui veut vivre sans en payer le prix, Faust est incapable du sacrifice nécessaire à l’amour. Malgré ses meilleures inclinations, il est incapable d’amour. C’est ce qui le condamne.

Il ne peut pas se donner à Marguerite quand elle se donne à lui, car il a déjà résolu de se retenir. Il ne peut pas dire, comme elle le lui dit, «je suis prête à mourir pour vous ».

Faust a décidé de tromper la mort en prolongeant la vie dans le même rêve qui touche nos illusions contemporaines. Il a perdu tout ce qui rend la vie digne d’être vécue. Seuls ceux qui sont prêts à perdre leur vie la trouveront. Nous n’existons pas pour nous-mêmes mais pour les autres et ce n’est qu’en découvrant que nous trouvons la vie au-delà de la vie.

Marguerite, qui est la véritable pièce maîtresse du drame de Gounod, est celle qui le voit le plus clairement. C’est ce qui la sauve, lui donnant la grâce de se repentir à la fin. La tragédie est que c’est ce que Faust cherche aussi dans son faux marché pour la jeunesse éternelle. La seule éternité qui soit réelle est celle prononcée dans la première affirmation de l’amour quand ils le déclarent ensemble comme « éternel ».

Le mécanisme scénique de la conclusion par laquelle Marguerite est attirée vers le haut et que Faust descend, n’est autre que l’externalisation des choix spirituels qu’ils ont faits. En acceptant la vie comme un mouvement extérieur, Marguerite a transcendé la vie. Mais en cherchant à maîtriser les conditions de la vie, Faust a irréversiblement perdu la vie réelle.

Le paradis et l’enfer se révèlent être réels, ou spécialement, pour ceux qui ne peuvent plus les considérer comme réels.

Lundi 5 avril 2019

https://www.thecatholicthing.org/2019/04/15/what-we-have-to-lose/

Image : Marguerite quittant l’église par Ary Scheffer, 1838 (Institut des Arts de Détroit, Etats-unis). Faust se tient avec Méphistophélès à droite.

Auteur : David Walsh est professeur de politique à l’université catholique d’Amérique, à Washington, et l’auteur de plusieurs livres.