Ce à quoi nous nous opposons - France Catholique
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L'incroyable histoire des chrétiens du Japon
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Ce à quoi nous nous opposons

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Bien que les manquements des prêtres et des évêques soient un lieu évident pour commencer à traiter la crise actuelle, le chemin vers une authentique réforme nécessitera une réflexion attentive et une perspective plus large, incluant la place des laïcs dans la vie, la gouvernance et la mission de l’Eglise. Ce n’est pas une tâche facile.

Pour le meilleur et pour le pire, la capacité de l’Eglise à répondre à la crise d’abus sexuels par des clercs est liées aux débats de longue date sur l’ecclésiologie, qui couvent depuis des décennies, mais surtout depuis le concile Vatican II. Tout le monde à l’heure actuelle est assoiffé de réforme, mais « réforme » pose inévitablement la question de « forme », et alors la question fondamentale devient incontournable : « Qu’est-ce que l’Eglise ? »

Bien comprendre cette question est d’évidence une proposition à fort enjeu, ce qui explique en partie pourquoi les discussions sur la réforme cléricale et la place des laïcs dans la gouvernance de l’Eglise traînent si facilement en longueur ça et là. Sous chaque proposition pratique, sous chaque tentative de « faire quelque chose » se cachent quelques contre-courants théologiques puissants.

Ces courants peuvent faire traîner même des propositions semblant simples – par exemple, engager un bureau d’experts en majorité laïcs pour examiner des accusations de fautes d’évêques – cela dans une multitude de débats plus fondamentaux sur la nature de l’autorité épiscopale, le rôle du sensus fidelium et ainsi de suite. Les courants sont forts et nous sommes dans des eaux qui seraient traîtres même si le bateau n’était pas vilainement en train de prendre l’eau comme c’est le cas.

Pour compliquer encore les choses, il y a le fait que lorsqu’on en vient au rôle des laïcs dans la réforme de l’Eglise, les modèles à portée de main sont souvent (trop souvent) tirés de la politique. Il y a une forte tendance à penser le clergé et les laïcs en termes antagonistes – démocratie contre autoritarisme – ou même en termes marxistes de lutte des classes : un « peuple de laïcs » contre une « élite cléricale ».

Bien sûr, l’Eglise est une sorte de forme de gouvernement, mais les analogies politiques deviennent facilement contaminées par des catégories qui ne sont tout simplement pas adaptées au Corps du Christ. Considérer la relation entre le clergé et les laïcs comme une proposition à somme nulle est profondément inadéquat à la réalité de ce qu’est et doit être l’Eglise.

Une meilleure place pour commencer est la Première Lettre de Saint Paul aux Corinthiens. Paul use d’une analogie avec le corps pour décrire la relation de l’Eglise avec ses divers membres. « L’œil ne peut pas dire à la main ‘je n’ai pas besoin de toi’ ». (Le pape François, dans sa lettre d’août dernier sur les abus a pris le même passage paulinien comme thème de ses réflexions : « si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est mis à l’honneur, tous les autres membres partagent sa joie ».)

La maladie et le déclin dans un membre affectent l’ensemble. Un membre qui se rebelle contre le corps blesse l’ensemble du corps et se met lui-même en danger. Si cela ne l’était pas auparavant, les derniers mois l’ont rendu douloureusement clair.

Pris au sérieux, cela signifie aussi que – sans nier d’aucune manière la culpabilité spécifique de ceux qui ont commis, couvert ou toléré de tels abus – la responsabilité de la crise actuelle et la responsabilité pour restaurer la santé du Corps du Christ concernent également les laïcs. Attendre le renouveau du clergé sans un authentique renouveau dans le Corps du Christ en tant que tout est une recette vouée à l’échec.

La relation entre le clergé et les laïcs est faite de complémentarité et d’interdépendance. Il est facile de voir comment les défaillances du clergé affectent l’Eglise : quand un évêque manque à ses responsabilités d’enseignement et de gouvernement, les laïcs souffrent et errent. Quand des évêques ignorent les demandes de justice en raison d’un sens dévoyé de la miséricorde, les laïcs souffrent et errent. Quand un évêque fait mine de ne pas voir l’abjection – que ce soit par lâcheté, fatuité ou complicité – l’Eglise toute entière souffre.

Mais quand les laïcs ignorent leurs évêques et méprisent leurs enseignements, l’Eglise souffre également. Quand nous nous trompons nous-mêmes en pensant que notre temps et nos talents sont à nous et non destinés au service de l’Evangile, toute l’Eglise souffre. Quand nous dénonçons publiquement les péchés du clergé, et qu’ensuite nous mentons, forniquons, trompons et trahissons dans notre confortable anonymat, nous blessons le Corps du Christ.

Les membres du Corps du Christ, clercs ou laïcs, ne peuvent pas offrir de l’encens sur les autels de Moloch, Mammon ou Asmodée – regardez autour de vous ! – et ne pas s’attendre à ce que leur domination croisse et embellisse. Nous ne pouvons pas empoisonner et polluer le corps auquel nous appartenons et nous attendre à ce que le reste du corps n’en souffre pas.

L’Eglise a besoin de tenir compte des péchés de ses prêtres et évêques. La justice et la miséricorde sont toutes deux nécessaires en abondance. Les laïcs ont beaucoup à faire pour aider nos pasteurs, ils ont besoin de notre aide et ils la désirent dans cette longue (et souvent désespéramment lente) corvée de réforme.

Les laïcs détiennent un trésor dont l’Eglise aura besoin de disposer : expertise légale, savoir psychologique et médical, sagesse dans l’éducation et la formation humaine, un savoir chèrement acquis sur la guérison, le pardon, le courage et les expériences de la puissance transformante de la grâce de Dieu. Aucun de ces dons ne peut être épargné.

Naturellement, nous devons également nous souvenir que c’est une bataille spirituelle. Rien n’est plus important pour les laïcs que mener cette bataille et savoir ce à quoi nous nous opposons. Nous devons nous armer par la prière et les sacrements, tout spécialement l’Eucharistie et le sacrement de Réconciliation. Quand nous nous autorisons à être humbles, guéris et affermis – avec l’aide irremplaçable de simples hommes que Dieu nous a donnés comme pasteurs – nous soignons et raffermissons l’Eglise.

Le véritable ennemi dépasse chacun de nous, mais notre Champion est plus fort et notre espérance fondée.

Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat !


Stephen P. White est membre des Etudes Catholiques au Centre d’Ethique et de Politique Publique de Washington.

Illustration : « La chute des anges rebelles » par Pierre Bruegel l’Ancien, 1562 [Musée Royal des Beaux-Arts de Bruxelles]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/31/knowing-what-were-up-against/