« C'est le retour de l'imprévisible » - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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« C’est le retour de l’imprévisible »

Damien Le Guay est philosophe et vice-président du Comité national d’éthique du funéraire. Il rappelle l’importance psychologique, anthropologique et religieuse de l’accompagnement des mourants et des défunts au prisme de l’épidémie de Covid-19.
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Jésus guérissant la belle-mère de Pierre, de John Bridges, 1839.

Jésus guérissant la belle-mère de Pierre, de John Bridges, 1839.

« Comme Jésus entrait chez Pierre, il vit sa belle-mère couchée avec de la fièvre. Il lui prit la main, et la fièvre la quitta. Elle se leva, et elle le servait » (Mt 8, 14-17).

Quelles premières leçons peut-on tirer de l’épidémie qui nous frappe ?

Damien Le Guay : Trois éléments sont à prendre en compte. Ce qui est nouveau, tout d’abord, c’est que nous sommes passés d’un monde ouvert à un monde fermé. Comme s’il y avait désormais en France 60 millions de petites bulles qui doivent se protéger de la mort qui rôde. En chacun de nous, dans l’autre, dans les rapports humains, dans nos relations d’affection, on peut potentiellement rencontrer la mort. L’ami peut devenir l’ennemi.

L’épidémie, par ailleurs, engendre un retour du tragique. Nous pensions qu’il était possible d’éliminer la mort, de la considérer comme nulle et non avenue. Nous l’avions ainsi cachée, dissimulée, renvoyée le plus loin possible, pour ne pas nuire à la « festivisation » [caractère festif NDLR] du monde. En vain manifestement.

Cet épisode, enfin, signe le retour de l’aléatoire, de l’imprévisible, de l’immaîtrisable. On en était arrivé à penser que l’on maîtrisait le processus de la mort jusqu’au bout – ce qui explique la tentation euthanasique. Or cette vision s’effondre. La mort s’impose à nous et rappelle son imprévisibilité absolue.
C’est le retour de « la Grande Faucheuse » qui s’empare des uns et des autres sans raison et sans distinction de classe.

Comment l’Église doit-elle se mobiliser pour envoyer des prêtres au chevet des mourants dans les hôpitaux et les EHPAD ?

85 % des obsèques en France revêtent encore une dimension religieuse alors que seulement 3 à 4 % des Français se déclarent pratiquants. Ce n’est pas anodin. Le religieux et la mort ont partie liée. Or si nous sommes en état de laïcité, et nous le sommes (et cela vaut des deux côtés), l’autonomie des sphères laisserait à penser que la bonne volonté et les risques assumés par les religieux devraient pouvoir être traduits en actes, indépendamment des contraintes imposées par l’État. Pourquoi faudrait-il étouffer la petite voix d’Antigone et de tous ces prêtres qui veulent faire leurs ultimes devoirs religieux et humains ? Les interdits de Créon sont de peu d’importance face aux devoirs de la conscience quand il faut tenir la main d’un mourant. Songeons aussi à saint Damien de Molokai, au XIXe siècle, qui considérait que son devoir de chrétien était d’accompagner les lépreux jusqu’au bout, dans leur misère, dans leur ultime fragilité. Il le fit et prit le risque de contracter la maladie et d’en mourir.

Le gouvernement réduit l’autonomie des ministres du culte. Ils ne sont pas des fonctionnaires. Il y a quelque chose de contraire à l’esprit de la laïcité. Je sais que beaucoup de prêtres sont en situation d’incompréhension profonde. Beaucoup d’entre eux souffrent de rester confinés. Des gens meurent sans ultime présence religieuse. Quand les autorités religieuses acceptent la raison hygiéniste, elles valident une défaillance vis-à-vis des mourants et des morts et des endeuillés. Peuvent-elles accepter cet abandon, quand elles mettent en avant l’attention aux faibles, aux pauvres, à ceux qui souffrent ? C’est contradictoire. Ces pauvretés sont toutes présentes au moment du deuil. Ceux qui passent par l’Église ont des convictions qui engagent le Salut et le sens. Elles doivent aussi être accompagnées et respectées.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien dans le magazine.