Anatomie de notre politique - France Catholique

Anatomie de notre politique

Anatomie de notre politique

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Dans Démocratie en Amérique Alexis de Tocqueville propose aux citoyens de pays démocratiques un mode de contrôle simple, fondé sur les réalités de la nature humaine: « Deux opinions… aussi vieilles que le monde, et . . . perpétuellement exprimées, sous des formes et des noms variés, existent dans toutes les sociétés libres — l’une tendant à limiter, et l’autre à accroître indéfiniment, les droits des gens. »

Selon Tocqueville, la distinction conservateurs/progressistes n’est pas une « épine dans le pied » du corps politique, mais plutôt un élément indispensable à toute société libre. Elle agit en régulateur biologique pour la santé politique. Tout comme le corps conserve sa température en transpirant sous la chaleur, et en frissonnant dans le froid, ou comme le pancréas qui secrète l’insuline à la dose précise pour maintenir le glucose à un taux normal — les progressistes sont toujours présents pour défendre les droits de l’homme tandis que les conservateurs s’élèveront contre les interventions excessives de l’état, droits pas nécessairement pris en considération par la majorité, et soutiens évoluant selon les modes et les courants populaires.

La tentative de Tocqueville pour distinguer plusieurs « constantes » dans la nature humaine a pour origine des études de psychologie et de génétique du comportement. Deux « vrais » jumeaux séparés dès la naissance auront vraisemblablement des opinions politiques comparables. L’extraverti croit que « tout le monde il est gentil », et a tendance à s’orienter vers le progressisme; l’introverti éprouve souvent des réserves sur les mouvements imprévisibles et les changements de l’homme, et aurait tendance au conservatisme.

Le neurologiste Steven Pinker cite dans « The Blank Slate » [Le tableau vide] des études sociologiques montrant qu’il y a des groupes de comportements n’ayant à première vue rien de commun, chez les progressistes et les conservateurs:

Une personne favorable à la réhabilitation des condamnés, ou à « l’action affirmative », ou à des programmes sociaux généreux, ou à la tolérance envers l’homosexualité, il y a de bonnes chances pour que ce soit un pacifiste, un environnementaliste, un activiste, égalitariste, laïque, professeur ou étudiant… Si vous entendez dire d’une personne qu’elle est franchement militariste… vous pouvez parier qu’elle est aussi favorable à une justice sévère plutôt qu’indulgente. Il y a des chances pour que quelqu’un croyant à l’importance de la religion soit impitoyable envers le crime, et favorable à une fiscalité légère.

Analysant la théorie de Tocqueville sur l’opposition entre développer et restreindre le pouvoir « du peuple », il faut garder à l’esprit que, en raison des variantes psychologiques, progressistes et conservateurs n’ont pas la même définition « du peuple ». Pour bien des conservateurs, « le peuple » pourrait être une « majorité silencieuse » souvent entravée dans sa progression par les interventions gouvernementales; pour nombre de progressistes, « le peuple » peut désigner des groupes de taille diverse, parfois « marginalisés », parfois embrigadés, demandant davantage d’interventions de l’état.

La contribution de ce décorticage de la scène politique à la « santé socio-politique » dépend en bonne part des structures constitutionnelles. Dans les systèmes parlementaristes, les partis peuvent en se coalisant constituer un front uni. Dans notre système bi-partisan de fait, un parti tiers peut causer une certaine confusion. Bien des partis tiers se sont révélés au cours du vingtième siècle — le Parti de la Prohibition, le Parti Socialiste, le Parti Communiste, etc. Lors de la dernière élection présidentielle un « Parti de la Loi naturelle » a fait surface ! Les partis tiers les plus récents sont les Libertaires, les Verts, et le « Parti de la Constitution ».

Un problème, avec notre système bi-partisan, est qu’on peut aboutir à ce que Lewis Carroll [Le mathématicien, auteur de Alice au pays des merveilles] appelait « le paradoxe du vote ». Par exemple, si les électeurs ont le choix entre trois candidats, et la préférence d’un groupe est: A>B>C, un autre groupe d’égale importance préfère: B>C>A, et le troisième, tout aussi important, préfère: C>A>B, la « majorité », malgré les différentes préférences, pourrait aboutir à préférer A à C, si on a demandé de choisir d’abord entre A et B, puis entre B et C. En fait, seul le premier groupe préférait A à C.

Le fond du problème, dans un scrutin serré, se trouve dans la soustraction opérée par le tiers-parti sur les voix destinées à l’un des deux grands partis, ce qui entraîne la défaite de l’un des deux d’une courte majorité. Lors de l’élection présidentielle de 2000, par exemple, bien des partisans d’Al Gore se sont plaints que Ralph Nader ait joué l’obstruction, piratant des voix au détriment de Gore.

L’idéal, bien sûr, serait que chaque parti, dans le système bi-partisan, publie des contre-propositions au programme du parti adverse — par exemple en proposant des réductions de dépenses en compensation de mesures menaçant l’équilibre financier; ou en dispensant certaines catégories de personnes ou de groupes d’un contrôle gouvernemental excessif; ou en limitant par la loi les graves écarts aux règles morales traditionnelles. Des exemples spécifiques sur ce dernier point: « pas de questions, silence » [NDT: la règle, récemment abrogée,  » Don’t ask, don’t tell » tolérait l’homosexualité chez les militaires pourvu qu’elle fût cachée.]; ou diverses restrictions à la pratique de l’avortement dans de nombreux états.

Comme je l’ai précédemment indiqué, la véritable menace sur la démocratie américaine est maintenant, après le « progressisme classique » de la seconde moitié du vingtième siècle, la porte ouverte à une nouvelle forme de progressisme dépassant la protection de droits de base largement acceptés, et inventant de nouveaux « droits » au mépris de la morale traditionnelle. On peut alors craindre que les progressistes s’accrochent à l’idéologie de sorte que tout compromis devienne impossible, sauf par le sacrifice fatal de certains principes.

On peut aussi penser que les conservateurs, opposés à la doctrine de droits d’individus ou de groupes, en arrivent à prôner la disparition anarchique de contrôles gouvernementaux légitimes et nécessaires. Ce qui ne s’est pas encore produit. La balle est maintenant dans l’autre camp. Les conservateurs sont à la recherche de progressistes classiques avec qui les possibilités de compromis seraient plus confiantes.

Howard Kainz

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Illustration : Alexis de Tocqueville, par Théodore Chassériau (1850)

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http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/an-anatomy-of-our-politics.html