AU CŒUR DE L’INCONNU (Suite et fin) - France Catholique
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AU CŒUR DE L’INCONNU (Suite et fin)

Seconde partie de la chronique n° 253 parue initialement dans F.C.-E. – N° 1545-1546 – 23-30 juillet 1976

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Laissons là Viking pour l’instant1. Le cœur de l’inconnu, il n’est pas forcément dans l’univers matériel. Au même moment aussi, une revue scientifique américaine (a) publiait des résultats qui vont faire plaisir à André Frossard (b) et à beaucoup d’autres.

Tous nos lecteurs se doivent de lire et de méditer le dernier livre de Frossard, récit d’une foudroyante expérience mystique. La simplicité, le talent littéraire, la modestie, la bonhomie de l’auteur étaient nécessaires pour que notre médiocrité ne fût pas effarouchée par tant de lumière2.

Au cours des pages, parfois, le bon Frossard, sans se fâcher (lui qui sait si bien planter la banderille), rapporte les « objections » qu’on lui a opposées, du genre : « Ne seriez-vous pas un peu tombé sur la tête ? », ou bien : « Votre prétendue vision ne serait-elle pas tout simplement la solution subite d’une crise inconsciente ? » (bienheureux les bigots de la psychanalyse, car leur sera toujours épargné de rien voir3). Et Frossard de répondre, toujours-souriant4.

L’article scientifique dont je parle lui fournira quelques arguments. Il s’agit d’une recherche sociologique sur la personnalité des mystiques réalisée par le National Opinion Research Center (NORC), selon les méthodes du sondage et de la psychologie statistique5.

La question posée pour définir le mystique était la suivante : « Vous est-il arrivé d’éprouver (to feel) que vous étiez en étroit contact (very close to) avec une puissante force spirituelle qui semblait vous arracher hors de vous-même ? » Ce sont les individus ayant répondu « oui » qui furent étudiés, au nombre de quatre cent quatre-vingt-dix.

Première constatation, ce nombre : « l’expérience extatique est largement répandue dans la population ». Mais les faits les plus intéressants concernent les traits de personnalité : « Il n’a été découvert aucun fait confirmant l’image selon laquelle le mystique serait quelqu’un qui cherche à fuir la réalité ou présentant des symptômes schizophréniques. Contrairement aux “psychiques” (c’est-à-dire aux personnes alléguant des expériences de télépathie, de prémonition, etc.), les mystiques sont en majorité de sexe masculin ; ils ont en majorité une éducation supérieure à la moyenne ; ils tendent vers des situations supérieures à la moyenne (more successful economically) ; ils sont moins racistes ; ils obtiennent des scores plus élevés aux tests de bien-être psychologique ; la proportion des mystiques est beaucoup plus élevée chez les noirs que chez les blancs ; les relations d’enfance des (futurs) mystique avec leurs parents sont différentes chez les noirs et chez les blancs. »

Le test utilisé pour évaluer le « bien-être psychologique » était le « balance affect scale » de Bradburn. Bradburn lui même commentant les résultats, déclare qu’il ne connaît aucun trait psychologique montrant une corrélation plus étroite que le mysticisme et le bien-être psychologique.

Messieurs les théologiens, athées et autres crétins, qui portent au mystique un mépris « scientifique » sont des ignorants. C’est ce que je ne cesse de répéter.

Aimé MICHEL

(a) Studies in Religion and Ethnicity Series, n° 90-013. Sage publications, Londres, p. 88.

(b) André Frossard, Il y a un autre monde (Fayard).

Seconde partie de la chronique n° 253 parue initialement dans F.C.-E. – N° 1545-1546 – 23-30 juillet 1976. (La première partie a été mise en ligne il y a deux semaines).


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 4 février 2013

  1. Quand cette chronique fut écrite, la première sonde américaine Viking ne s’était pas encore posée sur Mars et elle fut publiée quelques jours avant que ne soit réalisée les expériences de biologie qui firent couler tant d’encre. Voir les deux chroniques précédentes, n° 253, Au cœur de l’inconnu (Début) – Viking : un bicentenaire sur Mars (21.01.2013), et n° 254, Viking et l’autre façon américaine d’être plombier – L’univers aime s’amuser et il aime bien ceux qui s’amusent avec lui (28.01.2013).
  2. André Frossard (1915-1995) est à l’époque un journaliste célèbre, surtout pour le bref article « Cavalier seul » qu’il publie chaque jour en première page du Figaro. Son livre Il y a un autre monde (Fayard, Paris, 1976), qu’Aimé Michel porte ici à l’attention de ses lecteurs, est le second volume de ses mémoires dont le premier, Dieu existe, je L’ai rencontré (Fayard, Paris, 1969), publié sept ans auparavant, fut un grand succès en France et à l’étranger avec 16 traductions dont deux diffusées en samizdat dans les pays de l’Est. Le récit de l’expérience mystique elle-même est relativement bref : disons une douzaine de pages en comptant large. Le reste du premier ouvrage est consacré aux souvenirs de famille, d’enfance et de jeunesse qui précèdent sa conversion, tandis que dans le second il relate ses suites dont les épreuves douloureuses de son incarcération à la prison de Montluc comme résistant et la perte de deux enfants.

    Le père d’André, Louis-Oscar, que ses camarades appelaient Ludovic-Oscar, était issu du mariage improbable d’un grand-père prolétaire, d’origine vaguement catholique, et d’une grand-mère juive, un peu plus aisée. Il venait d’un village proche de Belfort, « le seul village de France où il y eût une synagogue et pas d’église ». Dans la famille de sa mère on était piétiste, secte protestante sans pasteurs ni sacrements. André naquit en 1915, dans cette famille « rouge » où la tolérance naissait naturellement d’une totale indifférence religieuse : « Dieu n’existait pas. (…) Le ciel était vide, la terre une combinaison d’éléments chimiques assemblés en formes fantasques par le jeu des attractions et des répulsions naturelles. Elle nous livrerait bientôt ses derniers secrets, parmi lesquels il n’y avait point de Dieu. Nous étions des athées parfaits, de ceux qui ne s’interrogent plus sur leur athéisme. Les derniers militants anticléricaux qui prêchaient encore contre la religion dans les réunions publiques nous paraissaient touchants et un peu ridicules. (…) Car l’athée parfait n’était déjà plus celui qui niait l’existence de Dieu, mais celui pour qui le problème de l’existence de Dieu ne se posait même plus. » (p. 34).

    La vocation de Ludovic-Oscar est précoce : à dix ans il décide qu’il sera journaliste et député. Dès 13 ans, cet enfant surdoué, se rallie au socialisme et, journaliste en culotte courte, se fait connaître par ses correspondances locales puis ses articles dans l’Humanité de Jean Jaurès. Il sort très jeune de l’école normale mais est promptement révoqué de son poste d’instituteur pour menées révolutionnaires. Il est « réduit au dénuement. Mais la politique lui tenait lieu de tout. » Servi par une intelligence, une mémoire et une éloquence hors du commun, il devient à vingt-neuf ans secrétaire du parti socialiste et s’installe à Paris avec sa famille. En compagnie de Marcel Cachin, directeur de l’Humanité, il visite la Russie des Soviets. Ils en reviennent éblouis. A leur suite, au congrès de Tours, les deux tiers des militants choisissent la IIIe internationale : c’est la naissance du Parti communiste français et L.-O. Frossard en devient le premier secrétaire général. Plus tard il sera onze fois ministre sous la IIIe République…

    André, très bon élève, entre en sixième à 9 ans et demi, mais le changement de milieu ne lui réussit pas. Tout en se passionnant pour Homère, Voltaire, Rousseau et le dessin, il décroche. On l’inscrit à l’Ecole des arts décoratifs mais il n’y est pas plus assidu. A 17 ans, son père le fait entrer dans un journal du soir où il s’initie aux petites enquêtes sur des faits divers, « la chute des feuilles et l’exposition des chats ». Il y apprend « le monde, dans la compagnie désenchantée d’experts qui en connaissent surtout les exceptions du crime et de la réussite » et se laisse entraîner dans de mauvais lieux. Renvoyé sans explication, son père le fait entrer au journal concurrent. Là, il se lie d’amitié avec André Willemin, « grand frère plein d’attentions, qui veillait sur mon travail et sur ma santé. » Ils ont de longues conversations mais Willemin, catholique, « n’avait aucune considération pour mes idées. Je n’en avais pas davantage pour les siennes. (…) Constatation faite de nos désaccords, nous couchions sur nos positions, plus que jamais séparés, plus que jamais inséparables. » Willemin lui prête Un Nouveau Moyen Age du grand philosophe russe Nicolas Berdiaeff qui ne fait sur lui « aucune impression ».

    Le 8 juillet 1935, Willemin l’entraîne à travers Paris dans sa vieille voiture pour aller dîner. Rue d’Ulm, il s’arrête et entre dans une chapelle où Frossard quelques minutes plus tard le suit « pour examiner de plus près, en dessinateur, ou en badaud, le bâtiment dans lequel je suis tenté de dire qu’il s’éternise ». Il est 17h10. Il cherche son ami des yeux parmi les formes agenouillées. Son regard alors se fixe sur le deuxième cierge qui brûle à gauche de la croix occupant le fond de la chapelle. « Et c’est alors que se déclenche, brusquement, la série de prodiges dont l’inexorable violence va démanteler en un instant l’être absurde que je suis et faire venir au jour, ébloui, l’enfant que je n’ai jamais été. »
    « Tout d’abord, ces mots me sont suggérés : vie spirituelle.

    Ils ne me sont pas dits, je ne les forme pas moi-même, je les entends comme s’ils étaient prononcés près de moi à voix basse par une personne qui verrait ce que je ne vois pas encore.

    La dernière syllabe de ce prélude murmuré atteint à peine en moi la rive du conscient que commence l’avalanche à rebours. Je ne dis pas que le ciel s’ouvre ; il ne s’ouvre pas, il s’élance, il s’élève soudain, fulguration silencieuse, de cette insoupçonnable chapelle dans laquelle il se trouvait mystérieusement inclus. Comment le décrire avec ces mots démissionnaires, qui me refusent leurs services et menacent d’intercepter mes pensées pour les consigner au magasin des chimères ? Le peintre à qui il serait donné d’entrevoir des couleurs inconnues, avec quoi les peindrait-il ? C’est un cristal indestructible, d’une transparence infinie, d’une luminosité presque insoutenable (un degré de plus m’anéantirait) et plutôt bleue, un monde, un autre monde d’un éclat et d’une densité qui renvoient le nôtre aux ombres fragiles de rêves inachevés. Il est la réalité, il est la vérité, je la vois du rivage obscur où je suis encore retenu. Il y a un ordre dans l’univers, et à son sommet, par-delà ce voile de brume resplendissante, l’évidence de Dieu, l’évidence faite présence et l’évidence faite personne de celui-là même que j’aurais nié un instant auparavant, que les chrétiens appellent notre père, et de qui j’apprends qu’il est doux, d’une douceur à nulle autre pareille, qui n’est pas la qualité passive que l’on désigne parfois sous ce nom, mais une douceur active, brisante, surpassant toute violence, capable de faire éclater la pierre la plus dure et, plus dur que la pierre, le cœur humain. »

    Quand il sort, il déclare à son ami « Je suis catholique, apostolique et romain ». Pendant un mois, chaque matin, il retrouve cette lumière et cette douceur. Puis elles s’effacent. « Un père du Saint-Esprit entreprit de me préparer au baptême en m’instruisant de la religion dont je n’ai plus à préciser que je ne savais rien. Ce qu’il me dit de la doctrine chrétienne, je l’attendais et je le reçus avec joie ; l’enseignement de l’Eglise était vrai jusqu’à la dernière virgule, et j’en prenais acte à chaque ligne avec un redoublement d’acclamations, comme on salue un coup au but. Une seule chose me surprit : l’eucharistie, non qu’elle me parût incroyable ; mais que la charité divine eût trouvé ce moyen inouï de se communiquer m’émerveillait, et surtout qu’elle eût choisi, pour le faire, le pain qui est l’aliment du pauvre et la nourriture préférée des enfants. De tous les dons éparpillés devant moi par le christianisme, celui-là était le plus beau. »

  3. On sait le scepticisme d’Aimé Michel à l’égard de la psychanalyse qui, en ces années, exerçait une influence considérable sur les intellectuels de toute obédience.
  4. Dans Il y a un autre monde Frossard examine en effet quelques-unes des critiques qu’on lui a opposé :

    « Ce n’était pas Dieu, dit l’un, théologien de forte réputation. Cet excellent jeune homme a fait une percée intuitive “dans les profondeurs de l’Être”. (…) Ce n’est pas l’Être vague et anonyme de la philosophie qu’il a découvert, c’est un être (…) tel que depuis le jour où il l’a rencontré, la nature, quoiqu’elle fasse, et les hommes, quoiqu’ils disent, ne lui ont plus parlé que de Lui. »

    « Cela ne se peut, dit un autre. On ne rencontre pas Dieu, surtout dans les églises, il n’y a pas de “révélations personnelles”. (…) Toute l’histoire du judéo-christianisme est une suite ininterrompue de révélations personnelle, autant de fois répétées qu’il y eut de croyants ; Dieu ne compte que jusqu’à un. »

    « Impossible, a affirmé un troisième objecteur, féru de psychanalyse ; il n’y a pas de mutations brusques. (…) [T]oute conversion est précédée d’un cheminement conscient ou inconscient ; il fallait le décrire, en donner une idée. Mais comment prend-on conscience de son inconscient (…) ? On ne peut donner satisfaction à la psychanalyse qu’en excluant d’emblée toute intervention du divin dans la vie quotidienne. (…) De même qu’il y a des révélations personnelles (…), il y a des mutations brusques, des revirements imprévisibles, et quand on parviendrait (…) à expliquer ces changements de cap de manière naturelle (…), il faudrait encore expliquer la transformation radicale de l’être qui s’opère dans le même instant (…). Si ces mutations brusques sont des miracles, eh bien ! il y a des miracles (…). » (pp. 24-28)

    « Je n’ai pas rêvé, poursuit Frossard. (…) Il n’y a pas de rêve qui recommence tous les jours au point où il s’est arrêté la veille. (…) Je n’ai rien imaginé. Si mon imagination avait été à l’œuvre, elle eût produit des images ; or il n’y en a pas eu, et c’est même ce qui rend la description difficile. Si j’en ai employé tout de même, c’est faute d’un langage mieux approprié au spirituel pur et vivant. Ce fut une expérience objective. Je veux dire que la joie (…) m’est arrivée dessus comme une onde de lumière d’une puissance irrésistible et douce dont le déferlement m’a pris à l’improviste, (…) encore dois-je ajouter que je ne me savais pas au bord de cet océan. (…) [J]’ai assisté à ma propre conversion avec un étonnement qui dure encore. »

    « “Bon, m’a-t-on dit. Vous êtes ce que l’on vous fait. Votre père est socialiste, vous êtes socialiste. Dieu passe, vous voilà chrétien. Et votre libre arbitre ?” » Frossard reconnaît qu’il n’a pas « adhéré au christianisme en adulte conscient et informé » et qu’il a dû beaucoup réfléchir pour comprendre que la liberté a deux pôles et répondre ainsi à l’objection. L’un des pôles est la liberté qui va vers l’affirmation de soi et la haine de tout ce qu’elle ne peut incorporer, la liberté des démagogues et des idéologies qui aboutit à l’esclavage politique et moral. L’autre pôle est celui qui va vers la négation du « moi », qui le délie de soi pour l’amour d’un autre, ou des autres, qui ne se fortifie pas de ce qu’il prélève sur autrui mais de ce qu’il lui donne. « La vérité divine ne retire pas sa liberté à celui qu’elle visite, elle la lui apporte. Pourquoi, comment aurais-je opposé mon libre arbitre à celui que je venais de découvrir, puisque ma liberté, c’était Lui ? » (pp. 58-62).

    A la question « A quoi reconnaît-on qu’une apparition (…), ou une vision intellectuelle (…) est vraie ? » il répond par trois règles de discernement : « On la reconnait « à ce signe qu’elle fait douter de tout le reste. (…) Un deuxième “contrôle d’identité” est la parfaite coïncidence de ce que l’on apprend dans ces moments-là, et de l’enseignement de l’Eglise, quand l’Eglise ne craint pas d’enseigner. (…) Troisième preuve, le renversement complet du témoin, qui pour toujours (…) prend conscience de son insignifiance (…) » (pp. 206-207).

    Fort de la véracité de son expérience, il écarte d’autres objections et erreurs :

    « Ceux qui vous disent : “Il n’y a pas de Dieu qui soit une personne”, se trompent. (…)

    Ceux qui lèvent les épaules et affectent de tout ignorer de Dieu, disant : “Il est Tout Autre, il est inconnaissable”, ne les croyez pas. (…)

    Ceux qui vous disent : “La pensée du divin est dissolvante, et nous détourne des œuvres de justice, que nous avons à accomplir ici-bas”, énoncent une ineptie. (…)

    Ceux qui vous disent : “Tout est donné dans la nature, il n’y a rien de plus que l’histoire, et la conscience que l’humanité peut prendre de son destin”, se trompent. (…)

    Quand ils ajoutent : “Il n’y a rien après la mort, tout finit là, il n’est pas pour nous de vie éternelle”, ils se trompent encore, s’ils sont incroyants. Mais s’ils sont chrétiens, ils se contredisent. (…)

    Car il y a un autre monde. Son temps n’est pas de notre temps, son espace n’est pas de notre espace ; mais il est. » (pp. 199 et sq.)

  5. On sait l’importance qu’Aimé Michel accordait aux expériences mystiques, voir notamment la chronique n° 153, Un substitut de la contemplation – Electroencéphalographie et mysticisme (mise en ligne le 06.06.2011). Sans entrer dans ce vaste sujet, essayons simplement de replacer l’expérience de Frossard dans son cadre « naturel » sachant que tous les convertis ne sont pas des mystiques, ni tous les mystiques des convertis. Rémy Chauvin s’est attaché à décrire les traits généraux de la conversion religieuse dans l’un des chapitres d’un livre d’un grand intérêt, malheureusement peu connu, Dieu des savants, Dieu de l’expérience (Mame, Tours, 1958). En biologiste fidèle à la méthode expérimentale il se fonde sur l’observation concrète de cas suffisamment documentés de conversions au catholicisme romain. Il distingue les conversions « progressives », passant par des voies surtout intellectuelles, et des conversions « catastrophiques » qui sont plus répandues. Il illustre ces dernières en examinant une quinzaine de conversions célèbres (Paul Claudel, Max Jacob, Edith Stein, Thomas Merton etc.) Si ces expériences ont en commun une soudaineté et une force qui impressionnent beaucoup ceux qui les vivent, elles varient beaucoup dans le détail et les impressions « sensorielles » associées (vue, voix) sont loin d’être toujours présentes (4 cas seulement). Chauvin dégage les généralisations suivantes :

    Âge : nettement entre 40 et 60 ans ; peu de conversions de très jeunes gens, « sans doute parce que les grands problèmes métaphysiques ne sont pas sentis avant un certain âge ». L’expérience d’André Frossard paraît donc exceptionnelle de ce point de vue.

    Sexe : pas d’effet marqué, sinon « peut-être une violence plus grande des processus affectifs à type catastrophique « chez les femmes. .

    Milieu social : rôle ambigu ; « les manœuvres n’ont pas l’habitude d’écrire leurs mémoires, ni ne se prêtent volontiers (tout au moins en France) à des enquêtes sur leur évolution religieuse » (Toutefois voir le contre-exemple de Jean Coulonval dans la chronique n° 43, La noblesse de la main – Ce qui égale l’ouvrier à tout autre homme c’est que le geste bien fait est une forme de pensée, 08.11.10)

    Incubation : très variable dans sa durée et ses caractères.

    Déclenchement : dans des circonstances très variées elles aussi, souvent dans un édifice religieux, ou en accomplissant un acte plus ou moins religieux.

    Suites : très variables, pouvant ne se manifester pleinement que de nombreuses années après l’apparition du phénomène décisif.

    « Les anciens auteurs (…) ont beaucoup insisté sur le caractère soi-disant pathologique du phénomène, suivant la ligne de pensée freudienne. D’après eux, les convertis sont dépourvus d’unité innée, leur psychisme est mouvant. (…) Ils inventent un Ami puissant qui les complète, les apaise et leur permet de compenser perpétuellement leurs échecs (…) Ces objections n’ont rien d’absurde, et on ne peut y répondre que sur le plan général. (…) L’histoire des sujets, avant l’“accident” est aussi variée qu’il est possible ; de même leur milieu social, leur profession, leur caractère, d’après ce que l’on en sait. Il s’agit donc dans la thèse freudienne de reconstructions brillantes, mais indémontrables (…). Toutes ces belles affirmations sur ce qui a dû se passer avant et pendant la conversion sont gratuites ; dans l’état actuel de la science, ce ne sont, au mieux, que des Indécidables. »