À propos de l’Hortensius - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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À propos de l’Hortensius

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Dans le livre III des Confessions, Augustin a dix-neuf ans. Il vient d’arriver à Carthage en provenance de l’arrière-pays de Thagaste et de Madura pour apprendre la rhétorique, après quoi les meilleurs étudiants étaient envoyés vers « l’étude du droit ». La grande ville était « un chaudron bouillant d’amours illicites ». Ses pairs l’admiraient. Il était censé exceller mais il s’est rendu compte que « moins il serait honnête, plus il serait célèbre ». Il est resté loin des pires actes de ses amis mais il avait honte de ne pas rejoindre leurs distractions où la plupart faisaient les imbéciles avec n’importe qui.

Cette attitude est assez classique de la vie à la faculté à presque toutes les époques, y compris la nôtre.

« Avec ces hommes comme compagnons de mon immaturité, j’étudiais les livres d’éloquence ; car mon ambition était de briller par l’éloquence, tout cela venant d’une vanité damnable et pour la satisfaction de la vanité humaine. »

Augustin n’aimait pas étudier le grec, mais il aimait Cicéron et Virgile. C’était un jeune homme romantique, déjà établi avec une jeune dame. S’il avait continué dans cette voie, il aurait bien pu finir riche et célèbre, mais également corrompu.

Puis il s’est produit quelque chose que j’ai toujours considéré comme un des grands moments de l’histoire humaine. Mais personne, y compris Augustin, n’en connaissait la signification à l’époque. Beaucoup ne la connaissent toujours pas. Les grands événements commencent dans le calme, dans ce qui semble être de purs accidents. Mais il n’y a aucune raison pour laquelle les accidents ne pourraient pas être aussi des éléments de la providence.

Augustin prépare des cours. Il suit le « cours normal des études », quelque chose évidemment prescrit par la règle ou la tradition. Il tomba sur un dialogue de Cicéron à propos d’un certain Quintus Hortensius Hortalus. Dans cet ouvrage, Cicéron cherche à convaincre Hortensius- 1 de changer ses manières.

Évidemment, Hortensius est un monsieur plutôt éloquent, avec une bonne réputation. Le seul inconvénient est qu’il a bâti sa réputation en défendant des politiciens et des gouverneurs corrompus. Cicéron voulait qu’il voie que le bonheur humain est quelque chose de plus grand. En d’autres termes, il voulait l’introduire à la philosophie.

Le dialogue de Cicéron a lui-même une odeur du Protrepticus d’Aristote, ouvrage disparu qui servait à introduire les étudiants à l’étude appropriée de ce qui est le meilleur en nous et dans la réalité. (Voir « A Protreptic : What Is Philosophy ? » de Thomas Prüfer, Communio, 30, été 2003).

Mon intérêt pour ce dialogue n’est pas tant l’explication de Cicéron sur comment faire cela. Le fait est que nous n’avons pas ce dialogue de Cicéron. L’essentiel de ce que nous avons à son sujet provient des citations qu’en a extraites Augustin. Nous n’avons pas le Protrepticus d’Aristote. Pourtant, nous savons qu’ils ont existé et qu’ils ont changé des vies. Et au moins, nous savons que l’Hortensius a changé une vie, celle d’Augustin.

« Il est certain qu’il a changé la direction de mon esprit, modifié ma prière vers vous, Ô Seigneur, et m’a donné un nouveau but et une nouvelle ambition. Tout à coup, toute la vanité en laquelle j’avais espéré, je l’ai vue comme sans valeur et, avec une incroyable intensité de désir, j’ai ardemment désiré la sagesse immortelle. »

Si nous pouvions lire nous-mêmes le dialogue de Cicéron, nous pourrions réagir de la même manière qu’Augustin, mais pour mon propos actuel, il suffit d’observer la manière avec laquelle le jeune Augustin y a répondu.

Bien sûr, la première chose qu’Augustin a faite en le terminant fut de quitter ce qu’il faisait et de gaspiller sa vie déjà bien gâchée en rejoignant les Manichéens. Il le fit en partie parce que ceux-ci pouvaient justifier sa manière de vivre.

Autrement dit, sa philosophie a suivi sa morale, et non l’inverse comme il se fût dû. Mais l’étincelle était là. Augustin a commencé à réaliser que l’Écriture n’est pas aussi confuse qu’il le pensait. Il court ensuite vers les Platoniciens qui lui expliquent pourquoi Dieu n’est pas un organisme. Mais il ajoute, dans un passage célèbre, que les Platoniciens parlaient du Verbe, mais pas du Verbe incarné.

Dans le tome VII des Confessions, Augustin revient sur ce sujet. Il a alors une douzaine d’années de plus que ses dix-neuf ans lorsque pour la première fois, il « fu[t] troublé par la lecture de l’Hortensius vers l’étude de la sagesse, et là encore, je différai l’abandon du bonheur de ce monde pour me consacrer à la recherche de ce que non seulement la découverte mais la simple quête vaut mieux que de trouver tous les trésors et les royaumes des hommes, mieux que tous les plaisirs de la chair même si on peut les avoir sur un simple signe de tête. »

Les mots clés sont « troublé » et « recherche ». Au centre de toute existence humaine se trouve un moment d’agitation lorsque ce « trouble » et cette « recherche » se produisent. Il doit être accepté ou rejeté comme l’élan qui remue notre être même, que ce soit vers la philosophie ou vers les royaumes des hommes. L’histoire ultime de nos vies, une fois élaborée, suivra la manière dont nous avons répondu à ces premiers « troubles » qu’Augustin a trouvés dans l’Hortensius.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/06/20/on-the-hortensius/

James V. Schall, S.J., qui a exercé comme professeur à l’Université de Georgetown pendant trente-cinq ans, est un des écrivains catholiques les plus prolifiques d’Amérique. Parmi ses récents ouvrages figurent The Mind That Is Catholic (« L’esprit qui est catholique »), The Modern Age (« l’Âge moderne »), Political Philosophy and Revelation: A Catholic Reading (Philosophie politique et révélation : une lecture catholique »), Reasonable Pleasures (« Plaisirs raisonnables »), Docilitas: On Teaching and Being Taught (« Docilité : sur le fait d’enseigner et d’être enseigné ») et Catholicism and Intelligence « Catholicisme et Intelligence).

  1. Hortensius seu De philosophia liber est une œuvre de Cicéron composée en 45 av. JC mais perdue au Moyen-Âge.