Que signifie l’Immaculée Conception ?
Michèle Reboul : Proclamé le 8 décembre 1854 par Pie IX, ce dogme signifie que Marie est préservée du péché originel dès sa conception, en vue de sa maternité divine, donc de notre Rédemption, puisque le Christ s’est incarné pour nous sauver. Le Père Maximilien Kolbe disait : « Marie était Immaculée parce qu’elle devait être Mère de Dieu, et elle devient Mère de Dieu parce qu’elle était Immaculée. » Cette préservation du mal fait d’elle la femme la plus libre au monde car être libre, c’est correspondre totalement à la volonté de Dieu. À l’inverse, le péché originel, c’est de vouloir se substituer à Dieu, être Dieu, puisque Satan a dit à Adam et Ève : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn 3, 5).
Quand a commencé cette croyance en l’Immaculée ?
Le peuple chrétien, qui a le sens de la foi – sensus fidei –, a toujours cru que Marie avait été conçue immaculée, sans péché. En effet, comment admettre que le Verbe incarné, Dieu fait homme, ait pu naître d’une femme qui aurait été sous le joug péché, comme nous ? Dans ce cas, elle n’aurait pas pu, comme dit la Genèse (3,15), écraser la tête du démon. Et dans le « Je vous salue Marie », nous invoquons chaque jour Marie « pleine de grâce », comme l’a saluée l’archange Gabriel : la plénitude de grâce divine signifie qu’elle n’a même pas subi le péché originel. Le peuple a toujours spontanément cru à cette élection particulière de Marie. Mais il a fallu dix-neuf siècles, jusqu’à la proclamation du dogme, pour que l’Église formule une croyance qui habitait le peuple de Dieu depuis toujours.
Pourquoi cela a-t-il été si long ?
Les théologiens avaient un problème avec cette croyance car si Marie était immaculée dès sa conception, cela signifiait qu’elle n’avait pas été assujettie au péché originel comme toutes les créatures. Cela signifiait donc qu’elle n’avait pas eu besoin de la grâce de la rédemption, le don de Dieu qui rachète tous les hommes par le sacrifice du Christ. C’était inenvisageable que Marie, comme créature, n’ait pas eu besoin d’être rachetée. Il y a eu des siècles de débat à ce sujet. Beaucoup de théologiens pensaient que Marie avait été sanctifiée seulement après que Dieu ait infusé l’âme dans son corps, 90 jours après sa conception, comme beaucoup de théologiens le croyaient alors. Saint Bernard, docteur marial pourtant, ne croyait pas que Marie avait été préservée du péché originel, en raison de la Rédemption universelle, donc applicable à toutes les créatures. Saint Augustin, saint Ambroise et saint Jean Chrysostome, saint Anselme et Eadmer, eux, y croyaient.
On dit que saint Thomas d’Aquin lui-même n’y croyait pas…
On a longtemps cru cela, mais c’était une falsification de la troisième partie de la Somme théologique, parue après sa mort, par un de ses opposants ! C’est ce que révèlent plusieurs de ses disciples et saint Jean Eudes, qui témoigne qu’un éditeur falsifiant les écrits du théologien « fut accusé devant le pape Paul V » « d’avoir corrompu ce que saint Thomas a dit en faveur de cette très pure Conception » et l’en avoir « puni sévèrement ». Par ailleurs, les éditions primitives, comme le manuscrit conservé chez les Dominicains de Marseille, ne contiennent pas ces parties falsifiées niant la conception immaculée. Ce qu’a confirmé le cardinal Gousset, au XIXe siècle, pour qui « si l’on compare les éditions anciennes et modernes de ses œuvres […], plusieurs de ses ouvrages, notamment ceux où il parle de la Conception de Marie, ont subi des suppressions ou d’évidentes altérations ». Enfin, le procureur général des Dominicains, le Père Spada, a confirmé la croyance de saint Thomas en la doctrine de la conception immaculée, en 1839, et la falsification de la Somme, en 1863. Thomas d’Aquin croyait donc fermement en la conception immaculée, qu’il affirme clairement dans trois de ses livres : le premier livre des Sentences, dans son Commentaire sur les Psaumes et dans celui de l’Épître aux Galates. On peut y lire : « Tous les enfants d’Adam sont conçus en péché, excepté la très pure Vierge Marie […] entièrement préservée de tout péché originel et véniel. »
Qu’est-ce qui a fait basculer le débat ?
Pour dépasser le problème théologique de la nécessité que Marie, en tant que créature, avait nécessairement été, elle aussi, sauvée du péché originel, le bienheureux Duns Scot (1266-1308), Franciscain et docteur marial, a compris qu’elle avait bénéficié de la Rédemption de manière préventive, par anticipation des mérites futurs de la Passion et de la Résurrection de son Fils, afin de pouvoir être la Mère de Dieu. Les Franciscains ayant bien entendu suivi Duns Scot, il y a eu une longue querelle théologique avec les Dominicains à ce sujet.
Quand la doctrine a-t-elle été officialisée ?
C’est au concile de Bâle, en 1439, que la doctrine de la conception immaculée a été promulguée : « La glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, par une faveur spéciale et par une grâce prévenante et opérante, n’a jamais été actuellement assujettie au péché originel. » Le concile érigea en fête d’obligation la fête du 8 décembre de la conception immaculée de Marie. Le pape Sixte IV, en 1477, institua officiellement la fête. Le concile de Trente, en 1546, parle de la « bienheureuse et immaculée Vierge Marie ». Plusieurs papes ont proclamé également cette doctrine. Durant le pontificat de Grégoire XVI (1831-1846), de nombreuses demandes, dont celles de plusieurs archevêques français, ont afflué du monde entier pour proclamer le dogme. Mais le Pape craignait de rendre la chaire apostolique « odieuse aux pays protestants ». Cependant il a fait ajouter aux litanies de la Sainte Vierge l’invocation « Reine conçue sans le péché originel, priez pour nous ! » Enfin, en 1854, Pie IX a proclamé le dogme de l’Immaculée Conception. Cela signifie que ce nom est son essence, son être même, comme Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui suis » (Ex 3, 14). C’est son identité même ! Et c’est ainsi qu’à Lourdes Marie a révélé son nom à sainte Bernadette, en 1858 : « Je suis l’Immaculée Conception » ! La Sainte Vierge n’est pas venue « confirmer » le dogme : l’Église qui est infaillible quand elle proclame un dogme, n’avait pas besoin de confirmation ! Elle a voulu expliquer au monde entier, aux petits, au peuple, que son nom est l’Immaculée Conception. À Lourdes, tout le monde peut comprendre, pas uniquement les théologiens…
Et à Fatima, Marie a de nouveau évoqué ce nom…
En effet, lors des apparitions de Fatima, en 1917, Marie a demandé la dévotion à son Cœur immaculé, salut des pécheurs – premier secret de Fatima –, salut des nations – deuxième secret – et salut de l’Église – troisième secret. Le Christ désire ardemment que nous ayons cette dévotion car le Cœur immaculé de Marie est « l’aimant qui attire les âmes à moi », révèle-t-il à Sœur Lucie de Fatima. Dieu a voulu que toutes les grâces passent par Marie puisque, écrit le Père Kolbe, « la grâce jaillit du Cœur Divin de Jésus sur nous tous en passant par ses mains maternelles ».

L’Immaculée Conception. Clé de voûte de la Création, Michèle Reboul, Éd. Via Romana, 2018, 552 pages, 29 €.

Une Âme en quête de la Vérité. Autobiographie, Michèle Reboul, Éd. Via Romana, 2020, 282 pages, 24 €.





