Au début du IVe siècle, émerge une menace mortelle pour le jeune christianisme, à peine sorti de la terrible période des persécutions romaines. Né sous l’impulsion d’un prêtre d’Alexandrie, Arius, l’arianisme présente aux chrétiens impériaux le visage séduisant d’un ascétisme philosophique, propre à nourrir les aspirations intellectuelles et spirituelles de la nature humaine (cf. FC n° 3904 du 30 mai 2025). Et pourtant, cette doctrine, qui repose sur l’exagération de principes fondamentaux de la religion – l’éternité, la toute-puissance et la transcendance du dieu –, introduit une distorsion gravissime dans la foi chrétienne et le message révélé.
La divinité du Christ niée
En assénant sans nuance que la plénitude divine est incommunicable et que le Fils – engendré – ne peut être l’égal du Père, Arius détruit simultanément les trois mystères essentiels de la foi. La Sainte Trinité bien sûr, puisque les personnes du Verbe et de l’Esprit ne peuvent plus être considérées comme divines et partageant une unique substance avec le Père. L’Incarnation ensuite, car le Christ n’est plus qu’une créature hors du commun. La Rédemption enfin, car les actes et le sacrifice de Jésus sont alors loin d’avoir cette valeur salvifique infinie qui rachète le péché du genre humain et toute la création avec lui. Une fois niée la divinité du Fils, le christianisme se trouve vidé de sa substance.
Les divers courants de cette hérésie polymorphe ont profondément fragilisé les Églises d’Orient puis d’Occident au tournant de l’Antiquité, favorisant l’émergence de l’islam, qui apparaît à bien des égards comme un ultime sursaut de la vieille rengaine arienne.
Pour le christianisme contemporain, l’arianisme peut cependant apparaître comme un enjeu du passé, à peine digne d’être remémoré, à l’heure des défis de la sécularisation et de la nouvelle évangélisation.
Notre conviction est pourtant que l’erreur d’Arius n’est jamais loin, au point que certains parlent encore avec raison de néo-arianisme – comme le cardinal Koch, président du dicastère pour la promotion de l’Unité des chrétiens, dans un entretien au Tagespost en 2024.
Notre époque partage en effet avec l’antique hérésie ses racines rationalistes et gnostiques : on y trouve en germe la réaction de rejet face à toute forme de mystère, la tentation de niveler toutes les vérités surnaturelles en les mettant au niveau de notre propre raison, aplatissement qui favorise paradoxalement la recherche désordonnée de spiritualités ésotériques et de voies religieuses de traverse.
Cette tentation rejoint les différentes formes contemporaines de dualisme, au terme duquel le corps et l’esprit sont deux principes antagonistes, le second étant attaché au premier pour son malheur et tâchant par tous les moyens de s’en libérer.
Cette mentalité est d’abord nourrie par le rejet d’un matérialisme trop strict : le temps est loin où l’on pensait que l’univers et l’homme n’étaient que matière et pourraient être un jour entièrement maîtrisés par les sciences. Elle s’alimente paradoxalement aussi par l’omniprésence des technologies et la fascination pour l’intelligence artificielle, sorte d’esprit terrestre surpuissant et sans corps, et par l’influence des spiritualités orientales : yoga, méditation transcendantale… dans lesquelles on cherche à libérer l’âme des nécessités corporelles.
L’arianisme contemporain se retrouve encore, selon le cardinal Koch, dans une tendance à ne considérer le Christ que sous l’angle de sa nature humaine, à refuser de voir en lui le Fils éternel, vrai Dieu incarné, à refuser aussi de reconnaître comme divine l’Église fondée par lui pour prolonger auprès de nous son action.
L’Église de 2025 face à la tentation arienne
Ces diverses tentations contemporaines sont-elles une véritable résurgence du vieil arianisme ? Elles constituent, quoi qu’il en soit, un vrai défi pour l’Église et posent la question de la vérité dogmatique : au siècle du relativisme triomphant – grand thème de combat de Benoît XVI, – peut-on encore défendre le vrai contre le faux, est-on capable comme Athanase à Nicée de se battre pour la vérité, au moins en idée ?
Comme à Nicée cependant, la tentation arienne peut être pour l’Église l’occasion de retrouver son essence profonde : la meilleure réponse au nivellement contemporain n’est-elle pas de reprendre conscience qu’« à l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne » (Benoît XVI, Deus Caritas est), et que cette personne humaine et divine nous ouvre seule le chemin du Ciel ? Le christianisme, autrement dit, n’est pas autre chose qu’un regard, une fascination pour le Christ, et la première mission de l’Église est donc d’« annoncer l’Évangile et témoigner de la personne de Jésus-Christ dans toutes les parties du monde et jusqu’aux extrémités de la terre » (Léon XIV). Sans ce retour à un vrai christo-centrisme, le catholicisme contemporain risque de devenir une spiritualité fade et creuse parmi tant d’autres.
Ainsi, face à l’arianisme et à toutes les erreurs contemporaines, les catholiques célébrant le dix-septième centenaire de Nicée pourraient se décourager et désespérer de trouver une réponse adéquate. Que cet anniversaire soit donc l’occasion de refaire de l’Incarnation du Verbe éternel le cœur de notre prédication : « Notre Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu » (saint Athanase, Sur l’Incarnation du Verbe).

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