Le centenaire de l’encyclique de Pie XI Quas primas, instaurant la fête du Christ-Roi, ne nous renvoie pas seulement à nos préoccupations les plus actuelles, il s’inscrit dans l’histoire bi–millénaire du christianisme. Ne serait-ce qu’en vertu de la tension permanente qui existe entre les réalités d’ici-bas et l’espérance d’un monde renouvelé par la grâce. Qu’on le veuille ou pas, la distinction de saint Augustin s’impose aujourd’hui plus que jamais : « Deux amours ont donc bâti deux cités : celle de la terre par l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, celle du Ciel par l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi. » La royauté du Christ célébrée par Pie XI s’identifie à ce règne du Ciel par rapport auquel se mesurent les défaillances de la cité d’ici-bas, d’autant qu’elles s’identifient au mépris de Dieu.
Un régime politique particulier ?
Sans doute l’évêque d’Hippone pousse-t-il le paradoxe à l’extrême, à tel point que l’on pourrait penser que la cité terrestre est forcément marquée par un mal intrinsèque qui la condamne. La lecture explicite de son immense traité La Cité de Dieu oblige à prendre une vue plus réaliste de l’histoire. Notamment l’histoire qui fut la sienne. Rome est une réalité politique, nécessaire en son ordre, ordre contingent qui implique la perspective de sa propre disparition. Le chrétien ne peut que tenir compte de cette insertion historique. La question est de savoir si Rome est capable « du meilleur ou de l’exécrable ». L’éclairage de l’Évangile permet l’appréciation en termes de perfection.
Est-ce à dire qu’il implique une forme de régime particulier ? Le Moyen Âge a cru reconnaître dans la cité de Dieu le projet d’une sorte de gouvernement théocratique, ce qui n’était nullement dans l’intention de l’auteur. Une telle forme de pouvoir n’est pas indemne des défauts inhérents à la faiblesse humaine. Même si un certain idéal de chrétienté peut correspondre à plus de sens du bien commun et de respect de la morale naturelle, il reste marqué d’imperfections.
Autant dire que le règne du Christ-Roi s’identifie à cette cité du Ciel toujours en espérance. Il conduit à relativiser toute forme de gouvernement et d’organisation sociale, y compris notre démocratie actuelle, en dépit des qualités qu’on lui reconnaît. Lorsque cette démocratie aboutit à une législation qui autorise l’euthanasie, on constate qu’elle se rapproche de ce qu’Augustin envisageait de pire. Par ailleurs, un certain culte de la laïcité, dénoncé explicitement par Pie XI, interroge dès lors qu’il signifie une fermeture totale par rapport à notre vocation surnaturelle. Autant il est nécessaire de parler comme Pie XII d’une juste laïcité de l’État, impliquant la distinction entre autorité religieuse et autorité politique, autant le refus d’envisager les questions anthropologiques dans leur dimension supérieure relève des plus graves dangers.
Ce n’est pas pour rien qu’une certaine culture a réhabilité aux États-Unis l’augustinisme, tel qu’il s’articule dans La Cité de Dieu. C’est qu’une crise existentielle, civilisationnelle, s’est emparée de nos nations occidentales. C’est bien pourquoi le centenaire de l’encyclique Quas primas est bienvenu pour réfléchir à cette tension entre les deux cités. La royauté du Christ la rend évidente pour mieux nous inviter à retrouver le sens des hiérarchies nécessaires.





