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Nigeria, le génocide oublié
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Au Nigeria, un génocide des chrétiens ignoré

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© Aid to the Church in Need

Au Nigeria, un génocide des chrétiens ignoré

Au Nigeria, un génocide des chrétiens ignoré

Au Nigeria, les chrétiens sont massacrés, les prêtres assassinés. Mais le monde regarde ailleurs. Le nouveau rapport de l’AED sur la liberté religieuse confirme pourtant que la persécution des chrétiens persiste et souvent s’intensifie, en Afrique de l’Ouest comme dans de très nombreux pays.
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« Je prie pour que la sécurité, la justice et la paix prévalent au Nigeria, pays aimé et si durement touché par diverses formes de violence. Je prie en particulier pour les communautés chrétiennes rurales de l’État de Benue [dans le sud-est au pays, NDLR] qui ont sans cesse été victimes de violences. »
Le 15 juin dernier, place Saint-Pierre, le pape Léon XIV disait sa compassion pour les victimes d’un nouveau massacre perpétré l’avant-veille à Yelewata, au Nigeria. Le 13 juin, 271 personnes – des chrétiens – ont été assassinées par des miliciens islamistes au cri de « Allah Akbar ! », à coups de machette, par armes à feu ou brûlées vives. On a retrouvé les corps calcinés de nourrissons dans les maisons incendiées. Les victimes, des « déplacés internes », s’étaient réfugiées auprès de la mission catholique locale, croyant y trouver un abri contre les djihadistes, qui les y ont pourchassées.

Hormis le Saint-Père, qui s’est ému de cet Oradour nigérian ? Qui se soucie vraiment de ce génocide silencieux, quand tant d’autres sont dénoncés – à raison – par nos politiques et dans la presse ? Pas de pétition, pas de manifestation, pas d’indignations publiques. Ni fleurs, ni couronnes pour les chrétiens du Nigeria.

La litanie des victimes

Ce massacre s’inscrit pourtant dans la longue liste des persécutions infligées aux chrétiens de ce pays d’Afrique subsaharienne depuis presque vingt ans. Le 5 mars, jour du mercredi des Cendres, le Père Sylvester Okechukwu était kidnappé puis assassiné à Tachira, dans le centre du pays, deux jours après l’attaque de l’église Saint-Pierre d’Iviukwa, plus au sud. Le 10 juillet, trois séminaristes étaient enlevés et un agent de sécurité tué dans l’assaut du petit séminaire de l’Immaculée-Conception, au sud-ouest du pays. Le 11 août, on déplorait à nouveau trois morts et trois blessés graves à Yelewata. Le 5 septembre, au moins 63 morts dans une attaque commise par les djihadistes de Boko Haram à Darul Jamal, – une ville du nord-est où, là encore, s’étaient réfugiées des familles déplacées. Le 19, le Père Matthew Eya, du diocèse de Nsuka, était tué de plusieurs coups de feu tirés à bout portant par deux hommes à moto.

La liste des victimes ne cesse de s’allonger. En début d’année, l’Agence Fides dénombrait 145 prêtres enlevés et 11 assassinés au Nigeria depuis 2015 ; quatre étaient portés disparus. Selon l’ONG Open Doors, plus de 3 100 chrétiens, catholiques ou protestants, y ont été tués pour leur foi l’an dernier. Depuis les premiers attentats de Boko Haram, en 2009, 600 religieux chrétiens, dont 250 prêtres, séminaristes et religieuses catholiques, ont été enlevés au Nigeria, selon l’ONG International Society for Civil Liberties & Rule of Law (Intersociety) : « Des dizaines ont été tués à coups de machette ou ont disparu sans laisser de traces », précise cette ONG, qui estime qu’en moyenne plus de trois églises par jour font l’objet d’attaques : près de 20 000 en seize ans !

« De nombreux villes et villages à travers le pays sont devenus des communautés de peur, de fuite et d’obsèques, constatait à la mi-septembre Mgr Ugorji, président de la Conférence des évêques catholiques du Nigeria. Nos concitoyens sont chaque jour kidnappés, extorqués, déshumanisés, tués ou contraints de fuir leurs foyers, abandonnant leurs moyens de subsistance pour chercher refuge dans des camps de fortune, exposés aux conditions climatiques extrêmes, souvent sans nourriture ni eau. »

Toujours présente auprès des chrétiens qui souffrent, l’Aide à l’Église en détresse (AED) confirme ce sombre tableau dans le rapport sur la liberté religieuse dans le monde qu’elle vient de publier : « Dans les États de Plateau et de Benue, des milliers de personnes ont été déplacées et des milliers tuées, dont plus de 1 100 chrétiens – parmi lesquels 20 membres du clergé – en seulement un mois après l’investiture présidentielle de 2023. À Noël 2023, les attaques coordonnées de groupes armés locaux et étrangers ont fait près de 300 morts. »

Un géant africain

Comment en est-on arrivé là ? Le Nigeria – près d’un million de km2 – est un géant africain. C’est le pays le plus peuplé du continent : 236 millions d’habitants en 2025, plus de 400 millions en 2050, selon les projections. Il devrait même devenir, à la fin de ce siècle, le deuxième pays le plus peuplé du monde, derrière l’Inde et devant la Chine dont la population décroît. Son sous-sol recèle l’une des plus grandes réserves mondiales de pétrole et de gaz. L’exploitation de ces ressources a dopé sa croissance économique, mais le Nigeria reste un pays pauvre – 45 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté – rongé par la corruption, le banditisme et miné par ses divisions ethniques : on y trouve plus de 250 ethnies parlant plus de 500 langues.

Le pays compte à peu près autant de musulmans que de chrétiens – environ 45 % –, les catholiques représentant « au moins 60 à 70 % des chrétiens », selon le Père Clément Emefu, convertis notamment par les missionnaires spiritains à la fin du XIXe siècle. Les chrétiens sont majoritaires au sud, les musulmans dans les États du nord, où s’applique la charia. Une police religieuse, la « hisbah », veille au respect de ses prescriptions et de la loi sur le blasphème. « Les élèves chrétiens n’ont pas accès aux bourses d’État, et les diplômés sont victimes de discriminations sur le marché du travail. Les permis de construire pour les églises sont refusés et les lieux de culte chrétiens sont illégalement détruits, sans compensation », soulignait déjà l’AED dans son précédent rapport, ajoutant aussi qu’« il arrive que des femmes chrétiennes soient enlevées et forcées de se marier avec des hommes musulmans ».

Le terrorisme de Boko Haram

Historiquement implantés dans le nord-est du pays, les terroristes islamistes n’ont pas l’intention d’en rester là. Fondé en 2002, le groupe Boko Haram a fait allégeance à l’État islamique (Daesh) en 2015. Bien que divisées en factions rivales, qui s’affrontent parfois violemment, ces milices progressent vers le sud. Parce qu’elles recrutent notamment des bergers peuls, on a parfois résumé le drame du Nigeria à un conflit « agropastoral », voire climatique : poussés par la sécheresse qui sévit au nord, les éleveurs, à la recherche de verts pâturages, voudraient s’emparer des terres fertiles des agriculteurs vivant au centre du pays. De fait, les Peuls radicalisés confisquent souvent des terres, contraignant à l’exil ceux qui les exploitaient. Mais, « alors que certains analystes présentent le conflit comme ayant des causes environnementales, les chefs locaux de l’Église le décrivent comme une stratégie délibérée pour expulser les populations chrétiennes », corrige l’AED dans son dernier rapport.

L’Observatoire de la liberté religieuse en Afrique notait récemment que la majorité des attaques avait lieu pendant la saison agricole, soupçonnant les assaillants de vouloir « affamer leurs victimes, en particulier les chrétiens du nord du Nigeria. Certains appellent cela un génocide par attrition ». Bon nombre de ces attaques sont aussi commises lors de fêtes chrétiennes, comme le prouvent l’attentat à la bombe perpétré à Noël contre l’église Sainte-Thérèse de Madalla, en 2011 – 43 morts – et la fusillade contre l’église Saint-François d’Owo à la Pentecôte, en 2022 – plus de 50 morts.

« Ils veulent islamiser le Nigeria, en faire l’État islamique de l’Afrique de l’Ouest. C’est un djihad, une guerre de purification ethnique. Lorsqu’ils attaquent, ils massacrent même les nouveau-nés », résume Mgr Wilfred Anagbe. Dans un entretien accordé en juillet dernier à l’agence italienne SIR, l’évêque de Makurdi – la capitale de l’État de Benue – appelait à l’aide la communauté internationale : « Trop de dirigeants veulent être politiquement corrects et gardent le silence. Si nous ignorons cette crise, nous assisterons à un autre génocide. »