Sur les pontons de Rochefort, les prêtres martyrs de la Révolution - France Catholique
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Sur les pontons de Rochefort, les prêtres martyrs de la Révolution

Béatifiés il y a trente ans par Jean-Paul II, les prêtres réfractaires laissent un témoignage édifiant de persévérance dans les supplices. Ils ont subi le martyre sur les pontons de Rochefort, pendant la Terreur.
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L’arrivée des prêtres déportés à Rochefort. Reconstitution d’après le chanoine Lemonnier.

Le 5 septembre 1793, le régime de la Terreur est décrété. Les prisons se remplissent, la guillotine tranche à plein régime. « Ces hommes étaient rayés du livre de la République, on m’avait dit de les faire mourir sans bruit… » Natif de l’île de Ré, le révolutionnaire Jean-Baptiste Laly commande le navire Les Deux Associés. C’est un homme sans pitié. Son vaisseau négrier, ainsi que le Washington, celui du capitaine Gibert, sont devenus le lieu où se côtoient les ténèbres et la lumière, la pire des brutalités et des actes héroïques de sainteté.

Refusant de prêter serment à la Constitution civile du clergé, 829 prêtres et religieux de toute la France sont déportés à Rochefort à partir d’avril 1794, sur ces deux navires ancrés dans la rade de l’île d’Aix. Le blocus anglais les empêchant de partir en Guyane et sur les côtes d’Afrique, ces funestes embarcations sont transformées en pontons, c’est-à-dire en prisons flottantes. Les prêtres réfractaires, hués par les foules révolutionnaires de Rochefort, sont entassés dans des conditions épouvantables et vont y vivre leur martyre. À bord, les consignes d’une extrême sévérité sont appliquées avec rigueur : interdiction de prier, de parler, injures, menaces, violence et nourriture infecte. « Leurs cruels geôliers se sont donné la barbare jouissance de disposer de la vie et des biens des malheureuses victimes qu’ils tenaient enfermées », témoigne Seguin, un officier de marine. À cette situation infernale s’ajoutent des conditions d’hygiène favorisant rapidement le développement des maladies.

Abandon à la Providence

Pour autant, ces prêtres parviennent à maintenir une vie spirituelle clandestine au moyen de subterfuges. « Ils ne célébraient pas l’Eucharistie avec des hosties. Ils pratiquaient la “Messe sèche” : ils lisaient les prières de la messe avec foi, dévotion et attention et s’unissaient à une Messe célébrée dans le monde au même moment, en communiant de désir » explique l’abbé Yves Blomme. Archiviste du diocèse de La Rochelle, il est le vice-postulateur de la cause de béatification du bienheureux Jean-Baptiste Souzy et de ses compagnons. « L’un d’entre eux avait cependant réussi à soustraire aux fouilles quelques hosties dans une custode, poursuit l’abbé Blomme. Il les gardait précieusement pour les administrer par minuscules morceaux aux mourants, tant qu’il en a eues. Elles étaient réservées pour la communion des mourants à l’article de la mort. » Cette persévérance dans la prière et le secours mutuel les conduisent à rédiger, à l’instigation de l’abbé Jean-Baptiste Souzy, neuf résolutions édifiantes, témoignant de leur esprit d’abandon à la Providence et de leur engagement à pardonner les offenses, au point que leur patience et leur égalité d’humeur impressionnent leurs geôliers. « Ils ne se livreront point à des inquiétudes inutiles sur leur délivrance ; mais ils s’efforceront de mettre à profit le temps de leur détention, en méditant sur leurs années passées, et formant de saintes résolutions pour l’avenir, afin de trouver, dans la captivité de leur corps, la liberté de leur âme. »

Pour ne pas divulguer que certains de leurs confrères ont perdu la raison, « ils se condamneront au silence le plus sévère et le plus absolu sur les défauts de leurs frères et les faiblesses dans lesquelles auraient pu les entraîner leur fâcheuse position, le mauvais état de leur santé et la longueur de leur peine ». Et pour maintenir ces dispositions intérieures, « ils liront de temps en temps ces Résolutions pour s’en pénétrer, et s’affermir dans la pratique des sentiments qui les ont dictées ».

64 bienheureux

Sur les 829 prêtres déportés, 547 sont morts en pardonnant à leurs bourreaux et 282 finiront par être libérés. Les vertus dont ils donnèrent l’exemple ont permis de les considérer comme martyrs. Pour Mgr François Jacolin, administrateur du diocèse de La Rochelle, ils nous laissent « un exemple de fidélité dans l’épreuve pour tenir ferme dans la foi, l’espérance et la charité ».

Voilà pourquoi le 1er octobre 1995, place Saint-Pierre à Rome, Mgr David, évêque de La Rochelle de 1985 à 1996, s’adressait au pape Jean-Paul II : « Très Saint-Père, l’Église de La Rochelle et Saintes vous demande de béatifier Jean-Baptiste Souzy et 63 de ses compagnons. Ils appartiennent à 14 diocèses de France et à 12 instituts religieux. Ils sont des témoins de la fidélité et de la réconciliation. » Présent ce jour-là, l’abbé Blomme précise que « cette liste n’était pas très longue, car nous n’avions pas de renseignements sur les 547 victimes. Nous en avions 64, il fallait réunir ce qu’on savait sur eux et en quoi ils avaient été persévérants jusqu’au bout. » Et le vice-postulateur de poursuivre : « L’abbé Jean-Baptiste Souzy est en tête de liste car il est le seul béatifié du diocèse de La Rochelle. Par ailleurs, il était secrètement institué vicaire général de la déportation par son évêque Mgr de Coucy. » En ces temps de crises, puisse leur exemple de sainteté inspirer courage et héroïcité. 

L’Île Madame et l’Île d’Aix : lieux de pèlerinages annuels

Pour commémorer ces bienheureux, chaque année des pèlerinages ont lieu sur les deux îles où ils ont été enterrés. Le premier pèlerinage à l’île d’Aix remonte à 1908, et 1910 pour l’île Madame, où le site est accessible à marée basse, par une chaussée submersible, la Passe aux Bœufs. À la deuxième quinzaine d’août, les pèlerins du diocèse empruntent cette voie à pied et se rendent vers le cimetière des prêtres : la Croix des Galets, où une messe est célébrée. Cette Croix marque l’emplacement où furent découverts quatre squelettes disposés en forme de croix. 

La Déportation des prêtres à Rochefort sous la Terreur, Yves Blomme, éd. des Oyats, 2022, 270 pages, 30 €.