La fausse « découverte » derrière la polémique du Saint-Suaire - France Catholique
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La fausse « découverte » derrière la polémique du Saint-Suaire

Se fondant sur l’exhumation récente d’un manuscrit médiéval, des médias ont cru pouvoir conclure qu’il s’agissait d’un faux… Mais cette « découverte » n’apporte rien de nouveau. Ni sur le plan scientifique, ni sur celui de la foi.
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Tout commence par la publication, le 28 août dernier, d’un article de l’historien de l’art Nicolas Sarzeaud dans le Journal of Medieval History. Ayant fait une thèse sur Les Suaires du Christ en Occident, ce chercheur exhume un traité de Nicolas Oresme, évêque, philosophe et érudit du XIVe siècle, dans lequel apparaîtrait la plus ancienne mention explicite du suaire. Ce texte met en garde contre un certain nombre de fausses reliques et s’emploie à donner une explication rationnelle à certains phénomènes trop vite considérés comme merveilleux. Oresme (1382) cite à ce propos un sudarium conservé en Champagne. Plusieurs médias ont relayé la nouvelle avec fracas, annonçant la disqualification définitive du linceul. Qu’en est-il réellement ?

Une simple opinion

Le manuscrit redécouvert par M. Sarzeaud représente sans doute le plus ancien document mentionnant le suaire. Mais il n’apporte pas de réelle nouveauté au débat. Oresme se contente de citer le cas du sudarium sans même indiquer la localité où il se trouve, ni mentionner aucun autre élément. Il est hautement probable que l’érudit, très éclectique et en général peu porté sur le surnaturel, n’ait jamais vu le linceul, à l’époque conservé à la collégiale de Lirey – actuellement dans l’Aube. Son témoignage ne peut donc pas être considéré comme une preuve « irréfutable » ou « définitive » de l’inauthenticité du suaire : il s’agit d’une simple opinion, vraisemblablement peu informée.

Pour les défenseurs de la relique, plus gênant est le Memorandum de Pierre d’Arcis, évêque de Troyes, rédigé quelques années plus tard, en 1389. Adressé au pape Clément VII, ce texte, bien plus détaillé, est souvent cité par les détracteurs du linceul. L’évêque y prend position contre l’authenticité de la relique, défendue par le seigneur local, Geoffroy de Charny, dont le père aurait rapporté le précieux linge ou en aurait hérité – les historiens sont divisés sur la modalité exacte de l’arrivée du suaire en Champagne.

Ces écrits médiévaux attribuant la fabrication du précieux linge à un faussaire suffisent-ils à disqualifier la relique ?

Au-delà des annonces médiatiques, l’évaluation rationnelle de l’authenticité du linceul est une appréciation globale qui doit prendre en compte les résultats des multiples études effectuées sur l’objet, en particulier les nombreuses analyses scientifiques pratiquées depuis l’enquête du STURP (Shroud of Turin Research Project) en 1978. La présence de sang, de pollens et d’huiles de Palestine, l’absence de pigments, la pénétration très superficielle de l’image et sa nature tridimensionnelle… Autant d’éléments qui ne peuvent être balayés d’un revers de main et qui doivent être mis en regard des indices historiques et des résultats de la datation au radiocarbone – encore faut-il que celle-ci respecte un protocole rigoureux et qu’elle ne soit pas isolée des résultats des autres disciplines scientifiques.

Image en négatif

Faut-il s’étonner ou s’inquiéter que des auteurs médiévaux, et même des évêques, dotés de peu d’instruments, doutent de l’authenticité du linceul ? À une époque où le culte des reliques avait pu verser dans certains excès, le sudarium de Lirey semblait présenter peu de signes de crédibilité : sur ce linge immense, on ne voit à l’œil nu que des traces pâles, qu’il n’est assurément pas facile de faire coïncider avec les récits de la Passion. Ce n’est qu’en 1898, avec le premier tirage photographique du linceul par l’italien Secundo Pia, qu’on réalisera que l’image du tissu est en réalité un négatif. Les études du chirurgien Pierre Barbet montrèrent, à partir des années 1930, la pertinence frappante des marques de sang imprimées sur le linceul : crucifixion dans l’espace de Destot – entre les os du poignet –, les coulées le long des bras, le nombre – environ 120 – des cicatrices liées aux coups du flagrum romain. C’est à partir des années 1970 que l’on pourra ajouter l’analyse des pollens, de l’oxydation des fibres du tissu – responsable de la coloration –, la vision tridimensionnelle… Il n’est donc pas si surprenant que les auteurs médiévaux aient émis des doutes au sujet de l’authenticité d’une relique tellement originale et désarçonnante. On peut même trouver leur prudence rassurante.

Efficacité salvatrice

Au-delà de la tempête médiatique provoquée par la publication de M. Sarzeaud, rappelons-nous qu’à travers ces objets antiques, l’Église fait mémoire des événements dont ils furent témoins : Passion du Christ ou des martyrs, dont l’efficacité salvatrice se prolonge jusque dans l’éternité divine. Telle est la raison profonde d’un culte qui n’est ni une superstition ni une idolâtrie.

Du point de vue de la crédibilité, ces objets fournissent des éléments précis et parfois très forts. Ces témoignages ne représentent cependant pas des articles de la foi, dont ils viennent seulement étayer la véracité. Il n’est donc pas contraire à la doctrine catholique d’émettre un doute au sujet de l’authenticité d’une relique, fût-ce le linceul de Turin, et les remises en cause qui pourraient émerger demain – avérées ou non – ne suffiront pas à fragiliser notre foi en un Dieu
un et trine, révélé en Jésus-Christ, Dieu fait homme pour nous sauver par son Incarnation, sa Passion, sa mort et sa Résurrection.

Retrouvez cette chronique sur sur claves.org, le site de formation chrétienne de la Fraternité Saint-Pierre.