Les nouveaux martyrs de Syrie - France Catholique
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La chasteté : apprendre à aimer
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Les nouveaux martyrs de Syrie

Jamais les chrétiens n’avaient été attaqués en pleine messe depuis les massacres de 1860 à Damas. Le nouveau pouvoir n’est pas en mesure de les protéger. Et le veut-il ?
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L’église orthodoxe Saint-Élie de Damas, après l’attentat.

« Ce criminel est entré dans l’église, armé et porteur d’explosifs. Trois de nos enfants – Jiries, Bishara et Boutros, que je connais personnellement – l’ont vu. Ils l’ont fait reculer et se sont jetés sur lui. Ils ont volontairement accepté d’être déchiquetés afin de protéger ceux qui se trouvaient à l’intérieur de l’église. C’est notre peuple. Ce sont nos héros. »

Le 24 juin, l’émotion le disputait à la colère dans l’église Sainte-Croix de Damas où les chrétiens syriens célébraient les funérailles de leurs morts.

De leurs « martyrs », a insisté le patriarche grec-orthodoxe, Jean X, dans son homélie. Deux jours auparavant, le dimanche 22 juin – fête de tous les saints d’Antioche dans le calendrier orthodoxe –, trois hommes ont attaqué, pendant la messe, les fidèles réunis dans l’église Saint-Élie. « L’Évangile venait d’être proclamé. » Les terroristes ont ouvert le feu. L’un d’eux a déclenché sa ceinture d’explosifs. 30 morts et 54 blessés, selon le Père Fadi Azar, un prêtre franciscain interrogé par l’AED (Aide à l’Église en détresse). « Un massacre », a résumé le patriarche, rappelant que les chrétiens syriens n’avaient pas subi de telles attaques « depuis les événements de 1860 ». À l’époque, près de 6 000 chrétiens avaient été assassinés à Damas par des musulmans sunnites. La France avait alors dépêché un contingent de 7 000 hommes pour rétablir l’ordre dans cette région de l’empire ottoman.

Cette comparaison historique souligne « l’ampleur du choc subi par la communauté chrétienne. Même pendant la guerre civile, aucun attentat terroriste n’a été perpétré contre des chrétiens pendant une messe en Syrie », confirme Vincent Gelot, responsable de projets pour l’Œuvre d’Orient au Liban et en Syrie. Les autorités ont rapidement accusé Daesh d’en être responsable, mais rien n’est certain. L’attaque a été revendiquée par la « brigade des partisans des sunnites » – Saraya Ansar al-Sunna – qui menace d’en commettre d’autres. Ce groupe, apparu fin janvier, appelle à combattre aussi les chiites et dit avoir pris part, en mars, aux massacres de 1 700 Alaouites. Ces terroristes seraient issus du groupe HTS – comme l’actuel président syrien, Ahmed al-Charaa, qu’ils accuseraient d’avoir trahi la cause islamiste. Pour le gouvernement, attribuer cet attentat à Daesh serait un moyen de s’assurer le soutien des pays occidentaux qui redoutent la reconstitution de l’État islamique en Syrie.

« C’était prévisible »

Ce massacre aurait-il pu être empêché ? « C’était prévisible, mais personne ne savait quand. La semaine dernière, il y a eu une fusillade devant une église syriaque orthodoxe à Homs. Un homme a tiré sur la porte de l’église », indique le Père Azar à l’AED. Une chose est sûre : le nouveau pouvoir n’a pas témoigné aux chrétiens le soutien ni la compassion légitimes qu’ils attendaient après ce massacre. « Dans sa déclaration, la présidence n’a parlé que de “morts” ou de “victimes”, pas de “martyrs”, comme c’est la coutume en Orient pour les personnes qui périssent dans un attentat, relève Wael Kassouha, chef de mission de SOS Chrétiens d’Orient à Damas. Il n’a pas non plus appelé à prier pour le repos de leurs âmes, ni invoqué pour eux la miséricorde divine. » Aucun représentant de l’État ne s’est rendu sur les lieux du massacre, à l’exception de la seule chrétienne du gouvernement, peu connue des Syriens. Le nouveau président Ahmed al-Charaa s’est contenté de téléphoner au patriarcat pour lui présenter ses condoléances.

« Ce n’est pas suffisant […]. Nous vous avons tendu la main pour construire la nouvelle Syrie et nous attendons toujours, avec tristesse, qu’une main nous soit tendue en retour », a déploré le patriarche Jean dans son homélie. « Le premier devoir du gouvernement est d’assurer la sécurité de tous les citoyens, sans exception ni discrimination », a-t-il souligné, jugeant que « le gouvernement porte l’entière responsabilité » de cet acte odieux.

La sécurité. Le pouvoir paraît bien incapable de la restaurer. Ses troupes sont maigres : 20 000 à 30 000 hommes. « Trop peu pour contrôler l’ensemble du territoire », indique Vincent Gelot. Une situation chaotique d’autant plus périlleuse pour les chrétiens qu’ils sont disséminés dans tout le pays, à la différence des autres communautés : les Druzes au sud, les Kurdes dans le nord-est, les Alaouites sur la côte ouest. Beaucoup ont quitté le pays. On estimait leur nombre à deux millions en 2011, avant que n’éclate le conflit. Ils ne seraient plus que 300 000 à 400 000 : environ 2 % de la population.

« Le pays ne parvient pas à se reconstruire car ses forces vives l’ont quitté », constate Thomas Oswald, journaliste à l’AED. « La situation est catastrophique. Quatorze ans de guerre ont ravagé la Syrie. Les villes sont en ruines, le chômage est endémique. La levée des sanctions économiques, décidée en mai par les États-Unis et l’Union européenne, n’a pour l’instant que peu d’effet », précise le directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, Benjamin Blanchard. « Monsieur le Président, le peuple a faim. Je vous le dis : des gens frappent à la porte de nos églises pour demander de l’argent pour acheter du pain ! », s’est exclamé le patriarche Jean, le 24 juin.

« Ils y vivent depuis 2000 ans »

« Le gouvernement traite les chrétiens comme une minorité alors qu’ils ont toujours participé à la vie sociale et économique du pays, constate Wael Kassouha. Si les choses continuent ainsi, il n’y aura plus de chrétiens en Syrie »… bien qu’ils souhaitent y rester. « Ils y vivent depuis 2000 ans ! On y trouve toute la mosaïque des Églises orientales. Elles descendent des premiers disciples de saint Paul ! rappelle Vincent Gelot. Les chrétiens en Syrie, comme dans tout le Moyen-Orient, ce sont des écoles, des dispensaires, des hôpitaux… Et un art de vivre. C’est leur existence qui se joue en ce moment. Et cela nous concerne aussi : ils font partie de notre histoire – passée et présente ! »

Beaucoup espèrent que les pays occidentaux, jouant de leur diplomatie, les aideront à conserver leur place dans ce pays. « Ils attendent un soutien, et réclament qu’on prie pour eux », ajoute Thomas Oswald. « Avec notre âme et notre sang, nous défendrons notre Christ », affirmaient les fidèles, lors des obsèques de leurs « martyrs ».