Scène ordinaire de la vie parisienne. « Le trafic est interrompu sur la ligne 10, tous les passagers sont invités à descendre. » La foule du soir se précipite hors du métro et s’engouffre aussitôt dans un bus trop petit pour elle. Il pleut, chacun est pressé de rentrer chez soi. Cela se bouscule, s’interpelle, grommelle. Mais au milieu de cette cohue, un petit homme qui ne paie pas de mine – appelons-le Zachée – commence à réciter son chapelet. L’apparence d’un employé à l’âge incertain : 55, 60 ans peut-être ? « Je vous salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous… »
Les autres passagers s’en détournent, agacés par la répétition des Ave. Certains se moquent : que raconte ce demi-fou ? Une dizaine, deux dizaines, trois dizaines. « Mais n’allez-vous pas vous taire ? » finit par crier l’un de ses voisins. Tout commence alors à tourner autour de Zachée et de son chapelet, devenus pour un temps le cœur battant de cette petite société. Car un autre passager, sans doute ému par l’agressivité du premier, a pris la défense du petit homme.
« Laissez-le donc prier… Quel mal vous fait-il ?
— Qu’il prie, mais qu’il prie en silence !
— Vous devriez l’en remercier : il prie aussi pour vous…
— Et la laïcité alors, vous savez ce que c’est ? », s’emporte l’inconnu.
Il n’a pas fallu 30 secondes pour que l’argument suprême – celui qui doit clore le débat – soit invoqué.
C’est aussi au nom de la « laïcité » que certains parlementaires voudraient restreindre la liberté de l’école catholique, encore trop « libre » à leur goût. Ainsi le député Paul Vannier (LFI) s’est-il indigné que Guillaume Prévost – le nouveau secrétaire général de l’Enseignement catholique – veuille « redonner clairement le droit à une enseignante de faire une prière le matin avec ses élèves ». Paul Vannier y voit « une provocation ». « Jamais un secrétaire général avant lui n’avait osé dire une chose pareille », ajoute dans Le Monde Bernard Toulemonde, qui a longtemps suivi le dossier de l’école catholique au ministère de l’Éducation.
Mais Guillaume Prévost persiste : il s’agit de réaffirmer la vocation de cette école, « le cœur de son projet » évangélique. Beaucoup de familles y placent leurs enfants sans en partager les convictions ni la foi : « Il y a un risque qu’elles viennent chez nous pour autre chose que notre projet. » Levons cette ambiguïté.
En descendant du bus à l’arrêt Cardinal-Lemoine, le passager qui avait pris la défense de Zachée esquissait un léger sourire. Car le petit homme, indifférent aux clameurs, continuait à réciter calmement son chapelet. Sans se soucier du « scandale » qu’il avait provoqué.