Quand la République restreint la liberté des écoles catholiques, c’est toujours au nom de la liberté. Ce n’est pas de l’humour noir, plutôt un retour aux sources révolutionnaires : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » Car à bien écouter la doctrine qui sert de catéchisme à notre État, l’enseignement de la foi est soupçonné d’une double atteinte à la liberté. Atteinte à la liberté de conscience, d’une part, atteinte aux valeurs libérales d’émancipation, d’autre part.
S’agissant de la liberté de conscience, le refrain est connu : il serait contraire au libre-arbitre des individus, et particulièrement des enfants, de leur imposer dès le plus jeune âge la pratique de la prière et l’apprentissage du catéchisme. Il conviendrait d’attendre qu’ils fassent leur choix tout seuls, plus tard. Cette vision du libre-arbitre repose sur deux présupposés complètement faux.
Le premier, c’est qu’il ne faudrait rien imposer aux enfants. C’est absurde : l’éducation consiste précisément à imposer des choses aux enfants, pour qu’ils puissent un jour accéder au libre-arbitre. Ainsi doit-on apprendre aux enfants à devenir propres, à se tenir droit, à parler correctement, à lire, à écrire, à réciter leurs tables de multiplication, à connaître l’histoire de leur pays – sans leur demander leur avis. C’est moyennant cette contrainte qu’ils pourront déployer leurs facultés intellectuelles et volontaires, et donner une réalité concrète au mot « liberté » qui, sans cela, se confondrait avec le caprice et le babillage puéril. Il en va de même en matière spirituelle : la liberté n’est pas donnée au commencement. Elle est une réponse sur la base d’un contenu qu’il faut avoir appris. J’observe ici que cette erreur sur la liberté a détruit l’École publique qui, en rendant l’élève constructeur de ses savoirs, lui a permis d’accéder à la libre ignorance.
Le deuxième présupposé est que la foi proprement dite pourrait être imposée, inculquée de force à des esprits rétifs. Et que ce serait le projet des écoles catholiques. C’est faux. Le contenu de la foi, bien sûr, peut et doit être appris – c’était notre premier point – mais la foi proprement dite, comme acte de la personne, ne relève pas d’un simple apprentissage par cœur. Il s’agit, par le catéchisme, de susciter un éveil à la vie spirituelle, à l’existence d’une transcendance, d’une source de toute vie. Et de rendre les enfants capables de se déterminer librement. « On peut tout faire sans le vouloir, écrit saint Thomas d’Aquin, mais croire, seulement si on le veut. Or, la volonté ne peut pas être forcée. Donc on ne peut contraindre personne à croire, parce que croire est un acte de la volonté. »
La foi n’est pas un simple sentiment
Il reste que le déploiement d’un tel acte suppose d’abord une exposition au contenu de la Révélation elle-même. La foi, en effet, n’est pas un simple sentiment que l’on pourrait faire naître par une sorte de conditionnement. Elle a un contenu substantiel, qu’il faut connaître pour se déterminer. Et si rien n’est transmis dès le plus jeune âge, le plus probable est que le jeune adulte, censé « choisir librement », ne choisira rien du tout, et qu’il se laissera porter par la culture des mass media. En matière académique, comme en matière spirituelle, la liberté présuppose l’apprentissage. Soumettre l’apprentissage à la liberté, c’est mettre la charrue avant les bœufs.
La République tolère toutefois que les écoles privées dispensent des cours de catéchisme ; mais elle exige qu’ils aient lieu en dehors du temps scolaire. à bien y réfléchir, ces restrictions sont sans rapport avec le respect de la liberté de conscience, puisque les parents qui font le choix de scolariser leurs enfants dans une école catholique sont tout de même censés ne pas être hostiles au christianisme… Et c’est précisément au titre du droit à la liberté religieuse qu’il existe des écoles catholiques. Il est donc étrange d’exiger desdites écoles qu’elles rendent l’enseignement du catholicisme facultatif en leur propre sein. Cela revient à exiger un coin non-fumeur à l’intérieur de l’unique wagon fumeur d’un train ! Il n’est pas déraisonnable de suggérer que le véritable but de ces mesures de restriction est de compliquer la transmission de la foi au sein même des établissements catholiques.
L’utopie d’une totale autonomie
Ce qui m’amène à mon deuxième point. Ce n’est pas seulement, ni d’abord, la prétendue violation du libre-arbitre qui inquiète la République, c’est le contenu même de la foi. Car ce contenu est contraire à l’utopie d’autonomie totale de l’humanité. Autrement dit, ce n’est pas que la doctrine morale catholique soit imposée autoritairement qui ennuie la République, c’est sa substance elle-même, fût-elle embrassée le plus librement du monde. Car que dit-elle, cette doctrine ? Elle affirme, par exemple, que l’individu n’a pas sa fin en lui-même, que nous recevons de Dieu une certaine nature, marquée par la différence sexuelle, que la personne humaine doit être respectée de la conception à la mort naturelle, toutes choses qui furent longtemps admises très au-delà de l’Église – mais sous son influence.
À mesure que cette influence recule, la morale enseignée par la République s’éloigne de plus en plus de cette loi naturelle – qui est aussi la loi divine. Il devient presque impossible aux entendements contemporains de comprendre que l’épanouissement de l’homme, c’est-à-dire sa véritable liberté, consiste à accomplir la nature humaine selon ses finalités propres, et non à singer Dieu en se croyant cause de soi-même – acrobatie promise à la chute.
Débats interdits
Dès lors, les pouvoirs publics tolèrent de plus en plus mal la libre expression de la doctrine catholique en matière de mœurs. De plus en plus souvent, la critique de la loi est accusée de constituer une « entrave » à l’exercice des droits fondamentaux. Qualification totalement abusive qui rend impossible le débat démocratique, puisque cela revient à confondre le fait de critiquer une loi – ce qui devrait toujours être possible dans une démocratie – avec le fait de l’enfreindre. Si vous expliquez à vos élèves pourquoi l’avortement, selon la doctrine catholique, est un homicide, on vous accusera de porter atteinte à un droit fondamental. C’est faux : vous rappelez seulement ce qu’enseignent l’Église et la loi naturelle. Ce qui n’est pas un délit. Tout ce que l’on peut exiger d’un citoyen, en effet, c’est qu’il respecte les lois en vigueur, pas qu’il les approuve. Les tracasseries qui ne cessent de se multiplier contre les écoles catholiques visent à nier cette distinction, en faisant de l’État le bras séculier de la Religion progressiste. Vivement la Séparation !