Entre Rome et la France, une histoire d’amour - France Catholique
Edit Template
La France à Rome
Edit Template

Entre Rome et la France, une histoire d’amour

Que devons-nous à Rome ? Presque tout. Et les poètes et les écrivains français qui ont célébré la Ville Éternelle l’ont chantée comme une mère nourricière.
Copier le lien

Une vue du pont Saint-Ange, sur le Tibre, et de la coupole de la basilique Saint-Pierre.

On ne peut comprendre la place unique que tient Rome dans la littérature française sans remonter très loin dans les origines historiques et très haut dans les origines mystiques.

La promenade dans les villes de France nous a appris que chaque ville avait d’abord été un oppidum, parfois précédé d’une implantation gauloise. César, dans La Guerre des Gaules, décrit la façon dont il administre sa conquête : il ne remplace pas les élites locales par des fonctionnaires romains, mais il les intègre au fonctionnement de l’administration de la République qui deviendra vite l’Empire. Il s’ensuit une symbiose, elle aussi unique dans l’histoire : la civilisation gallo-romaine. La fusion est si profonde que lorsque Clovis, après avoir été baptisé roi des Francs, recevra à l’issue de la bataille de Vouillé, les insignes impériaux de l’empereur d’Orient, il célébrera son triomphe à la basilique Saint-Martin, auprès de celui qui, avant d’être évêque de Tours, fut officier de l’armée romaine et resta jusqu’au bout citoyen romain.

Dans la correspondance entre saint Remi et Sidoine Apollinaire, nombreuses sont les références que font les deux saints évêques à Cicéron, et le plus beau compliment que l’évêque d’Auvergne peut faire à l’archevêque de Reims est de lui dire qu’il divise ses propositions et les met en scène comme le grand orateur romain. Par Cicéron qui a vulgarisé l’enseignement philosophique d’Athènes, les Gallo-Romains se sont faits aussi grecs et ce lien ne s’est jamais distendu. Dans La Prière de la fin, en 1950, le poète écrivait ainsi dans sa prison de Clervaux : « Notre Paris jamais ne rompit avec Rome/Rome d’Athène en fleur a récolté le fruit/Beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme… »

Les légions du Salut

Mais il faut remonter plus haut en soulignant ce que Charles Péguy, à la fin du XIXe siècle, dans ses œuvres en prose et dans son poème de 11 000 vers, Ève, a chanté : « Le mystère mystique de la destinée temporelle de Rome dans l’histoire du Salut. »

Il est vrai que ce n’est pas un petit paradoxe que de voir combien l’annonce des prophètes et de l’Évangile a été débitrice du « lourd légionnaire romain », comme le disait toujours Péguy, qui n’avait ni la finesse ni la spiritualité du message qu’il protégeait.

Ainsi, Rome a été choisie comme a été choisi Israël, comme plus tard sera choisi le royaume de France. Le pape Grégoire IX écrivait au roi de France Louis IX, dit Saint Louis, le 21 octobre 1239 : « Et comme autrefois, Il préféra la tribu de Juda à celle des autres fils de Jacob et comme il la gratifia de bénédictions spéciales, ainsi il choisit la France de préférence à toutes les nations de terre pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif, la France est le royaume de Dieu et les ennemis de la France sont les ennemis du Christ. »

Voyage initiatique

Cette filiation religieuse et politique imprégna bien évidemment les artistes et les écrivains. Les grands classiques puisèrent abondamment à cette source. Qui fut plus romain que Corneille ? Racine et La Fontaine doivent beaucoup à Térence mais Térence lui-même n’avait connu ses maîtres grecs qu’au travers de la littérature romaine. Esclave affranchi, il éduqua aux subtilités du théâtre grec un public romain plus habitué à la grosse farce. L’un n’excluant pas l’autre, on peut dire que Molière a puisé aux deux sources de Térence et de Plaute.

Le voyage à Rome faisait partie de l’éducation littéraire comme il faisait partie de l’éducation artistique. Du Bellay y était parti avec un enthousiasme qui n’eut d’égal que la déception que lui donna l’aspect de la Rome qu’il se figurait éternellement antique. Le romantisme des vestiges et ruines romaines n’était pas encore né, et le poète se languissait de sa terre natale. Secrétaire de son oncle cardinal, les intrigues romaines le dégoûtèrent à jamais de la capitale de l’Église et tous les écoliers français apprendront avec lui : « Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,/Que des palais romains le front audacieux ;/Plus que le marbre dur, me plaît l’ardoise fine,/Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin, /Plus mon petit Liré, que le mont Palatin/Et plus que l’air marin, la douceur angevine. »

Mais l’amour des lieux de l’enfance et le mal du pays de Joachim n’entameront en rien la fascination et l’admiration de nombreux écrivains et poètes français qui feront leur voyage initiatique et amoureux dans la Ville Éternelle.

Montaigne fut un des premiers promeneurs littéraires de Rome. Il y déambula avec son scepticisme souriant. Le suivre à Rome promet aujourd’hui encore des visites passionnantes et un délice littéraire. On sait même que l’auteur des Essais employa toutes ses relations pour obtenir le titre de citoyen romain, reconnaissant lui-même que « c’est un titre vain, tant il y a que j’ai reçu beaucoup de plaisir à l’avoir obtenu ».

Le « syndrome de Stendhal »

À la suite de Montaigne, les Promenades dans Rome de Stendhal, comme celles du président de Brosses, n’ont pas pris une ride et les amoureux de l’architecture néoclassique utiliseront sans modération les écrits de celui que les beautés de l’Italie ont quasiment rendu fou, permettant de désigner un choc esthétique à conséquences psychiques graves : « syndrome de Stendhal » !

Chateaubriand chante la beauté de la Rome antique dans ses Mémoires d’outre-tombe, et redoute de quitter la Ville éternelle, même si son devoir familial et politique l’appelle à Paris.

Victor Hugo et son emphase ne pouvaient que tomber sous le charme de la Ville et son recueil Les Feuilles d’automne contiennent plusieurs odes à Rome : « Ô Rome ! dans tes murs qui sont des souvenirs, / Tout ici-bas s’en va mais le souvenir reste. »

Dans des temps plus proches de nous, les nouvelles de Michel Déon – « Tout l’amour du monde » et « Je ne veux jamais l’oublier » – nous ont enchantés du charme italien et romain. C’est de la Villa Médicis qu’un soir d’été, Georges Pompidou, homme politique certes mais aussi brillant écrivain, lança son appel qui permit à la majorité des Français de renvoyer le général de Gaulle à Colombey tout en s’assurant d’une succession raisonnable… Il faut noter enfin un événement politique trop méconnu sous le mandat de Jacques Chirac à la mairie de Paris. L’œuvre est en réalité de son conseiller Bernard Billaud, tombé fou amoureux de Rome lorsqu’il était conseiller d’ambassade auprès du Saint-Siège. Ce conseiller de Chirac mit donc en place un véritable mariage entre Rome et Paris qui n’était pas un jumelage classique de villes mais bien une promesse d’union indissoluble et exclusive dans laquelle Rome jurait d’épouser Paris, serment que la Ville Lumière reprenait en retour pour la Ville Éternelle.

Entre Rome et la France, c’est donc une histoire d’amour qui ne peut s’arrêter et les jeunes foules françaises qui vont envahir Rome pour le Jubilé en seront encore une preuve vivante.