Comment vivez-vous le début de cette période entre cardinaux ?
Cardinal François Bustillo : Nous la vivons dans la confiance et l’espérance, malgré la peine. Je suis également reconnaissant envers François, car c’est lui qui m’a nommé évêque, qui m’a créé cardinal, qui m’a envoyé en Corse… Dans le même temps, nous découvrons la vitalité de Rome et la quantité de personnes qui viennent pour honorer et prier devant le Pape… Il était populaire avec son peuple. Tout ce monde qui est là pour prier est un très beau signe de foi, de confiance et d’espérance de la part des gens. C’est une joie douloureuse qui se manifeste. Mais la mort et la vie, c’est typique du temps pascal !
Que retenez-vous du pontificat ?
François nous a beaucoup parlé de Dieu, des autres, de la Création, de la culture, de la littérature, du Sacré-Cœur… Son pontificat a ouvert beaucoup de perspectives pour que nous puissions grandir dans la foi. De sa personnalité, je garde en particulier sa liberté. Ses paroles ne plaisaient pas toujours, mais il était un homme libre. Dans une époque où nous sommes tout le temps dans le calcul ou la peur, voilà un homme libre qui est capable de dire ce qu’il pense, ce qu’il croit bon et bien pour l’humanité. Cela suscite l’adhésion ou le rejet, mais c’est légitime, car nous ne sommes pas dans une secte !
Son dernier voyage aura été pour la Corse. Quel a été son grand message ?
Ce voyage a constitué un message d’encouragement et un appel à l’engagement dans la vie civile. En visitant le clergé, en bénissant les enfants et les aînés, le Pape est venu animer – dans le sens de « donner de la vie » – un petit diocèse comme le nôtre.
Quel message ces funérailles transmettent-elles ?
En voyant le nombre de chefs d’État présents, la quantité de jeunes, de fidèles, je me dis que le Pape a toujours une autorité d’unité. Son autorité ne sert pas à dominer, mais à faire la communion. C’est une mission unique ! Le monde redécouvre la dimension symbolique du pouvoir pontifical qui, à l’image du Bon Pasteur, rassemble.
Vous insistez sur la « sagesse de l’unité »…
Quand nous regardons l’Église, nous sommes tentés de mettre des étiquettes : « tradis », « charismatiques », « modernes », « conciliaires »… Qu’il y ait des sensibilités et des différences, c’est normal et c’est bien, mais il ne faut pas glisser dans la division. Donc le travail pour l’unité de l’Église est crucial pour le Pape : il faut un homme qui se place au-dessus de tous. Le Pape disait « Todos, todos, todos » : « tous, tous tous ». Effectivement, le principe d’unité met « tous » en valeur, jamais les uns contre les autres… Pour cela, la foi et la prière sont essentielles, car elles permettent d’éviter de tomber dans des logiques tactiques en nous montrant l’idéal et non l’idéologie. La foi nous unit ! N’oublions pas que nous croyons au même Dieu.
Vous avez également évoqué l’importance d’évangéliser les centres de l’Église, pas juste les périphéries…
François a eu raison de parler des périphéries. Mais n’oublions pas qu’il y a, dans nos villes européennes, dans notre Occident chrétien, une soif de Dieu. Regardez – et pas seulement en France – la quantité de jeunes qui demandent le baptême ! Nous devons écouter la soif de ces personnes-là, qui attendent de nous que nous soyons le sel de la terre ! Un sel qu’il faut savoir doser : donner à chacun ce qu’il peut recevoir et ce qu’il mérite.
Comment répondre à cette soif ?
En Occident et en France en particulier, à partir de 1968, on a dit « ni Dieu ni maître », reléguant Dieu à la périphérie. Aujourd’hui, on se demande : sommes-nous plus heureux ? La société va-t-elle mieux ? Non : la société est fracturée, il y a beaucoup de mal-être, de dépressions, de suicides… Ce sont les jeunes qui nous provoquent ! Pour les Cendres et Pâques, marquées par une affluence exceptionnelle et par tous ces baptêmes, nous n’avons pas lancé « d’opération séduction ». Et pourtant, les gens sont venus ! C’est donc à nous d’apporter la foi et l’espérance, sans arrogance, mais sans complexe non plus.
Au début du XXe siècle, on nous a parlé de monde désenchanté. À la fin du siècle, d’un monde sécularisé, ayant connu entre-temps la guerre. Et, au XXIe siècle, nous nous retrouvons avec des jeunes désorientés. Il y a là un défi missionnaire, car ils sont vierges d’un point de vue spirituel : ils n’ont pas connu la foi de nos ancêtres ! Pour cela, il faut proximité et disponibilité, c’est essentiel.
L’Église est-elle « armée » pour cela, compte tenu de la baisse des vocations ?
Nous devons réveiller l’Église. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de jeunes qui veulent se donner et qui cherchent une vocation. Il y a certes peu de vocations, l’Église est pauvre, mais c’est le petit reste d’Israël ! Nous devons partir de ce petit reste pour apporter au peuple de Dieu l’espérance. Soyons fidèles, audacieux et courageux et apportons la Bonne Nouvelle à la société. La question de l’Église n’est pas quantitative, même s’il ne faut pas épuiser les prêtres…
Que vous inspire la volonté de François de reposer à Sainte-Marie-Majeure, non loin de la Salus populi romani, l’icône de la Vierge ?
Je vois en cette Vierge une Pietà qui accueille son fils. Certes, François n’a pas été torturé comme le Christ, mais il a tout donné jusqu’au dernier souffle, littéralement : le dimanche de Pâques, la veille de sa mort, il a béni son peuple et est passé au milieu de lui. Mais quand on l’entendait parler, il n’avait quasiment plus de souffle ! C’était magnifique d’un point de vue missionnaire et pontifical… Dans la création des cardinaux, on demande la fidélité jusqu’à la mort et, dans l’ordination épiscopale, on demande à l’évêque de se donner jusqu’à la mort. Il y a une dimension sacrificielle, martyrielle. Elle n’est pas sanglante ou tragique, mais exigeante, car elle nous demande de donner notre vie.