« Des héros sur la ligne de front » - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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« Des héros sur la ligne de front »

Philosophe au franc-parler, Robert Redeker est l'auteur d'un livre passionnant et profond, Les Sentinelles d'humanité, sur l'importance de l'héroïsme et de la sainteté. à lire, surtout en ce moment...
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© Pascal Deloche / Godong

Face à l’épidémie de coronavirus, les soignants peuvent-ils être considérés comme des héros ?

Robert Redeker : Bien entendu. C’est l’héroïsme des humbles, semblable à celui des soldats pendant la Grande Guerre. Le dévouement, l’oubli de soi et l’esprit de sacrifice, qui caractérisent tous les métiers à vocation – infirmière, sapeur-pompier, prêtre – se manifestent dans leur activité « sur la ligne de front ». Ils ne sont pas égocentrés, mais dans ces circonstances exacerbées, font preuve d’un don de soi qui peut aller jusqu’au sacrifice de leur vie.

Malgré sa mort sur la croix, le Christ peut-il être considéré comme un héros ?
Ni héros ni anti-héros. Dans le paganisme, des dieux pouvaient être représentés par l’activité poétique sous la forme de héros. Ou, inversement, des héros pouvaient être divinisés, accéder à un statut quasi divin, et rejoindre, en récompense de leurs mérites, le Panthéon. Le christianisme rompt avec ces jeux chatoyants de l’imagination. Nous n’avons nul besoin de faire du Christ autre chose que ce qu’il est, que ce qu’il a dit qu’il était. Si nous faisions de lui un héros ou un anti-héros, nous nous éloignerions de lui au lieu de nous en rapprocher.

Vous dites que l’héroïsme est une « fenêtre sur le Ciel », un miracle moral. C’est-à-dire ?

Comme la sainteté, l’héroïsme échappe au déterminisme. L’une et l’autre sont l’inattendu, tout en étant l’espéré. L’inattendu et l’espéré forment la trame du miracle. Appelons-le « miracle moral » parce qu’il entraîne de grandes transformations intérieures chez ceux qui en sont les témoins, parfois tout un peuple. L’héroïsme de Jeanne d’Arc et le général de Gaulle en 1940 entrent dans cette catégorie. « Miracle moral », parce qu’ils ont modifié la vie intérieure des Français, les ramenant à la conscience de leur mission et de leur destin. Dans ces deux cas, l’héroïsme a rouvert ce qui paraissait définitivement fermé, d’où l’idée de déchirure dans le ciel, ou de clairière dans l’histoire, laissant passer une lumière, un message.

Aujourd’hui, nous avons affaire selon vous à des simili-héros ou saints… Quelle différence entre Madonna et Jeanne d’Arc ?

Malgré son très réel talent, Madonna (quel nom !), dont j’aime bien écouter les CD ou regarder un spectacle, est un produit de l’industrie du divertissement qui la transforme en une idole. Cette industrie fabrique des idoles à la chaîne, de façon taylorienne. Elle vit de la consommation des idoles qu’elle usine et distribue. Le philosophe Jean Baudrillard a décrit notre société comme celle de la parodie et de la simulation, derrière lesquelles la réalité s’évanouit. La simulation du Vrai fait disparaître le Vrai. Jeanne d’arc obéit à une mission, sacrifie sa vie terrestre pour elle, récapitule en quelques mois toute l’histoire passée et à venir de la France, montre un chemin, nous rappelle à nos devoirs. Elle ne joue pas un rôle, n’est pas sur une scène, vit et agit dans la lumière de la vérité. Ce n’est pas du show-business. Elle est une héroïne et une sainte, pas une idole. Rien à voir avec Madonna, pour sympathique qu’elle soit. Le nihilisme consiste à tout mélanger, la rectitude de la pensée consiste à l’inverse à remettre chaque chose à sa place, la saltimbanque et la sainte à la leur, nous guérissant du coup de la maladie du monde contemporain : l’idolâtrie de marché.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien et l’ensemble de notre Grande Angle, « Donner sa vie » dans le magazine.

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sentinelles_d_humanite_.jpgRobert Redeker, Les Sentinelles d’humanité. Philosophie de l’héroïsme et de la sainteté, Desclée de Brouwer, 2020, 300 p., 19,90 €.