Confessions d'une géologue de bureau - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Confessions d’une géologue de bureau

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Quand Robert a lancé The Catholic Thing il y a plusieurs années (avec la joyeuse bande constituée de Hadley Arkes, Ralph McInerny , Brad Miner, Michael Novak, le père James V. Schall et d’autres), j’ai été ravie et honorée de devenir l’un des premiers contributeurs réguliers. Depuis lors, les projets de l’institut Foi & Raison et les miens ont fonctionné si souvent en synergie que formaliser les liens en est venu à sembler être la conclusion logique.

Je suis donc enchantée de rejoindre l’institut comme chercheur confirmé, et de renouveler mes remerciements à Robert pour sa camaraderie constante et pour partager ma vision. Avec cet article, je voudrais donner aux lecteurs de The Catholic Thing un avant-goût du travail1 à venir au sein de notre nouvelle collaboration.

Durant les dix dernières années, une énigme a occupé à maintes reprises ma recherche et mes pensées : quelle est la cause de la sécularisation ? Qu’est-ce qui transforme des sociétés qui autrefois craignaient Dieu en sociétés qui maintenant le conspuent ? Quelles sont les causes exactes qui catapultent beaucoup de nos contemporains d’orbites religieuses en orbites séculières ?

Aussi évident que cela puisse sembler, ces pensées et les interrogations qui s’y rattachent ont montré qu’elles étaient un défi pour la mise par écrit. Pour les débutants, les questions sont radicales : elles s’enracinent dans les manières conventionnelles de voir la sécularisation que nous ont léguées Karl Marx, Max Weber, Auguste Comte et les autres géants de la théorie qui ont longtemps dominé la pensée en ces domaines. De concert avec les gardiens de la pensée sociale partageant le même esprit, ils ont longtemps posé la question dans l’autre sens. Ils ont mis la religion dans une boîte de Pétri et pris comme hypothèse de départ que c’était la croyance – et non l’incroyance – qui nécessitait une « explication ».

Certains de mes travaux écrits, à ce jour, ont œuvré à retourner ce modèle à l’envers. A la place ils demandent : étant donné que la plus grande partie de l’humanité a, et à toujours eu, la fibre religieuse, quelles sont les forces qui éloignent de Dieu nombre de nos contemporains – et qui ne font qu’exclusivement cela ?

Ces dix dernières années, par des essais et des livres, j’ai essayé de faire la lumière sur les nouvelles tectoniques depuis différents points de vue.

Un court roman, appelé « The Loser Letters : A Comic Tale of Life, Death, and Atheism » [Les lettres perdantes : un conte humoristique sur la vie, la mort et l’athéisme] publié en 2010, examinait l’appel moderne à l’athéisme par les yeux d’une jeune fille dans la vingtaine, en cure de désintoxication, se débattant avec les questions de théisme et d’athéisme. En 2016 – sous l’impulsion d’une suggestion de Michael Novak – le livre est également devenu une pièce de théâtre. Adapté et dirigé par Jeffrey Fiske (qui a également mis en scène « Tactique du Diable », de C. S. Lewis), le spectacle a fait ses débuts au Harkte Theater de l’université catholique durant deux semaines. (Des plans sont en cours pour produire le spectacle ailleurs dans une version améliorée.) Sous ses deux formes, l’histoire était une tentative de fouilles dans la sécularisation contemporaine, non pas sociologiquement, mais ontologiquement – pour examiner, via un personnage jeune, ce qui se passe à notre époque qui a mené à vivre sans Dieu.

La révolution sexuelle est bien sûre une part inévitable de la réponse. Par conséquent, mes trois livres qui ont suivi, dont aucun n’est une fiction, ont été des tentatives de cartographier les différents aspects des changements cataclysmiques que cela a provoqué. En 2012, un travail non romanesque appelé « Adam and Eve after the Pill » [Adam et Eve après la pilule] a donné une attention systématique à la question des effets explosifs de cette révolution, aux victimes visibles et invisibles, et à ses répercussions dans la durée.

« How the West Really Lost God : A New Theory of Secularization » (2013) [Comment l’Occident a réellement perdu Dieu : une nouvelle théorie sur la sécularisation], a ensuite défendu que les plus profondes répercussions matérielles de la révolution est sa lutte à mort, toujours en cours, avec le christianisme. Il soutient que les données sociologiques et historiques ne sont pas compatibles avec les explications conventionnelles de la sécularisation (qui prétendent que le déclin mesurable de la religiosité est le résultat de meilleures études, d’un niveau de vie plus élevé et d’autres progrès matériels). C’est plutôt que la sécularisation est accélérée par un panorama humain gravement altéré par la pilule – tout particulièrement des atteintes à grande échelle de la famille, qui à leur tour ont touché les églises pour des raisons énumérées dans plusieurs chapitres.

Mon dernier livre, publié l’an passé, « It’s Dangerous to Believe : Religious Freedom and Its Enemies » [Il est dangereux de croire : la liberté religieuse et ses ennemis] cartographie d’une autre façon la rupture qui se continue entre la révolution et le christianisme : il attire l’attention sur la « persécution polie » sans précédent, selon l’appellation du pape François, des croyants traditionnels dans les sociétés évoluées du monde anglophone et européen. Il soutient que l’animosité actuelle, unique, est dirigée, là encore, par la main cachée de la révolution. Le livre retrace la montée de quelque chose vraiment nouveau sous le soleil occidental – une foi alternative et séculière, basée quasi théologiquement sur la révolution sexuelle, qui voit le catholicisme comme un concurrent dont il faut triompher.

Durant l’année qui commence, je vais travailler sur un nouveau livre qui va reprendre le débat sur le sécularisme agressif et ses origines et mettre en lumière où se trouve le changement tectonique. Ce travail à propos de ceux que l’on pourrait appeler les anticonformistes de Dieu, englobera la question qui surgit logiquement de ce corpus de travail préexistant : que peut-on faire ?

Ce ne sera pas un mode d’emploi, mais il cartographiera les façons selon lesquelles les disciples fidèles réagissent au paysage dévasté de l’après-pilule, et retrouvent « le Dieu qui n’a pas échoué » (pour emprunter le titre d’un livre de Robert Royal). Cette nouvelle étude examinera, non pas ce qui diminue la religiosité dans le monde occidental, mais plutôt des exemples de la nouvelle vie religieuse naturelle qui émerge de la lave ici et là, alors que les contre-révolutionnaires s’adaptent et utilisent un sol chamboulé pour y creuser de nouvelles fondations.

Jusqu’à ce jour, les théoriciens ont tous essayé de changer le monde à la sauce Karl Marx ; l’objectif est d’en prendre conscience. Forer sous la surface de la toxique culture contemporaine et dans ses profonds soubassements récalcitrants peut être un ouvrage solitaire. Je suis reconnaissante à l’institut Foi & Raison pour m’offrir un nouveau logis propice à la recherche sur ces nouvelles excavations qui se poursuivent et aux lecteurs de The Catholic Thing pour leur bonhomie et leur attention – y compris pour les nouvelles notes qui suivront, en provenance des profondeurs.


Mary Eberstadt est chercheur confirmé à l’institut Foi & Raison. Elle a déjà écrit dans ces colonnes et ses thèses ont été discutées dans d’autres articles.

Illustration : la pièce de théâtre évoquée dans l’article, montée à l’université catholique

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/23/confessions-of-an-armchair-moral-geologist/

  1. Note : Le 15 mars, Mary Eberstadt, à la pensée prolifique et d’une grande diversité dans la sphère sociale, est devenue chercheur confirmé à l’institut Foi & Raison, l’institution sœur de The Catholic Thing. De nombreux lecteurs reconnaîtront son nom et ses contributions. Mais nous avons pensé qu’il serait utile que Mary vous explique brièvement ce qu’elle a réalisé et ce qu’elle espère faire. Robert Royal.