Perdu dans le cosmos - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Perdu dans le cosmos

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Lors d’une visite la semaine passée au Mémorial Américain de l’Holocauste, à Washington, j’ai regardé un documentaire sur l’accession au pouvoir des nazis. J’ai été frappé par le montage d’introduction. Les réalisateurs avaient décidé de commencer leur histoire, non pas en Allemagne mais à Paris, utilisant de vraies prises de vue de l’Exposition Universelle de 1900. Accompagnant les images sautillantes en noir et blanc des visiteurs de l’Exposition, un narrateur vantait la promotion du libéralisme et de la compréhension entre les nations véhiculée par l’exposition parisienne, et l’esprit d’invention et de progrès caractérisant le 20e siècle naissant.

« Le 20e siècle a commencé de manière très similaire au nôtre » affirmait le narrateur, « dans l’espoir que l’éducation, la science et les technologies pourraient créer un monde meilleur, sans guerre. Ce qui a suivi peu après, ce sont deux guerres dévastatrices. »

En marquant le contraste entre l’esprit optimiste de 1900 et les guerres qui allaient prochainement engloutir le monde, le documentaire ne montrait pas d’ironie envers l’attitude libérale et progressiste qui a introduit le nouveau siècle. C’était comme si les réalisateurs n’avaient pas vu de relation entre les espoirs mis dans la trinité séculière de « l’éducation, de la science et de la technologie » et les horreurs qui ont suivi.

En elles-mêmes, l’éducation, la science et la technologie peuvent être de bonnes choses. Mais quand elles s’émancipent de leur rôle propre au service du véritable développement de l’être humain, elles deviennent des instruments dangereux, parfois même, portées à l’extrême, des instruments de génocide.

La grande vertu du Musée de l’Holocauste, c’est son pouvoir de mettre en lumière le virus mortel caché dans un désir qui a défini le monde moderne durant les 500 dernières années : être, selon la phrase de Descartes, « les maîtres et les possesseurs de la nature. » Le Musée fonctionne comme une vivante reductio ad absurdum. Ses films et ses expositions démêlent l’incohérence dans les suppositions progressistes et les réduisent à une absurdité terrifiante.

En d’autres termes, ce que le Musée de l’Holocauste révèle, ce sont les conséquences dévastatrices d’un manque d’humilité envers la nature.

Et cela continue. Même maintenant alors que le 21e siècle suit son cours, nous nous débattons toujours pour apprendre cette humilité. Considérons dans cet éclairage les deux grandes promulgations avec lesquelles les catholiques, et tout spécialement les catholiques américains, ont été en prise ces derniers jours : la nouvelle encyclique du pape François sur l’environnement, Laudato Si, et la déclaration de la Cour Suprême sur un « droit » au mariage homo.

Comme le père Robert Barron l’a fait remarquer, Le pape François, dans Laudato Si, cherche à faire récupérer à l’humanité une « vision cosmologique » enracinée dans une compréhension humble et profonde de notre place dans l’ordre de la création voulu par Dieu, c’est-à-dire au sein de la nature. Pourquoi le pape estime-t-il cela nécessaire ?

Dans une modernité conduite à dominer la nature via des versions tordues de l’éducation, de la science et de la technologie, les êtres humains ont expérimenté, de façon généralement irréfléchie, une profonde dislocation. Nous avons, selon les mots du romancier catholique Walker Percy, perdu notre place dans le cosmos.

Ouvrez de même n’importe quelle traduction de la Divine Comédie de Dante et vous trouverez une carte de l’univers ptolémaïque, l’arrière-plan de la vision du poème de l’Enfer, du Purgatoire et du Ciel. Dans le modèle ptolémaïque, la terre est au centre du cosmos, comme si la Création disait que ce globe relativement minuscule, et les animaux pensants ayant reçu l’autorité sur lui, étaient sa finalité.

Quoi qu’il en soit, la domination de l’homme sur la Création n’est pas absolue. C’est un don de Dieu. Nous avons reçu la dignité de gouverner la terre, mais notre gouvernance doit être exercée en utilisant comme guides les dons naturels et surnaturels.

Nous ne sommes pas censés être les maîtres arrogants et possessifs de la nature, mais ses humbles intendants.

Comme Romano Guardini le décrit dans son merveilleux petit livre, « La fin du monde moderne », nos récentes tentatives pour maîtriser la nature ont coûté cher, l’une des facettes étant la perte de notre place dans l’ordre de la création. Nous ne nous voyons plus comme membre d’une communauté d’être vivants, avec « nos frères et sœurs ontologiques » comme les appelle le père Barron. Nous ne contemplons plus avec émerveillement notre Frère Soleil et notre Sœur Lune. Nous voyons la nature, y compris notre nature humaine, comme un matériau brut à manipuler. En définitive, nous échouons à voir que, dans cette soif de pouvoir, nous nous exilons de la communauté, de notre foyer naturel.

Et ainsi nous dérivons, tyranniques mais spectraux.

Et bien que l’image ptolémaïque de l’univers ait été remplacée par une nouvelle cosmologie dans laquelle la Terre apparaît comme un simple hasard et les êtres humains comme la quintessence de la poussière, l’ordre divin continue de soutenir le cosmos et la nature humaine continue d’aspirer à la communauté dont elle est séparée.

C’est pour cela que le pape François, dans Laudato Si, nous presse de revenir à une humble reconnaissance des limites de la domination de l’homme sur la Terre. Il sait que sans cette humilité, nous allons détruire la Création de Dieu et nous condamner nous-mêmes à une errance anxieuse dans le désert cosmologique.

Mais il est très important de ne pas perdre de vue le fait qu’en parlant de la nature, le Saint Père a en tête la culture humaine aussi bien que l’environnement physique. Il cite le pape émérite Benoît :

[Il] observe que le monde ne peut pas être analysé en isolant un de ses aspects, puisque le livre de la nature est un et indivisible » et inclut l’environnement, la vie, la sexualité, la famille, les relations sociales et ainsi de suite. Il en découle que « la détérioration de la nature est étroitement liée à la culture qui modèle l’existence humaine. »

Il y a une intime connexion entre le respect pour l’environnement naturel et, par exemple, le mariage compris comme l’union d’un homme et d’une femme. La nature une et indivisible se manifeste dans les paysages, la mer, le ciel, tout autant que dans le foyer domestique. Et c’est le même élan qui cherche pour de l’argent à détruire l’environnement ou à redéfinir le mariage, François et Benoît nous l’expliquent tous deux.

Changement climatique ou pas, c’est cette sagesse qui peut nous épargner les chambres à gaz.


Daniel McInerny est philosophe et auteur de fiction, à la fois pour adultes et enfants.

Illustration : l’univers ptolémaïque de Dante

source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/03/lost-in-the-cosmos/