Les génocides et autres panacées libérales - France Catholique
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Les génocides et autres panacées libérales

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Je réprouve le meurtre, et par conséquent je réprouve également les massacres de masse – j’y suis viscéralement opposé – et pourtant le mot génocide ne m’émeut guère. Cela est lié à son histoire, et puisqu’il a, après tout, été créé pour « marquer un point », je dois expliquer soigneusement point par point ce que je veux dire. Ce n’est pas un mot ancien, comme les mots anglais usuels. Pour ce que j’en sais, il a été forgé (d’après le mot grec genos, signifiant « race » ou « parentèle ») seulement à la fin de la dernière Guerre Mondiale, semble-t-il par le juriste polono-américain Raphaël Lemkin dans son livre de 1944 Axis Rule in Occupied Europe (le règne de l’Axe sur l’Europe occupée). Que l’on ait greffé un suffixe latin sur une racine grecque (cidere signifie tuer) n’est pas ce qui me gêne. C’est une mauvaise manière de former les mots anglais, mais nous sommes tous bien d’accord que le meurtre de masse est pire. (Cependant « genticide » aurait été plus correct.) Que ce mot fasse référence a quelque chose de réel, nous en avons pour preuve les mots qui étaient utilisés précédemment à sa place, tel populicide, mot qui est passé du français à l’anglais à la fin du 18e siècle, pour décrire le phénomène associé à la Révolution Française. C’était un autre bien vilain mot pour une réalité qui ne l’était pas moins. « Exterminer toute la tribu » – l’idée même est aussi vieille que l’homme social. Nous avons suffisamment de preuves de petites guerres d’extermination au sein de la brousse parmi nos lointains ancêtres. Et voici une partie de ce qui me gêne dans ce néologisme : il suggère quelque chose de nouveau dans l’histoire humaine. Et de fait, nombre des premiers utilisateurs souhaitaient que ce soit compris ainsi, pour des raisons que nous pouvons comprendre. L’Holocauste perpétré par l’Allemagne nazie, à mesure qu’il était révélé plus pleinement, semblait, par son échelle même, quelque chose de nouveau dans l’histoire, d’autant qu’il était présenté de façon très frappante à la conscience du monde, grâce à la photographie et aux moyens modernes de communication de masse. Tout être doté de sensibilité, et pas seulement les Juifs, pouvait sentir que quelque chose sans précédent était arrivé. Mais cela ne pouvait être ressenti qu’aussi longtemps que cela restait historiquement frais. Déjà, soixante dix ans plus tard, le choc passé, j’ai entendu des tentatives de plaisanterie qui auraient été inconcevables durant ma jeunesse. Poland_hang-300x196.jpg Pologne, 1944. Hitler est réputé avoir dit : « Qui se souvient du massacre des Arméniens ? » Dans ce domaine, qui se souvient de Tamerlan ? 1 Le verbiage qui entoure la mémoire historique est inévitable, car l’homme n’a pas les facultés de saisir la somme des horreurs qu’il a perpétré au cours des millénaires. C’est la principale raison pour laquelle nous devrions être dramatiquement sérieux sur la nature du « péché originel ». A ce propos, je ne voudrais pas avoir l’air de critiquer le travail de Raphaël Lemkin. A ma connaissance, il travaillait déjà sur ce concept avant la guerre. Il évoque le massacre arménien et élargit la discussion pour considérer la gamme complète des atrocités, principalement contre les chrétiens, dans les derniers moments de l’Empire Ottoman, alors que leur vieux système du Millet se désagrégeait. Et il poursuit avec les massacres perpétrés sous les régimes qui ont succédé. Dans le royaume d’Irak, par exemple, les chrétiens assyriens ont été massacrés sous les Ottomans en 1915 – en raison de leur foi – mais aussi de nouveau en août 1933. Un grand nombre ont été massacrés à Simele, et plusieurs douzaines de villages assyriens ont été dépeuplés par des soldats irakiens en uniforme. Comme nous le savons, les Assyriens sont de nouveau attaqués, cette fois par des islamistes sunnites fanatiques, qui ont aussi pour cibles les Yazidis et les musulmans chiites. On nous fait part aussi de représailles exercées en retour contre les musulmans sunnites par les troupes chiites de l’armée irakienne, principalement soutenues et dirigées par le régime chiite iranien, toujours plus puissant et meurtrier. Il devrait aller sans dire que tout humain digne de ce nom ne peut que condamner de telles actions et qu’aucun homme d’état occidental tant soit peu intelligent ne peut négocier ni avec l’Etat Islamique ni avec l’Iran. Comme celui d’Hitler, ce sont des pouvoirs diaboliques lâchés dans le monde, qui ne doivent pas être flattés et calmés, mais détruits. Iran_hang-300x262.jpg Iran, 1994. Mais voici je pense une contrariété majeure, venue d’un rapport rendu hier (NDT : le 19 mars) par le bureau des Nations Unies pour la défense des droits de l’Homme. Il décrit et condamne de terribles crimes commis par les jihadistes de l’État Islamique – massacre à grande échelle mais également torture, viol, esclavage sexuel, conversion religieuse forcée et conscription d’enfants. Cette documentation est importante, et je ne voudrais pas avoir l’air de critiquer les femmes et les hommes courageux qui ont risqué leur vie sur le terrain pour rassembler des témoignages sur ces faits qui doivent faire partie des records historiques. Mais le rapport se cantonne dans le politiquement correct et ses propositions sont de ce fait stupides. Les Yazidis sont pointés comme étant les victimes principalement visées des jihadistes, alors que leurs objectifs sont bien plus étendus. L’accent mis sur les Yazidis, sur leur territoire restreint sert en fait à détourner d’un problème plus général, qui est que les Yazidis, les Juifs, les chrétiens, les minorités musulmanes et d’autres sont exterminés par les jihadistes partout dans le monde musulman en vertu d’un principe politique, chaque fois qu’ils se sentent en position de le faire. J’ai dit stupide et je le maintiens. La simple suggestion d’inculper les leaders de l’État Islamique des charges de « crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide » n’est pas si bonne que ça. Nous traitons de maux d’une nature et d’une ampleur telles qu’ils dépassent l’emprise d’une loi criminelle et les faire entrer dans un tel cadre est odieusement obtus. Selon moi, le seul terme « génocide », avec ses connotations légalistes, son application toujours plus légaliste, est au cœur de tout cela. Il laisse l’utilisateur faire son choix des cibles à poursuivre et l’oblige presque à agir ainsi, en réduisant l’immensité du champ d’action à la dimension de timbre-poste d’un procès en bonne et due forme. Nous sommes défiés par des sauvages qui se situent au-delà des lois naturelles et humaines, qui n’ont même pas souci de leurs propres vies. La réponse de l’esprit moderne libéral est d’en venir à bout avec l’équivalent de tickets de stationnement.
David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un chroniqueur de Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient. Illustration : Pologne, 1944, et… Irak, 2014. source : http://www.thecatholicthing.org/2015/03/20/of-genocide-and-other-liberal-nostrums/

 

  1. NDT : Tamerlan, au cours de ses campagnes militaires au XIVe siècle, aurait massacré entre 1 et 17 millions d’individus – les estimations varient fortement car les chiffres sont difficiles à établir, chaque massacre portant sur plusieurs dizaines de milliers – soit 5% de la population mondiale de l’époque.