Nous lisons dans le premier chapitre du Deutéronome : « Viens à mon aide, Seigneur, selon tes promesses… » Cela demande pas mal de culot d’oser demander au Seigneur de tenir ses promesses, pour ne rien dire de reconnaître qu’Il nous en a fait.
Beaucoup de notre contentement et de notre mécontentement provient de promesses tenues ou non tenues. Un serment ou un engagement est une déclaration comme quoi nous allons tenir une promesse. Un voeu est une promesse solennelle, souvent faite à Dieu, qui insiste sur le sérieux de la promesse, la ferme intention de la tenir. Un contrat est un engagement qu’une chose sera faite ou livrée selon un protocole déterminé, généralement à un moment fixé. Trop de vies sont pleines de promesses non tenues. C’est pourquoi les serments et contrats sont généralement assortis de pénalités ou compensations légales au cas où les promesses ne seraient pas tenues. Les autres comptent sur nous pour tenir nos promesses.
Les promesses peuvent être liées ou non à un facteur temps. Le mariage dure, ou devrait durer, « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Un contrat peut mentionner que je dois livrer telle quantité de charbon le 20 décembre. Les promesse nous permettent de préparer un avenir qui n’a pas encore pris forme. Une promesse identifie de quelle manière untel agira ou parlera à l’avenir. Cela nous permet de faire nos propres promesses sur la garantie de celles des autres.
La question se pose des promesses que nous n’aurions jamais dû faire, ni mettre en exécution au cas où nous les aurions faites. Je pense à Hérode Antipas. Il avait juré à sa belle-fille, suite à sa danse, de lui donner jusqu’à la moitié de son royaume. A la place, elle n’a demandé que la tête de Jean-Baptiste. Le roi, puisqu’il avait fait tout ce tapage, devait « tenir » sa promesse et respecter son serment. Dans un passage célèbre de La République, Platon met en lumière que les plus grands crimes nécessitent une entente mutuelle et une promesse entre les criminels afin d’accomplir leurs pires projets. Les promesses découlent de notre compréhension et de notre puissance de volonté. Elles font partie du discours sur la libre volonté et sa relation à la raison.
Une promesse est une façon d’organiser l’avenir, comme Hannah Arendt l’a un jour expliqué. Le passé est accompli. Nous ne pouvons le changer. Mentir à propos de ce qui est survenu dans le passé est un fléau qui peut être contré par les faits. Mais l’avenir n’est pas encore arrivé. Maintenant, nous pourrions être des croyants prétendant que nous avons tellement confiance en Dieu que nous n’avons rien à réaliser. Nous nous contenterions de déclarer que tout ce qui arrive est « la volonté de Dieu ». Nous nous justifierions en déclarant suivre « la volonté de Deu », où qu’elle mène. Mais cette thèse contredit la pleine signification de ce qu’est la condition humaine : être capable d’agir et d’être responsable de nos actions.
Les régularités de la nature, les levers et couchers de soleil, se passent sans que notre volonté y ait part. Nous pouvons leur rendre hommage, non pas les changer. Il en est de même de nos propres existences, dans la mesure où nous nous en préoccupons. Mais notre existence dépend des promesses d’autres que nous, de nos parents, espérons-le, de leur promesse d’élever le fruit de leurs entrailles. Mais d’autres choses n’existeront que si nous les planifions. Mais une planification n’est pas suffisante. Nous devons les désirer, les vouloir, les mettre au monde.
Dans un essai célèbre « Défense des voeux téméraires », Chesterton a écrit ces lignes remarquables :
Il est fort intéressant d’écouter les opposants au mariage… Ils semblent se figurer que l’idéal de fidélité (au respect d’un voeu) était un joug mystérieusement imposé à l’humanité par le démon, plutôt que ce qu’il est réellement, un joug que les amoureux s’imposent toujours à eux-mêmes. Ils ont inventé une expression, une expression d’une contradiction très contrastée entre les deux mots -« l’amour libre »-, comme si l’amour avait jamais pu être et pourrait jamais être libre. Il est de la nature de l’amour de se lier lui-même, et l’institution du mariage ne fait qu’honorer l’homme lambda en le prenant au mot.
On n’a jamais mieux dit les choses. L’amour est le choix d’être libre de nous lier à qui nous aimons de façon à garder notre promesse à l’être que nous avons choisi. Les promesses et voeux non tenus ne nous libèrent pas. Ils nous démontrent seulement comment nous choisissons de ne pas être libres.
Dans la formule pénitentielle de confession, nous « promettons » fermement de faire une réparation pour nos péchés. Sans cette promesse, les choses restent au point mort, moralement et sacramentellement. Si nous ne respectons pas une promesse, et qui ne l’a fait, nous ne devons pas en faire une excuse pour balayer toutes nos autres promesses. Mais si nous nous trouvons renier constamment nos promesses, les solennelles et les ordinaires, nous approchons la condition de cet « amour libre » auquel Chesterton fait référence, un amour qui ne nous lie à personne d’autre que nous-mêmes.
James V. Schall, qui a été professeur à Université de Georgetown durant 35 ans est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques aux Etats-Unis.
source : http://www.thecatholicthing.org/2014/12/09/16005/
Tableau : La décapitation de Jean, par Le Caravage.