Une journée au tribunal pour Eleanor McCullen - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Une journée au tribunal pour Eleanor McCullen

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Mi-janvier, à la fin de la session d’automne à l’Université Amherst, j’emmène à Washington un groupe d’étudiants assister à une séance de plaidoiries à la Cour Suprême, suivie d’une rencontre avec un des juges. Cette année, c’est le Juge Alito qui a eu l’amabilité de consacrer un peu de son temps à mes étudiants ; c’est vraiment un pédagogue hors du commun.

Ce jour là, les étudiants ont entendu les délibérations en appel pour la pieuse Eleanor McCullen. Elle avait agi des années et des années, se tenant devant des cliniques d’avortement, entamant le dialogue avec des jeunes femmes pour tenter de les persuader de laisser vivre leurs enfants. Mais elle était désormais paralysée par un décret de l’État du Massachusetts interdisant à toute personne d’approcher « sciemment » à moins de dix mètres d’un « établissement consacré à l’hygiène de la reproduction » — autrement dit consacré au blocage de la reproduction.

Ou, en d’autres termes, une clinique d’avortement, et le décret visait nettement, évidemment — et exclusivement — les gens qui, comme Eleanor McCullen, tentaient une ultime démarche pour empêcher un avortement. Tentatives remarquablement couronnées de succès. Septuagénaire, Eleanor McCullen a sauvé des centaines d’enfants de cette manière.

L’affaire McCullen fut habilement plaidée ce matin-là par Mark Rienzi, de l’École de Droit de l’Université Catholique d’Amérique, et il semble qu’il emportera la décision sur cette affaire. S’ajoute à la netteté de son argumentation le fait que la composition de la Cour a été remaniée depuis une affaire comparable traitant d’un décret de l’État du Colorado interdisant d’approcher à moins de 2m50 des cliniques d’avortement.

Il s’agissait de l’affaire « Hill contre l’État du Colorado » en 2000. J’assistais à l’audience ce jour-là, entendant le Juge Scalia exprimer sa forte réprobation. Et, repensant à ce procès, les paroles qu’il prononça alors me semblaient coller parfaitement à ce qui se disait maintenant devant la Cour.

L’approche, telle que la voyait Scalia, était une sympathique invitation à dialoguer et ce genre de conversation ne pouvait se tenir, remarquait-il, à distance et à tue-tête.

Un puissant porte-voix n’aidera guère une femme souhaitant, à l’instant où une autre femme se prépare à avorter, nouer une relation dans un souci intime susceptible de la persuader de changer d’avis et d’ouvrir son cœur. Cette personne de bon conseil peut souhaiter marcher à côté d’elle et dire, aussi gentiment et doucement que les circonstances le permettent, quelques mots comme : « chère madame, je sais ce que vous allez subir, j’y suis passée moi-même. Vous n’êtes pas toute seule, et vous n’êtes pas obligée de le faire. Il y a d’autres solutions. Acceptez-vous que je vous aide? Pourrai-je vous montrer une image ressemblant à votre enfant à son stade de développement? » La Cour voudrait-elle nous faire croire qu’une telle intervention serait efficace — peut-être même plus efficace, hein ? — en braillant dans un porte-voix à deux mètres cinquante ?

Alors on sentit une flagrante différence quand Me Jennifer Miller se leva pour prendre la défense du décret du Massachusetts à propos de « McCullen contre Coakley » et déclara que les protestataires « peuvent s’exprimer et s’opposer à l’avortement dans l’État du Massachusetts . . . dans l’espace public au-dehors des établissements d’avortement.» Il n’est pas question de contestation, insista-t-il [le Juge] : « ces personnes ne contestent pas les avortements. Elles désirent parler à ces femmes qui se préparent à avorter et les inciter à y renoncer. C’est une tromperie que dire qu’elles contestent l’avortement.»

Le Juge Alito précisa que le personnel de la clinique a le droit de parler aux personnes entrant dans la clinique et les rassurer sur la sécurité de la clinique. Et pourtant une autre personne n’aurait pas le droit de dire à ces mêmes femmes que ce qui se passe dans la clinique n’est nullement conforme à la sécurité, ni pour elles ni pour leur enfant. Les Juges reconnaitraient aisément qu’une telle situation serait due à une forme de censure opposée à un point de vue moral.

Le Juge Breyer répliqua néanmoins qu’un décret interdisant toute activité dans une zone de dix mètres devrait empêcher les frictions se produisant fréquemment devant les cliniques. À quoi le Juge Kennedy demanda, avec une pointe de doute, si l’État pourrait publier un décret empêchant les manifestations sans mettre obstacle à une espèce de discours courtois qui a droit à une protection constitutionnelle.

Quatorze ans plus tôt, dans l’affaire « Hill contre l’État du Colorado » le Juge Stevens maintint l’interdiction faite aux « Pro-Vie » au nom du droit constitutionnel à être laissé tranquille. Mais ce droit était jadis invoqué pour protéger les habitations contre les intrusions telles que les écoutes sur lignes téléphoniques. Et pourtant, des années durant, la Cour avait protégé le droit d’agresseurs politiques ou religieux à importuner les gens dans la rue, alors que leurs intrusions étaient désagréables et pénibles. Mais ici, comme ailleurs, il y aurait des zones interdites écartant les « Pro-Vie » des protections constitutionnelles accordées à n’importe qui d’autre.

Le décret du Massachusetts sera probablement cassé, mais une question demeure: la Cour fera-t-elle la distinction entre 10m et 2m50, ou règlera-t-elle le nœud du problème en cassant aussi le précédent de « Hill contre l’État du Colorado » ?

Source : Eleanor McCullen’s Day at the Court