Au Japon, on l’appelle hikikomori. Selon le ministère de la Santé, c’est la circonstance dans laquelle des personnes, hommes ou femmes, généralement jeunes, « refusent de quitter leurs maisons, et par là même, s’isolent de la société… pour une période de plus de 6 mois. »
La futurologue américaine Faith Popcorn a identifié un syndrome similaire ici, qu’elle appelle cocooning. Que ce soit ici ou là-bas, c’est une affaire grave, exacerbée par les médias : Ces réalités virtuelles du câble TV, de l’internet, de la messagerie instantanée, des jeux video, etc.
On peut simplement se coucher et mourir. En fait, cela s’appelle kodokushi , la « mort solitaire », autre problème qui infeste le japon. Les gens isolés, principalement les hommes au chômage, meurent dans leurs appartements. (Le nombre d’hommes japonais qui vivent seuls s’est accru de moins de 200 000 en 1980, à plus d’un million en 2005.) Personne ne le remarque avant que la puanteur d’un corps en décomposition ne se transmette par les conduits d’aération.
Comme l’a rapporté le New York Times en 2012,
Les commodités ne fonctionnent plus. Le courrier s’empile. Aucun bruit ne vient de l’appartement. Les voisins ne viennent pas frapper. Personne ne vient, personne ne s’en va.
C’est une vision horrible d’une société qui se dégrade, quoique le Japon vaille mieux que cela – et l’Amérique aussi. Mais ici, il y a trop de gens qui se retirent à l’intérieur des média sociaux, qui pour certains, peuvent paraître « sociaux » mais pour d’autres sont simplement une amplification de leur réclusion.
C’est le thème du nouveau film : « Elle », du metteur en scène (Adam Spiegel) qui se fait appeler Spike Jonze. Joaquin Phoenix, acteur souvent fascinant, joue le rôle de Théodore Twombly, un semblant d’écrivain, qui vit dans une dystopie séduisante et colorée au sein de laquelle un phénomène que nous connaissons — des gens ignorants de ce qui les entoure, marchent avec insouciance tout en rédigeant des SMS ou des tweets ou en parlant au téléphone, oublieux, apparemment, du reste du monde — est devenu une manière de vivre. Les gens ne font que se croiser.
Théodore achète le plus récent et hyper intuitif système pour son monde branché, et en l’espace de quelques secondes, « Samantha », (la voix de Scarlett Johansson) entre dans sa tête et dans sa vie. Au fur et à mesure qu’ils se parlent, « elle » le connaît et le comprend mieux, et, apparemment, l’aime. C’est un amour étrange, rendu plus étrange encore par le classement « R » du film. 1
Une personne qui habite un appartement voisin de celui de Théodore, Amy (Amy Adams), développe elle aussi une relation avec son ordinateur, quoique plus platonique.
Mais Théodore et Samantha vont partout ensemble, même en vacances, et elle double cette relation par des rendez-vous avec un collègue de travail de Théodore, qui vit par ailleurs avec une vraie femme.
Le film se termine comme un film classique de science-fiction, non pas parce que les intelligences virtuelles telles que Samantha disparaissent, apparemment lassées des humains, mais parce que le monde qui reste à Théodore et à Amy paraît si petit. Cela m’a fait penser à la fin du film « L’homme incroyable qui rétrécissait » (1957), un film que j’avais vu étant enfant et qui m’avait effrayé et attristé. Scott Carey (Grant Williams) est exposé à un nuage bizarre et commence à maigrir. Mais il rapetisse en même temps. Il rétrécit jusqu’à ce qu’il réalise qu’il va sans doute atteindre la taille d’un atome et tomber dans l’oubli, ce qui lui apporte la paix car, dit-il « pour Dieu il n’y a pas de zéro. »
Privés de leurs compagnons d’intelligence artificielle, Théodore et Amy, assis sur un toit, contemplent Los Angeles au coucher du soleil, et sont presque ensemble.
Avez-vous remarqué que dans presque tous les films futuristes (et c’est vrai de la plupart des films je suppose) personne ne va jamais à l’église, ni ne prie, ni ne mentionne le nom de Jésus Christ ? (L’exception, ce sont les films qui mettent en scène le diable : ils présentent au minimum un rôle de prêtre catholique.)
Dans « Elle » tous les personnages sont refermés sur eux-mêmes, et par là même, se sont écartés des autres et bien sûr de Dieu. Si Spike Jonze lisait cette phrase, je ne sais pas s’il acquiescerait, ou froncerait les sourcils ; et cela m’est égal. Cela ne m’intéresse pas de savoir ce qu’un metteur en scène a voulu « dire », je ne sais que ce que je vois sur l’écran. Sur le site de critique de films « Tomates pourries », le consensus est qu’il s’agit d’un film « charmant, plein de cœur et intelligent, » à quoi je peux répondre que, ma foi, au moins un des trois adjectifs n’est pas faux.
Oui, le film est intelligent. Et certains peuvent trouver charmant que l’amoureuse artificiellement intelligente de Théodore éveille en lui toutes les émotions qu’il aurait dû ressentir et exprimer avec son ex-femme (Rooney Mara) ou pourrait en venir à ressentir avec Amy. Mais c’est le genre de tarte à la crème que les préados pourraient trouver charmant.
Et si un film a jamais manqué de cœur , c’est bien « Elle ». En partie parce que au moment où Théodore avoue sa relation avec une amie virtuelle, personne ne réagit. Il n’y a pas de doute que la cour de justice accepterait qu’ils se marient, comme elle accepterait qu’il épouse une licorne si c’était l’objet de son désir.
Théodore est hanté par des souvenirs de son mariage raté, et c’est normal car même s’il était d’une spontanéité bien imparfaite, ce mariage était peut-être sa seule chance de vrai bonheur. Le message de « Elle » pourrait être en effet qu’il n’y a de vrai bonheur que virtuel. Mais en tous cas, pas de salut virtuel
« Elle » est un film qui vaut la peine d’être vu, même si quiconque en sort en pensant que c’est le gentil petit film de l’année devrait aller tout droit se confesser, car le monde de « Elle » est un vrai cauchemar.
Faites particulièrement attention à la brève apparition de l’actrice Olivia Wilde, jeune femme qui tente désespérément de trouver un amour vrai et durable : Elle vous rappelle pourquoi on dit que le jeu de l’acteur est tout dans le regard.
Brad Miner est éditeur Senior de The Catholic Thing.
Traduction de « The small worle of ‘HER’ » : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-small-world-of-qherq.html