On peut toujours trouver des motifs de se consoler à bon compte de la condition de l’Eglise catholique aujourd’hui – que ce soit au Canada, aux Etats-Unis, en France, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, etc. On n’a que l’embarras du choix. Or chacun de ces motifs peut être aisément dissipé. On les trouve à tous les niveaux, local jusqu’au transhistorique, mais aussi sur un plan plus spirituel.
En commençant par le bas, je trouvai une grande consolation récemment en apprenant que désormais la pratique dominicale moyenne aux Pays-Bas était désormais plus forte chez les catholiques que chez les protestants : 5 contre 3 pour cent de la population respectivement. C’est un peu comme cette vieille femme de 90 ans qui se réjouissait de survivre à sa plus mortelle ennemie depuis l’enfance.
On trouve beaucoup de motifs de consolation dans les projections statistiques : c’est ainsi que le taux de natalité chez les catholiques pratiquants est supérieur à celui des catholiques non-pratiquants, de même chez les chrétiens en général. De même les juifs orthodoxes ont désormais pris l’avantage sur leurs coreligionnaires réformés dans la ville de New York…
La « bombe démographique », selon moi, a déjà explosé. Les « justes » sans enfants ne verront peut-être pas les masses prolifiques mourir de faim dans une catastrophe écologique. Au contraire leur vision triomphe : nous anticipons désormais une chute massive de population en Occident et partout où le mode de vie bourgeois occidental prévaut, c’est-à-dire un peu partout à travers le monde.
La perspective consolante est en l’occurrence une ville de New York, par exemple, avec de nombreux immeubles vides, où la population résidente résiduelle sera composée exclusivement de catholiques traditionalistes et de juifs ultra-orthodoxes, peut-être traversée par quelques chariots de Mennonites au milieu des herbes folles sur la Cinquième Avenue. Même chose à Amsterdam ou Rotterdam, aux Pays-Bas en partie recouverts par les eaux de la Mer du Nord. A nouveau catholiques, sauf que ceux-ci seront nettement surclassés par une majorité musulmane observant la charia.
Les tenants de la « bombe démographique » auront sans doute eu plus d’esprit que nous. Sous leur bref règne, ils auront réussi à transformer totalement la structure éducationnelle, culturelle, juridique et administrative des sociétés occidentales de telle sorte que la vie des enfants dans le futur sera bien plus confortable que la leur, ou plus candidement, que la vie des enfants chrétiens sera plus altérée. La « culture de mort » sera ainsi poursuivie dans les générations futures, y compris pour les enfants des familles traditionalistes, voués à Sodome et Gomorrhe et à l’Etat providence. Au moins ces traditionalistes pourront-ils se consoler à l’idée qu’ils ont fourni des enfants pour la génération suivante et résiduelle.
Un motif de consolation est souvent issu de l’Histoire longue, à savoir que nous serions en proie aux défis qui ont confronté les premiers chrétiens. Le monde païen bascule autour de nous mais une poignée de chrétiens maintient la flamme des premiers chrétiens. Or rien n’est plus faux. D’abord nous sommes nous-mêmes impliqués dans la décadence qui est de notre fait. Nous portons la responsabilité de cinq siècles d’affrontements à l’intérieur de notre propre camp. C’est ainsi que le paganisme fut restauré.
Reste la consolation « spirituelle ». Chaque chrétien traditionaliste rêve d’une séparation avec le monde qui nous entoure, une « sortie » hors de Sodome et Gomorrhe et de l’Etat-providence. Mais ce n’est qu’une fausse consolation si elle n’est pas un appel authentique, personnel, à vivre une vie monastique. L’attrait pour des sortes de communautés catholiques hippies – ou « mennonites » – doit être pris pour ce qu’il est : ce n’est pas du catholicisme ; c’est du communisme utopique.
Et même si c’était possible, ces communautés n’échapperaient pas au gouvernement. Nulle part, aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde occidental contemporain, l’Etat ne laisse les citoyens à eux-mêmes. Personne ne saurait échapper aux lois et règlements de l’Etat.
La publication du dernier ouvrage de George Weigel, intitulé Le catholicisme évangélique ; la profonde réforme de l’Eglise du XXIe siècle s’inscrit sur cet arrière-plan. Au long de trois décennies, G. Weigel ne s’est pas affirmé seulement comme un observateur avisé des questions religieuses mais aussi de l’état du monde. Sa thèse, que je crois juste, est que nous ne vivons pas une répétition de l’Histoire. Il est certes possible de tracer des parallèles historiques sur tel ou tel aspect mais la situation actuelle est sans précédent. Pourtant, elle appelle toujours le même remède : il n’existe aucune alternative à l’évangélisation. Il n’y en a jamais eu. Aucun combat d’arrière-garde ne sauvera les « valeurs » ou la « tradition » catholiques ni n’étanchera les pertes. En termes sportifs (le hockey sur glace au Canada), nous partons en seconde mi-temps avec un handicap de cinq buts ; il nous faut certes améliorer notre posture défensive mais cela ne nous permettra pas de gagner la partie. Plus sérieusement, le Christ n’a pas envoyé ses apôtres pour simplement maintenir leur avantage.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/false-comfort.html
Tableau : Saint Pierre préchant devant saint Luc – Fra Angelico – vers 1433.