Réjouissance matinale que d’assister, tout en préparant le petit déjeuner, au lent lever du soleil : dès que l’astre, encore invisible, commence juste à dessiner de fins et presqu’imperceptibles traits d’un rouge sombre, à peine distincts de la nuit. Peu à peu l’étendue de ce soupçon de lumière progresse en même temps que l’intensité des couleurs : cela va du sud au nord, cet arc immense d’un horizon réduit à cette frange étroite peu à peu nourrie de cette substance lumineuse qui souligne avec orgueil le dessin vigoureux des arbres réduits chacun à leur squelette noir.
Nous ne cessons d’aller de la table à la fenêtre : notre cuisine devient alors l’antre de la merveille. Les couleurs se sont à la fois étendues et multipliées, enrichissant la palette du ciel de mauve, de jaune, avec des plages d’un bleu tendre que cernent des nuages légers dont le gris presque rose soutient la comparaison avec les vivantes incandescences qui les cernent et marquent de plus en plus violemment la place où sa majesté fera éclater, dans quelques secondes, peut-être une éternité, l’irradiante splendeur de sa beauté.
Il suffira de deux ou trois minutes pour tout effacer…
À 10 h 30 nous prenons la route pour Angers : ce jour d’hui nous allons à la cathédrale pour la messe dominicale. Maroussia va aider les paroissiens à chanter avec plus d’ardeur et de rythme. Notre gendre Raphaël est au premier rang avec deux de ses enfants : Ti-Gab, diminutif de Petit Gabriel, par opposition à Grand Gabriel, notre fils aîné, et Cyriaque. Le premier me surprend : certes, il cherche par tous les moyens à capter notre attention, mais sans bruit, ce qui est un très grand progrès ! Le second est sage comme la grande et étonnante sculpture baroque représentant saint Michel au-dessus de l’autel. Mais l’aîné, Théophane, où est-il ? Chez les scouts. Et Zita ? la benjamine dont nous fêterons le premier anniversaire le 3 mars… Elle est à la crèche organisée par la paroisse.
L’office débute par le cortège des enfants de chœur, presqu’une vingtaine : parmi eux Pierre-Jean se tient bien droit, les yeux errants de la voûte aux vitraux. Le Père Le Pivain, qui va célébrer l’office, clôt la marche.
Ce qui marque fortement l’esprit, outre évidemment le miracle toujours renouvelé de la venue du Christ, c’est le texte de saint Paul sur l’amour. Passage très souvent choisi pour les messes de mariage, les futurs époux croyant qu’il contribuera à célébrer plus dignement leur amour… alors que bien entendu saint Paul développe une autre vision.
Sans aucun doute pour moi – et après tout il est bien l’un des fondements de ma foi, de mon espérance et de mon amour ! – ce passage de l’Épitre aux Corinthiens1 nous fait découvrir l’amour qui est Dieu et qui nous vient de Lui. Il est détaillé d’une façon si admirable que même des incroyants ne peuvent en détacher leurs oreilles.
On ne peut pas s’étonner d’entendre ici une si vigoureuse présentation d’un tel mystère divin et de penser en même temps à la déchéance du mot lorsqu’il est saisi par « l’esprit de ce monde », soit celui du Prince des Ténèbres, qui fut en origine le Porte Lumière…
Avant de partir à Angers, nous l’avions lu avec enthousiasme, sachant que de ce magnifique portrait du Père infiniment amour quelque chose d’éblouissant se dégage de cette « réalité » spirituelle et vient en nous dynamiser ses feux. En même temps nous ne pouvions que tourner nos esprits vers ce qui se passait alors au sein de l’Assemblée nationale : se vivait là-bas l’un de ces moments tragiques où se consomme l’union de ténèbres entre les hommes et ce Prince déjà cité, dont le fruit, comme une ordure, est l’abaissement majeur de la notion d’amour : moment de perte de la civilisation telle qu’elle existait il y a encore peu de temps et telle que la Gauche française veut la refonder, en lien étroit d’ailleurs avec les divers pouvoirs mondialistes qui se croient pour toujours d’universels vainqueurs, : n’est-elle pas, et si peu secrètement, l’une des concubines ?
Le Père Le Pivain, en son homélie, fit valoir avec bonheur les trois étages que l’on doit distinguer en l’unité foncière de l’amour : l’éros, la philia (soit l’amitié) et l’agapè, source de la joie spirituelle entre convives que réunit l’amitié de Dieu. Je me suis souvenu, non sans une légère émotion, de mon professeur de philo2 qui nous exposait clairement, mais avec modestie et sagesse, les trois extases3. qu’éprouve l’être humain : la première exaltant la chair dans les actes qui la concerne, ne se devant licitement que dans les œuvres du mariage sacramentel en vue première de la constitution de l’immense peuple d’enfants que désir l’Éternel ; la deuxième exalte le cœur de l’homme lorsqu’il s’ouvre à ses frères humains et s’attardent avec délice dans la communion des entreprises, des jeux, des aventures de l’esprit de géométrie comme de sagesse ; la troisième étant la plus difficile d’accès quoique la plus simple à entrevoir et accomplir, se tenir devant Dieu et reconnaître en plénitude celui qu’Il est, ce qu’Il fait afin de désirer plus que tout au monde de rester à jamais en sa demeure, en son repos, en son amour. Lire à ce sujet les propos sublimes mais pas toujours évidents à comprendre de saint Thérèse de Jésus.
Comment réduire à si peu de mots ce qui est à proprement parler indicible, quoique l’on ne puisse s’empêcher de tenter toujours de trouver les expressions qui s’accorderaient entre elles pour faire entrevoir cet abyme inverse des splendeurs infinies ?
Nous nous y essayons, comme des infirmes, mais il faudrait être, pour avoir la moindre chance de ne pas bégayer, le plus subtil des poètes comme le plus ardent aussi bien que le plus inventif, quoique ce ne serait pas suffisant pour être enfin à la hauteur d’une telle tâche, à la portée seulement de Dieu.
Pour aller plus loin :
- Chapitre XII, 31 au XIII, 13.
- [Impossible de retrouver son nom alors que je me souviens parfaitement de son allure générale, de son visage et même de son mouvement de bouche qui semblait savourer les mots de sa leçon…
- Un autre prêtre, mais je ne me souviens plus du tout de son apparence physique, avait sur le même sujet, quelques dix années plus tard, parlé de l’orgasme physique, puis, à un niveau supérieur, de l’orgasme intellectuel… Des mystiques, assurait-il, ont connu le même phénomène en leur âme, conduits qu’ils avaient été à contempler ce qui reste invisible pour le commun des mortels : ce qui ne m’a jamais semblé bien approprié ou pertinent. Entre le sommet de l’excitation organique ou même de l’intellect et le sommet de la tension mystique il doit exister, à mon sens une différence de nature ; mais n’ayant jamais reçu de telles faveurs, je ne puis que conjecturer.