Dans un des plus beaux passages du « Seigneur des Anneaux », de J.R.R. Tolkien, Frodo et Sam prennent un moment de repos vers la fin de leur longue lutte contre le mal : « Là, le regard perçant les nuages, Sam vit, au-dessus d’un sombre pic rocheux, tout-en-haut dans les montagnes, scintiller un instant une étoile blanche. Sa beauté toucha son cœur tandis qu’il regardait au-delà du pays abandonné, et l’espérance renaît en lui. Telle une flèche, nette et froide, la pensée le transperça qu’à la fin l’Ombre n’était que passagère ; une lumière et une grande beauté existaient éternellement dans l’au-delà. »
C’est cela ou quelque chose d’approchant qui a toujours été le secret de la fête de Noël. Des légions d’archéologues, d’ethnologues, de psychologues, d’anthropologues, de théoriciens littéraires, d’étudiants des mythes, d’érudits de l’exégèse scripturaire, de neurologues, d’athées ordinaires, de railleurs médiatiques surpayés, et d’autres spécimens étranges de l’espèce humaine, ne réussiront jamais à brouiller ce simple fait. Quand la lumière est venue dans le monde, une vérité a été révélée.
J’ai connu des gens plongés dans des dépressions et tentés par le suicide – certains cas relevant de la médecine, d’autres simplement prisonniers d’un écheveau de mauvais choix évoluant hors de tout contrôle. Ils m’ont confié que la seule pensée qui les ait dissuadés de tout laisser tomber était celle qu’en dépit de tout, le bien était à l’œuvre dans ce monde. Certes tous ne relient pas ce bien à Dieu. Mais de nos jours, une fois que vous vous êtes tournés vers quelque chose — n’importe quoi — de bien et de vrai capable de survivre au pire que nous réserve la vie, vous êtes sur la voie royale qui mène à de nouvelles découvertes sans savoir où cela va finir.
Il est bon de se souvenir à cette époque que Noël est en vérité le début d’une sorte d’aventure. Ceux qui méprisent la religion sont encore allés au-delà de la simple exclusion du Christ du domaine public ; ils se sont moqués du sentimentalisme de Noël. Ils agissent à partir de la fausse impression que les croyants seraient une bande de naïfs moyen-âgeux qui n’ont jamais entendu parler de doute ou de réflexion.
En fait la plupart des croyants aujourd’hui n’ont entendu parler d’à peu près rien d‘autre — ils ont été confrontés au scepticisme et en ont triomphé. Ceux qui doutent se fondent sur la manière dont Noël est souvent célébré. Si les Chrétiens se contentaient en effet de donner l’impression que Dieu est né et que toutes choses sont désormais dans le meilleur des mondes, ils laisseraient l’essentiel en dehors.
Au XIXe siècle, le cardinal Newman, dans l’un de ses sermons de l’Avent, avertissait déjà que la question de savoir « qui sera fidèle le jour de Sa Venue » se pose tout autant pour la première venue à Noël que pour la seconde au Jour du Jugement dernier. Si Hérode était prêt à massacrer tous les innocents pour empêcher la lumière de l’étoile de venir dans notre monde, ce n’était pas sans raison. Cette lumière renverse les trônes et personne n’est plus en sécurité dans la poursuite de ses intérêts propres. D’où l’hostilité, ancienne et contemporaine.
Tout chrétien sensé comprend la véritable joie de Noël. Même si elle est souvent sentimentale, elle est plus vraie que le monde des faux réalistes. Pour plusieurs raisons, nous avons perdu la distinction entre le sentiment authentique – la sensibilité humaine naturelle – et l’émotivité artificielle et fausse qui prévaut désormais en tout. Ceux qui ont aperçu l’étoile blanche savent, en dehors de toute forme de procès ou d’illusion, que ce que le monde rejette comme « pure sensibilité » n’a rien à voir avec un sentiment profond.
Les chrétiens doivent manifester qu’ils sont bien conscients que l’étoile apporte de nombreuses satisfactions mais aussi de fortes exigences si nous devons rester fidèles à la vision. Les « Hobbits » auraient été bien contents de rester dans le confort de « La Comté ». Mais celui-ci ne contient pas tout ce qu’une personne humaine peut demander. Il ne saurait survivre dans un pays abandonné sans l’aide de quelqu’un qui saurait braver tous les inconforts pour protéger ce que tout le monde trouve naturel.
Un centre commercial n’est pas une « Comté », mais c’est une forme de tentation analogue pour tout ce qui est facile et pacifique. On n’a pas tort de dénoncer l’excès de publicité et le mercantilisme outrancier de cette époque – laquelle entre Halloween et la Nouvelle Année consiste dans la recherche du meilleur prix. On nous assure même que la santé de l’économie dépend de la confiance du consommateur durant cette époque.
Comme toujours, ce n’est pas tant CE qui fait problème que POURQUOI cela fait problème. Donner et recevoir des cadeaux fait partie des grandes choses de la vie. Dans certaines civilisations, le système est parfaitement codifié et exprime et protège son humanité au lieu de la dégrader et de la déformer. Les produits apportés par les Mages témoignent de l’honneur dans lequel une civilisation ancienne tenait le Roi des Rois même nouveau-né.
L’étoile de Bethléem, comme celle de Sam Gamgee, est hors d’atteinte de toutes les ombres qui voudraient la recouvrir. Pas nous. C’est pourquoi nous ne devons envoyer au monde que les personnes qui ont eu l’expérience comme enfants de la lumière que le monde ne saurait donner. Plusieurs de nos difficultés proviennent de personnes si nombreuses qui n’ont pas reçu cette expérience en don.
Même un chrétien formé par Noël peut avoir du mal à affronter tous les défis de la vie. Mais quand vous avez vu « cette lumière et cette grande beauté » vous avez l’espérance de recevoir ce dont vous avez besoin pour retrouver votre voie. Et vous ne serez jamais sous le coup de la plus paralysante des illusions – non pas la sentimentalité de Noël, mais l’illusion que ce qui est vraiment beau est trop beau pour être vrai.
http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/christmas-hope-returned.html