Le programme spatial américain m’a tenu éveillé plusieurs heures dans la nuit de dimanche (5 août). Comme des millions de gens à travers le monde, j’étais captivé par l’atterrissage sur Mars. Conscient de la complexité de la mission, l’une des prouesses technologiques les plus délicates jamais entreprises par l’homme, je m’étais préparé au pire.
Je me suis souvent identifié avec ces personnages d’ingénieur dont ma propre famille compte plusieurs représentants. J’apprécie la poésie implicite de nombre de leurs déclarations, l’usage instinctif de figures de style telles que la litote. Ils témoignent d’un degré de stoïcisme bon enfant face aux mystères de la nature.
Les peuples du Nord, païens, germaniques – les vieux nordiques, goths, angles et autres saxons – cultivaient ce genre d’hyperboles inversées. St Paul, qui ne venait pas de « n’importe quelle cité », pourrait passer pour un Germain de ce point de vue ; le Christ lui-même, si l’on se rapporte à sa remarque à propos de ce drôle de Nathanaël : « voici un Israélite sans détour » (Jean, 1, 47) 1
« Un petit pas pour un homme », le mot de Neill Armstrong, un essai de diction poétique, dûment répété à l’avance, faisait emprunté dans sa bouche. En revanche, l’adolescent que j’étais lors de l’atterrissage sur la Lune avait été durablement impressionné par une autre phrase : « Ici la base Tranquillité. L’aigle a atterri ». C’était un propos d’ingénieur, « sans détour ». De la poésie pure.
Ce dimanche, il me sembla en entendre un écho : « Touché au Cratère des Tempêtes; sain et sauf sur Mars ».
Après des décennies de travail de milliers d’hommes et les sept dernières minutes de terreur lorsque la minuscule capsule traversa la mince couche d’atmosphère martienne, ce fut une explosion de joie et un déferlement d’émotion au laboratoire de turbopropulsion de Pasadena. Bientôt suivi des premières images basse définition de la surface, poussant aux larmes des hommes confirmés à la vue d’une simple roue et de la poussière qu’elle soulevait…
Je ne pouvais m’empêcher de penser que tout aurait pu se passer autrement. J’avais entendu précédemment un ingénieur en chef confesser honnêtement que le système d’atterrissage à plusieurs détentes paraissait fou, même à lui. C’était là, pensais-je, le propos d’un homme qui savait ce qu’il faisait.
Tout peut en effet toujours capoter en dépit de la meilleure des préparations. C’est ce qui arrive régulièrement aux coureurs olympiques après des années d’entraînement intensif : car, sur cette planète, ou une autre, rien n’est jamais acquis. Les meilleurs ingénieurs savent qu’un pont magnifique peut se briser en un instant sous le coup d’un rythme imprévisible. Ils pratiquent la vertu cardinale de prudence qui est proche, dans les cas extrêmes, de la sainteté. La science vraie est de fait le terrain d’excellence d’application de toutes les vertus. Elle requiert une humilité implacable en présence de phénomènes qui vont bien au-delà de notre petite sphère d’entendement.
Les bons physiciens savent que la physique, pourtant la plus précise des sciences naturelles, est aussi la plus étroite. Elle n’a pas réponse à tout mais seulement à des questions très spécifiques formulées en termes de physique. La technologie qui dépend beaucoup de la physique est, comme la mission sur Mars, très spécialisée. Les autres sciences ne doivent leur prestige qu’à l’imitation de cette précision.
La chimie, à l’autre extrémité de la physique, ne fait que commencer à prendre de la distance par rapport à ce qui est entièrement prévisible. La biologie se disperse à l’encan. Peu à peu, nous « progressons » vers le positivisme insipide des sciences sociales statistiques où ce que nous recherchons ne peut s’obtenir avec un degré de précision même approximatif ni d’une manière logique et cohérente.
Si l’on s’éloigne de la trajectoire très étroite qui peut nous acheminer en toute sécurité vers Mars, si l’on considère les espaces infinis, nous disposons de moins en moins de données précises et nous dépendons de plus en plus de la sagesse et de la révélation. De même pour la technologie qui accompagne notre recherche : nous sommes de moins en moins aptes à obtenir des résultats.
Quand on aborde la sociologie, la technique de l’ingénieur confine à la farce. « L’ingéniérie sociale » engendre les conséquences les plus graves, non souhaitées.
Si je pouvais apprécier comme tout un chacun le spectacle de cet atterrissage sur Mars, je ne laissais pas d’être légèrement perturbé par les clameurs de la foule à Times Square à New York devant les écrans géants. « USA ! USA ! » ne faisait pas grand mal dans le contexte, pas plus que « NASA ! NASA ! » Mais « Science ! Science ! » était de trop : l’adoration de la science n’est pas de la science mais du scientisme.
La foule qui scandait cela n’avait pas tant soif de vérité, poursuivie d’une manière désintéressée, que d’une science officielle, idéologique, que l’on rencontre dans le réchauffement climatique, le néo-darwinisme, la psychologie évolutive, ou d’autres projets qui utilisent les techniques de la science physique à des fins qui la dépassent. Nous entrons dans des secteurs dont les diverses variables défient toute compréhension humaine…
Pour ne prendre que l’exemple du réchauffement climatique, il faut se souvenir que les scientifiques qui ont lancé la fusée Atlas V-541 de Cap Canaveral étaient incapables de prévoir à coup sûr le temps qu’il ferait au moment du lancement. Il est vraisemblable que nous ne réussirons jamais à prévoir correctement le temps même à moins d’une semaine. Les options possibles des masses frontales sont trop nombreuses. La quête d’une climatologie « officielle » est illusoire ; vouloir agir sur le temps à partir d’une chimie atmosphérique relève de l’enfantillage.
Les cris de « Science ! Science ! » vont à l’encontre de la prudence élémentaire qui nous révèle nos limites.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/curiosity-roving.html
Photo : ingénieurs se félicitant du succès du robot Curiosity