Voici quelques semaines, je notais dans un article que certains prêtres semblent chercher à se débarrasser du plus dur de leur fonction; je voulais dire: traiter du péché. Réfléchissant à un article lu dans le journal britannique The Tablet à propos de prêtres « scandalisés par l’écart croissant entre théorie et pratique au sein de l’Église », je reconnaissais que dans mon propre cas il y avait une bonne distance entre théorie et pratique.
Pour moi c’est un « péché ». En théorie « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». En pratique je me comporte comme un zozo égoïste. Je sais bien que c’est dur de résister au péché. C’est pareil tout le temps. Et c’est bien pourquoi j’ai besoin d’un prêtre solide prêt à m’accompagner dans l’épreuve.
Un ami prêtre — italien, avec la sagesse et le charme du vieux continent que cela implique — me suggérait que, peut-être, ces prêtres n’étaient pas tant frappés par la difficulté de que par l’impossibilité de traiter du péché. Les prêtres sont souvent heurtés par le gouffre qui sépare la santé et l’épanouissement — tels que décrits et inclus dans l’enseignement de l’Église — des existences désespérément marquées par le péché contre lequel les catholiques luttent jour après jour.
Soit une adolescente assise en face de vous, célibataire et enceinte. On ne lui a que rarement (si jamais) suggéré d’avoir du courage et du dévouement, ou un sens de ses responsabilités. Il est quasi impensable d’imaginer que cette jeune fille aura la force de caractère pour résister à la tentation d’évacuer le problème par un avortement, et prendre la décision héroïque de choisir le don de la vie en de telles circonstances.
Si vous lui demandiez d’agir en pleine force de caractère; de faire preuve de qualités jamais montrées; de montrer une force morale jamais, même modérément, exercée. Ce serait comme demander à un lapin d’avoir un comportement d’ours grizzly. Et même, demander, ou tout au moins suggérer cette sorte d’héroïsme, pourrait sembler naïf, sinon cruel. Vous semblez demander l’impossible. Ainsi bien des prêtres réfutent l’accusation de comportement de Pharisiens dénoncé par le Christ « ils font porter aux autres les plus lourdes charges ».
Il y a matière à réflexion. Saint Paul nous a alertés: quand la loi est isolée de la grâce, c’est un « contrat mortel ». Acceptons l’évidence: pour de simples humains, rien n’est possible. Sans les sacrements, la Messe, la confession, et les prières de nos amis, de nos voisins, des Saints et des anges, sans la Grâce Divine, où serions-nous? Les catholiques ne devraient pas se borner à annoncer les « mauvaises nouvelles » — non, vous n’agiriez pas ainsi — sans dire les « bonnes nouvelles »: Dieu ne vous lance pas de défi. Il ne vous enverra pas de grâce sans rien. Si vous êtes fidèle à Son appel, vous survivrez; vous vous épanouirez; vous connaîtrez la béatitude.
Il faut faire attention à ne pas jeter les interdictions à la figure des gens sans le message énonçant les soutiens pour les rendre supportables, et même joyeuses: les vertus, les dons de l’Esprit-Saint, la prière, la vie avec les Sacrements. Avec Dieu, tout est possible.
C’est bien gentil. Mais on sait bien qu’il y a un problème: c’est par la foi, et non à vue que nous naviguons. La métamorphose désirée et nécessaire ne se produira pas toute seule. Elle ne viendra qu’au cours de l’action. On ne devient pas brave par magie avant le combat, comme Cendrillon était devenue toute belle avant le bal. Mais plutôt au cours du combat. On devient courageux en entamant la bataille comme si on était courageux, même si on craint (c’est évident) de ne pas l’être.
La véritable crainte, en l’occurrence, nest pas tant, généralement, la peur de la mort, mais la crainte d’être jaugé et évalué; de ne pas être « à la hauteur »; de ne pas se comporter comme on l’aurait souhaité. Dans une telle situation, la tentation est grande de dire (ce qu’on qualifiera souvent de grande honnêteté) : « je sais que je n’en serai pas capable ». Mais bien sûr, vous ne vous connaissez pas une telle incapacité. Sinon, vous n’auriez aucune anxiété. Il y aurait une simple certitude: que ressentiriez-vous si on vous demandait de sauter de 100 mètres dans le vide.
Quand on fait appel à votre héroïsme l’anxiété survient non parce qu’on sait qu’on ne peut pas, mais parce qu’on n’est pas persuadé qu’on pourrait réussir si seulement on essayait. Et si je peux, que dira-t-on si j’échoue ? La « bonne nouvelle »: çà ne dépend pas que de vous. Mais la « bonne nouvelle » c’est aussi de suivre l’itinéraire de la Croix.
Présenter le Christ comme un homme « gentil », un maître spirituel sympathique, se heurte à une difficulté: « tout le monde il est pas gentil ».En fait, et au fond, personne n’est vraiment gentil. Quand Jésus n’est plus présenté qe comme une antique version de Gandhi, on tombe pile dans la crise du péché: les gens succombent, les gens souffrent. Et maintenant que faire? On a bien besoin d’un peu plus que l’aide d’une sorte de sentimentalisme. On a besoin de ce que seule la victoire éternelle du Christ sur le péché et sur la mort peut nous apporter.
Et cependant le hic est que nous sommes des créatures vivant au temps présent. Les interventions Divines ne viendront bien souvent non pas immédiatement mais dans le temps. Notre prière: « Mon Dieu, éloignez de moi ces mauvaises pensées.» Nous relevons la tête, et les pensées en questions sont toujours là. Alors: « eh bien, mon Dieu, qu’y a-t-il? Où êtes-vous? »
Il est là, pour sûr. Il s’occupe de nous. Vous ne Lui auriez pas adressé de prières en Son absence. Mais Il n’est pas un cuisinier de fast-food. Son action intervient en temps, selon Son calendrier, jamais trop tôt. Tout çà prend du temps, demande des efforts, exige la foi. Mais en définitive le résultat est frappant: Dieu rend possible ce qui semble impossible.
Tableau : Veillée pascale – Edwin Long, 1871
Source :
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/for-man-it-is-impossible.html