Le phénomène Steve Jobs - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Le phénomène Steve Jobs

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Le décès de Steve Jobs a engendré des montagnes de commentaires dithyrambiques, dont certains étaient mérités. Nous aurions probablement pu entendre des commentaires aussi généreux à la mort de Thomas Edison, et nous devons reconnaître que Steve Jobs a lui aussi fait avancer le monde d’une façon étonnante, en nous amenant pour de bon dans l’ère numérique. L’Osservatore Romano a écrit à son propos : « Du talent, du pur talent ».  Son décès au jeune âge de 56 ans d’un cancer du pancréas – une mort difficile s’il en est – ne peut pas non plus ne pas nous faire éprouver de la compassion pour sa famille et lui.

Mais au-delà de tout cela, espérons que ce décès entraînera un peu de réflexion sur l’influence de la technologie sur la culture. En effet, les technologies ne sont pas neutres et nous devons en permanence nous demander si elles parfont notre humanité ou si elles la dégradent.

Après tout, nous devons toujours faire avec des êtres humains pécheurs et concupiscents, même s’il s’agit d’innovateurs brillants. Comme le théologien suisse Hans Urs von Balthasar le rappelle, nous – et ceux qui nous entourent – dans la « longue expérience de l’Église […] ne voulons souvent pas devenir mûrs dans notre vie chrétienne, car la maturité chrétienne ne signifie pas seulement des obligations sérieuses envers tous les ministères inspirés par le St Esprit et que l’on peut s’être vu confiés, mais aussi une maturité surnaturelle qui ne peut être acquise que par beaucoup de prière et de sacrifice. » Ceci revêt une importance particulière pour nous tous qui sommes devenus des utilisateurs réguliers des nouvelles technologies.

A long terme, peut-être que créer un ordinateur de la taille d’une banane ne rentre pas sérieusement en compte dans le véritable combat de l’être humain. En fait, cela peut même l’en distraire. Et comme nous avons un temps limité sur cette terre, ce n’est pas une considération triviale. Leander Kahney disait ainsi : « Tous ceux qui ont acheté un Mac ont dit « Je vais écrire un roman, éditer mes films, produire un single. » Cela parle à notre côté créatif. En réalité, tout ce qu’ils ont fait est de s’assoir à côté et de regarder Netflix. [NdT : offre de télévision sur Internet] » (Cult of Mac)

Thomas d’Aquin fit ce commentaire frappant à propos de l’imagination : « En effet l’homme désire s’élever vers un plus haut degré de perfection par l’acquisition de qualités accidentelles, lesquelles peuvent lui advenir sans corruption du sujet lui-même ; et il en vient à penser qu’il peut atteindre à un degré supérieur de nature ». C’est là le cœur du problème : malgré tout son côté pratique, la technologie reste quelque chose de secondaire, de périphérique.

Oui, moi aussi j’apprécie la médecine du XXIème siècle ainsi que la voiture et tous les autres apports technologiques. Mais cela ne concerne pas le vrai sujet qui est de devenir plus humain. C’est un signe de voir combien de gens se sont curieusement identifiés à Steve Jobs. La BBC a appelé cela « un culte ». Il y a des personnes qui construisent leurs vies autour des technologies d’Apple. Bien sûr, ce n’est pas comme un conducteur de locomotive, dont la vie dépend de sa locomotive ; le conducteur continue à produire des choses utiles pour la société. Mais ceux qui sont dans un culte ? Plus beaucoup. Le culte de Jobs ne semble pas concentré sur un grand combat spirituel, mais simplement être une manière de passer le temps tout en étant à la mode, de se connecter aux gens qui ne sont pas présents (peut-être sans se connecter aux personnes présentes), d’être pris dans un flot de données sans pour autant atteindre le vrai savoir.

Les plus grands développements de notre nature ne viennent pas des avancées technologiques. Comme Benoît XVI l’a dit (Message de la 43è Journée de la Communication) :

A la lumière du message biblique, [utiliser les nouvelles technologies de communication] doit être principalement vu comme une image de notre participation à l’Amour de Dieu communicant et unifiant, qui désire faire de toute l’humanité une seule famille. Quand nous nous trouvons portés vers d’autres personnes, quand nous voulons en savoir plus sur elles et nous faire connaître à elles, nous répondons à l’appel de Dieu – un appel qui est gravé dans notre nature en tant qu’êtres créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, qui est Dieu de la communication et de la communion.

En d’autres mots, il y a un principe supérieur que nous ne pouvons manipuler qui illumine notre utilisation des objets créés par l’homme – si nous y prêtons attention.

Ce qui veut dire suivant « le meilleur côté angélique de notre nature », mais plus encore suivant quelque chose qui nous a été donné dans la Mort du Christ : la Grâce. Et von Balthasar indiquait un jour que « de même que la grâce ne connaît pas de limite supérieure, de même c’est sans aucune limite que nous pouvons la défier. » Le véritable combat de la vie est d’apprendre à coopérer avec la Grâce, qui est par nature hors de notre contrôle.

Contrairement à la technologie, la grâce est un pur don et n’est pas quelque chose qui touche nos sens. La grâce est distribuée avec une générosité qui dépasse les frontières entre les gens. Et cependant c’est la seule voie, comme le Pape l’a souligné, pour entrer dans une « vie [qui] n’est pas juste une succession d’événements et d’expériences : c’est une recherche du vrai, du bon et du beau. C’est pour cette fin que nous faisons des choix ; c’est pour cela que nous exerçons notre liberté ; c’est en cela – dans la vérité, la bonté et la beauté – que nous trouvons bonheur et joie. »


Bevil Bramwell, prêtre des Oblats de Marie Immaculée, enseigne la théologie à l’Université Catholique à Distance. Il est diplômé du Boston College et travail dans le domaine de l’ecclésiologie.


Photo : Le Pape Benoît XVI apprend à utiliser un iPad


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-steve-jobs-phenomenon.html