Stephen Green : banquier, prêtre et ministre - France Catholique
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Stephen Green : banquier, prêtre et ministre

Le nouveau ministre britannique du Commerce extérieur publie un manifeste de bonne conduite dans les affaires, qui sera disponible en France le 21 octobre.
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La nomination de Stephen Green comme secrétaire d’État au commerce britannique du gouvernement Cameron ne semble pas de prime abord surprenante : né en 1948, produit d’Oxford et du MIT (Boston), il a depuis 1982 gravi les échelons supérieurs de HSBC, un des plus grands groupes bancaires de la planète, au bilan enviable puisqu’il n’a demandé aucune aide étatique et vient d’annoncer de substantiels bénéfices. La presse britannique a souligné l’importance de désigner un banquier expérimenté pour accéder aux responsabilités politiques du commerce et de l’investissement extérieur. Une nomination apparemment naturelle donc, encore que les Français apprennent avec une certaine stupeur que le 10, Downing street aurait fait savoir que le futur ministre ne toucherait aucun émolument pour ses fonctions ! Le même avait spontanément renoncé à d’importants bonus à l’occasion de la dernière crise bancaire…

Mais ce père de deux filles nous surprend à un autre titre : chrétien pratiquant, il a étudié à la Faculté de théologie anglicane de Hong Kong, et est même ordonné prêtre de l’Église anglicane depuis 1988. On peut d’ailleurs l’entendre prêcher certains dimanches, à la paroisse Saint-Barnabé dans le quartier chic de Kensington à Londres.

Il avait recueilli ses réflexions éthiques en 1996 dans un livre intitulé Dieu et Mammon, que la City n’avait pas forcément apprécié. Son dernier livre, qui vient de paraître en Grande-Bretagne et sera disponible en France le mois prochain, est un manifeste de bonne conduite en affaires, une entreprise salutaire après les crises qui ont abouti à l’énorme catastrophe bancaire rendue visible, en septembre 2008 par la failllite de Lehmann Brothers.

Ses « Réflexions sur l’argent et la morale dans un monde incertain »1 sont d’abord l’œuvre d’un grand technicien de la finance internationale De manière claire, accessible, Stephen Greeen ex­plique les mécanismes financiers et montre les endroits où la machine s’est grippée. Il propose de saisissants raccourcis historiques (sur l’origine de la monnaie), il manie des données démographiques et économiques frappantes. Par touches successives, il peint le tableau de l’économie mondiale, le grand marché, qui tient plus du souk oriental que du grand magasin parisien. Tout y est permis, le profit est le seul critère de l’action, le risque est sous-évalué – et le faux pas devient une chute et entraîne un naufrage.

Sa peinture impressionniste, ap­puyée sur une grande culture, montre un tableau contrasté : « Le capitalisme est le plus mauvais système économique, à l’exception de tous les autres ». Mais les erreurs et les faiblesses même du capitalisme ont stimulé son développement et accru le bien-être de chacun, et non seulement des privilégiés. La mondialisation peut être perçue comme la menace d’un « monde aplati », mais elle est aussi la mise en œuvre de l’utopie teilhardienne d’une noosphère planétaire, d’une mise en proximité et en commun non seulement des biens et de leur exploitation, mais aussi des idées et des arts. Green conclut sur ce paradoxe : « Nous vivons dans un monde dans lequel la mondialisation de la présence humaine continue et s’accélère, mais sans réduire l’individualité. En fait, nous devenons plus distincts et plus individuels, plutôt que plus communautaires, dans le même temps que nous nous mettons à faire partie de manière bien plus irréversible du tissu même de l’humanité mondiale ».

La mondialisation géographique s’est accompagnée d’un sursaut d’égoïsme : pourquoi devrais-je quelque chose à la postérité ? Ou, pour le dire avec Groucho Marx (1890-1977) : « Pourquoi devrais-je me soucier de la postérité ? Qu’a-t-elle jamais fait pour moi ? »

L’urgence démographique, sanitaire, écologique est cependant au tournant de la rue et tient en quelques décennies : sans catastrophisme excessif, mais avec gravité, Stephen Green redimensionne les problèmes et reévalue leurs solutions. Le système n’est pas mauvais, mais il a été perverti : pendant ces dernières années les marchés ont pesé sur les Conseils d’Administration, conduisant à la perte de confiance.
La vraie tâche revient à maximaliser la valeur durable. Cela comporte quatre aspects :

1° la responsabilité directe et fondamentale d’assurer le retour le plus durable possible sur le capital investi par les actionnaires dans l’entreprise (c’est la définition même de l’entreprise privée) ;

2° les sociétés, cela est connu, doivent soigner la qualité du service rendu. Aujourd’hui, elles doivent témoigner d’un engagement plus large envers la communauté et l’environnement.

3° un troisième aspect de maximalisation de la valeur est l’engagement envers les employés — développement durable et responsabilité sociale.

4° la manière dont une entreprise s’ouvre aux communautés au sein desquelles elle opère : comment les affaires que nous faisons contribuent-elles au bien commun ?

Deux figures symboliques sont appelées pour soutenir le raisonnement : le jeune homme riche de l’Évangile et le docteur Faust. Green analyse avec finesse le « pacte faustien », qui est bien souvent le comportement des politiques qui nous gouvernent, et le nôtre pour commencer : beaucoup d’entre nous sont disposés à se remettre entre les mains du Méphistophélès moderne, l’argent, le serviteur qui devient un maître despotique.

C’est précisément le problème du jeune homme riche de l’Évangile : il a en fait enfreint l’un des dix commandements, un précepte qu’aucun des membres de l’establishment de son temps n’aurait seulement pensé à enfreindre et dont lui-même n’aurait jamais convenu qu’il ne l’avait pas respecté. « Tu n’adoreras pas d’autre Dieu » : mais le jeune homme est possédé par cet argent qu’il croyait posséder. Il en est arrivé à lui vouer un culte ; son argent est devenu son dieu.

La valeur sûre qui donne son titre à l’ouvrage repose sur trois principes : l’intégrité (une grande partie de la crise vient tout simplement de la malhonnêteté et de la cupidité de certains banquiers), la prise en considération des autres, l’ambition (qui n’est pas incompatible avec l’épanouissement personnel si elle consiste à vouloir contribuer davantage, et non à s’approprier davantage), l’équilibre entre les grands secteurs de l’existence (travail, famille, amis), la personnalité du chef et enfin le sens de notre travail (« comment est-ce que ce que je fais contribue au bien-être humain ? Et pourquoi est-ce que je le fais, spécifiquement ? »).
Tout en affirmant que l’éthique du marché est par définition universelle, Stephen Green revendique dans le dernier chapitre sa spécificité chrétienne : « Lisant l’histoire à travers un prisme chrétien, je cherche le fondement de l’espérance dans une seule image, centrale entre toutes, dans la cathédrale de Milan, devant ce crucifix suspendu dans le silence et la pénombre de la nef ».

La sagesse des écrivains sacrés et les exigences de l’Évangile se rejoignent et se complètent : il s’agit tout simplement de réussir comme il convient, et Green ne craint pas d’affirmer pour conclure que « dans le métier de banquier, c’est le sens de ce qui est juste et convenable qui doit donner l’impulsion aux affaires ». Un texte à lire et à méditer, même si l’on n’est pas banquier…

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http://www.france-catholique.fr/LE-SABRE-LE-GOUPILLON-ET-LA-SALLE.html

  1. Stephen Green, La valeur du bien, Réflexions sur la monnaie, la morale et un monde incertain…, Communio/Parole & Silence, 2010.