Les réalisateurs du Jeu de la mort affirment avoir voulu démontrer que la télévision a la capacité de transformer un citoyen ordinaire en bourreau. L’idée est le recyclage d’une démonstration sociologique qui a fait grand bruit en 1963 : Stanley Milgram avait montré que, sous l’autorité d’hommes en blouse blanche, des volontaires recrutés pour une fausse expérience scientifique étaient capables d’infliger des décharges électriques mortelles à autrui. 60 % des cobayes acceptaient de se soumettre à l’ordre d’électrocuter un homme sans savoir que c’était un comédien qui singeait la souffrance.
Le film d’Henri Verneuil I comme Icare, avec Yves Montand, a popularisé en France cette expérience et on s’étonne qu’on puisse encore piéger quiconque sur ce scénario… Il est vrai que la transposition 2010 osée par France 2 introduit une vraie nouveauté : il ne s’agit plus d’une pseudo-expérience scientifique, mais d’un faux-jeu télévisé. Objectif : montrer que l’autorité du petit écran peut conduire à l’inhumanité. Preuve en est faite puisque ce sont 81% des volontaires qui ont obéi, se montrant capables d’administrer au candidat échouant à une question une décharge potentiellement mortelle de 460 volts, malgré les cris de protestation et les appels à l’aide du comédien. En affirmant : « ne vous laissez pas impressionner » ; ou encore : « nous assumons toutes les conséquences », l’animatrice les a soumis. La deuxième nouveauté induite par ce nouveau cadre est la présence d’un public.
L’objectif affiché par la télévision publique est de stigmatiser les séquences trash des télés étrangères et de ses concurrentes françaises, spécialement les émissions de téléréalité comme Confessions intimes ou l’Ile de la Tentation. Mais c’est un effet boomerang qui a frappé France 2 et l’animateur Christophe Hondelatte. Les cobayes que la réalisation a manipulés ne sont-ils pas les victimes d’une téléréalité ultra-violente ? Il a fallu des psychologues pour consoler ces personnes ordinaires qui se sont découvertes capables de se muer en tortionnaires. Sous couvert de dénoncer la violence, on l’a bel et bien exhibée. Tout cela pour 2 millions et demi d’euros, et seulement 3 millions de téléspectateurs (c’est-à-dire un échec en terme d’audimat).
François-Régis Hutin a dénoncé une dégradation de l’image de la télévision française. « On ne joue pas avec ces choses-là ! », titre le directeur de Ouest-France (19 mars), qui s’inquiète notamment de ce que penseront les vraies victimes de la torture dans le monde…
Et voilà que sont reprochées à Christophe Hondelatte d’autres fautes déontologiques. L’interview d’un membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel n’a pas été retenue au montage. Jugée inadéquate. A également été coupé un pataquès survenu au cours du débat. L’animateur aurait tenté de faire dire à l’un des candidats qu’il a eu le courage de révéler son homosexualité, histoire de montrer que ce n’est pas un méchant homme. Mais le candidat ne veut plus en parler… Hondelatte insiste : « Vous êtes homosexuel… » Sur le plateau, Alexandre Lacroix, rédacteur en chef de Philosophie-magasine, s’inquiète de ce harcèlement. Hondelatte, furieux, lui lance : « Tu vois la porte, là ? Tu dégages ! » Drôle d’injonction dans une émission censée dénoncer l’autorité morale abusive de la religion cathodique.
Que retenir de ce théâtre ? S’il fallait accepter la validité de la pseudo-expérience, devrions-nous nous identifier aux apprentis-bourreaux ou, au moins, au public étrangement indifférent ? Comme le dit Jean-François Kahn en commentant l’émission, « être homme, c’est être responsable totalement ». Or la pensée dominante fait pression pour que nous nous soumettions à des pratiques barbares véritablement imprégnées dans notre culture ou, au moins, à ce que nous les laissions se dérouler sous nos yeux sans rien dire. Comme si nous n’avions pas le choix de dire « non ». Pourquoi abandonnons-nous notre discernement et notre conscience profonde à la tyrannie du politiquement correct ? Il est tellement plus simple d’aller dans le sens du vent, comme des feuilles mortes.
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