«Ils en ont parlé. » La légende d’une célèbre caricature à propos de l’affaire Dreyfus, peut être appliquée à la première rencontre entre Barack Obama et le pape Benoît XVI. Mais ici, point d’empoignade autour du sujet qui fâche : l’avortement. En effet, à entendre les commentateurs des deux bords, l’atmosphère fut constructive. Les mots « cordialité » et « sérénité », prononcés par le Père Lombardi, directeur de la salle de presse du Vatican, tranchent avec la virulence des polémiques qui continuent aux États-Unis autour de la position du nouveau président sur le respect de la vie en général et l’avortement en particulier.
Alors que les évêques américains ont clairement contesté certaines décisions présidentielles (financement fédéral de la recherche sur l’embryon ainsi que des mouvements néo-malthusiens qui incluent peu ou prou l’avortement dans les politiques de régulation des naissances qu’ils prônent), le Pape s’est montré « très satisfait » de sa rencontre avec Barack Obama. D’un côté, le Saint-Père n’a pas pour habitude de prendre ses interlocuteurs à rebrousse-poil ; d’un autre côté, le président américain semble avoir eu le souci d’avancer sur des points dont il ne peut ignorer la portée politique. La majorité des Américains se dit désormais hostile à l’avortement, même si 52% des catholiques ont voté pour le candidat démocrate. Et ce thème n’a rien, outre-Atlantique, du caractère marginal qu’il a, en France, au plan politique. L’engagement que le président américain vient de prendre, « très explicitement » selon le père Lombardi, de « faire tout son possible pour réduire le nombre des avortements aux États-Unis » manifeste à la fois la portée du sujet et celle de la rencontre du 10 juillet.
D’autres points de convergence ou de divergence ont été évoqués dans la bibliothèque du Vatican où se déroulait l’entretien : droit à l’objection de conscience, immigration et regroupement familial, paix au Proche-Orient, crise financière, développement du Sud, sécurité alimentaire, et jusqu’à la lutte contre les narcotrafiquants… Près de quarante minutes d’échanges au terme desquels, le Pape a remis au chef d’État du plus puissant pays de la planète deux ouvrages : sa récente encyclique Caritas in Veritate et l’instruction de la congrégation pour la doctrine de la foi Dignitas Personae, de novembre 2008, qui actualise, point par point, les positions de l’Église sur la bioéthique.
Au-delà des plaisanteries conviviales sur les photos prises ensemble et la lecture qui est donnée à Barack Obama pour son voyage en avion vers le Ghana, nul ne peut sous-estimer l’impact d’une rencontre interpersonnelle entre la figure impressionnante de Benoît XVI et celle d’un jeune président américain au charisme indéniable, et qu’on sait proche de l’Église sur certains points de sa doctrine sociale.
À propos des autres, de ceux qui divisent cruellement, Barack Obama « est désireux de trouver un terrain d’entente sur ces questions et prêt à y travailler dur pour y arriver » a expliqué Dennis McDonough, conseiller adjoint à la sécurité de la Maison Blanche.
Le président Obama a-t-il été touché personnellement ? Présentant sa famille au Pape, il lui a demandé de prier pour elle. Il lui a par ailleurs remis une lettre du sénateur Ted Kennedy, héritier d’une grande famille politique démocrate et catholique, qui souffre actuellement d’une tumeur au cerveau. Le président américain a enfin offert au Saint-Père une étole, relique de Saint John Newman, évêque de Philadelphie mort en 1860 et canonisé par Paul VI en 1977.
Vu de France il y a quelque chose de paradoxal à découvrir qu’un président américain réputé « pro-choice » est capable de s’engager à faire baisser le nombre d’avortements dans son pays, devant un tel chef religieux, aux côtés d’une épouse au visage respectueusement couvert d’une mantille ! Mais ce geste d’apaisement est pleinement cohérent avec la situation politique américaine.
Dans le même temps, à Washington, Sonia Sotomayor, juriste de 55 ans, pressentie par le président américain pour devenir le premier magistrat hispanique de la Cour Suprême, passait son grand oral devant le Sénat. À plusieurs reprises des parlementaires des deux grands partis l’ont questionnée le 15 juillet sur l’avortement car c’est de la Cour Suprême que dépend le devenir de l’arrêt historique de 1973 incluant le droit à l’avortement dans la constitution. Alors que les premiers jours de l’audition de Madame Sotomayor avaient été interrompus par les cris de militants « pro-life » fermement éconduits, le républicain Tom Coburn, lui-même résolument hostile à l’avortement, s’est excusé : « Toute personne qui, comme moi, aime la vie et qui s’oppose au droit à l’avortement, sait bien que ce n’est pas en leur criant dessus qu’on change l’avis des gens, c’est en les aimant. »
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