Bien qu’il se soit passionné jusqu’à la fin pour l’Olympique de Marseille — sans être bien payé en retour —, Robert Louis-Dreyfus était bien plus que le propriétaire du célèbre club phocéen. Mais sa saga personnelle, déjà en soi tout à fait remarquable, s’inscrit dans une aventure familiale de deux siècles. Certes, il avait, à certains moments, pris ses distances avec elle pour montrer qu’il pouvait être autre chose qu’un héritier et qu’il savait voler de ses propres ailes, mais il exprime une réussite tellement centrée sur la famille d’origine que le groupe lui-même n’est pas coté en Bourse.
Tout commence avec Louis Dreyfus, fermier en Alsace dans la première moitié du XIXe siècle. Il donne naissance à Léopold Louis-Dreyfus (1833-1915), père de Louis Louis-Dreyfus (1867-1940), lequel engendra Jean Louis-Dreyfus, (1908-2003), lui-même père de Robert Louis-Dreyfus (1946-2009). La famille comprend beaucoup d’autres personnalités, soit ayant joué un rôle dans le groupe soit s’étant illustrées ailleurs tels Joseph, le frère cadet de Louis qui fut, entre autres, le banquier de Victor-Emmanuel II d’Italie, ou Julia Louis-Dreyfus (née en 1961), actrice américaine de cinéma et de télévision. Léopold a été le véritable fondateur du groupe, acquérant du blé en Alsace pour le revendre à Bâle, avant de se tourner vers d’autres régions céréalières d’Europe. Tout en restant partiellement installé en Suisse, Léopold a choisi la France en 1872. Le patronyme définitif de Louis-Dreyfus résulte d’un décret en Conseil d’État en 1896. Robert Louis-Dreyfus a obtenu la nationalité helvétique en 1995 ; il n’a pas toujours été bien vu de la communauté juive alors qu’il s’était rendu en Israël au moment de la guerre des Six Jours.
Dès 1905, Louis Louis-Dreyfus — celui que Léon Daudet appelait « Double-Louis » — se trouvait à la tête d’une flotte commerciale mondiale et d’activités touchant l’Amérique du Nord et du Sud, l’Algérie, l’Afrique du Sud, les Indes, l’Indochine, la Chine et l’Australie. Rien qu’en Russie, 114 établissements fonctionnaient en 1906, ce qui peut expliquer que, vingt ans plus tard, un accord commercial ait pu être conclu avec le gouvernement soviétique. Par ailleurs, en 1904, Louis — qui eut aussi une longue carrière politique, soit à gauche soit à droite, votant par exemple les pouvoirs constituants au maréchal Pétain le 10 juillet 1940 — et son frère Charles avaient apporté 20 000 francs à L’Humanité naissante.
Le groupe s’occupe aujourd’hui de négoce, de transformation et de commercialisation de produits agricoles et énergétiques, d’armement maritime, de développement et d’exploitation d’infrastructures de télécommunications et de promotion et gestion immobilières. Il est présent dans plus de 53 pays, avec ses principales implantations à Pékin, à Buenos Aires, à Genève, à Londres, à Paris, à São Paulo, à Singapour, à Wilton (Connecticut) et à Memphis (Tennessee). Depuis quelques années, son chiffre d’affaires annuel brut approche les 20 milliards de dollars.
Jean-Gabriel DELACOUR © Acip