6-L'Eglise, lieu de notre divinisation - France Catholique
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6-L’Eglise, lieu de notre divinisation

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Comment l’Église nous permet-elle de vivre notre divinisation ? En quoi cette institution, avec sa visibilité, son organisation, est-elle au service de la réalité invisible de notre transformation par l’Esprit de Dieu ?

I – Quelques données de la Tradition

Ne nous arrêtons pas à ces deux passages où le mot Église est employé dans l’Évangile (promesse faite à Pierre, en Matthieu 16, 18, et correction fraternelle, en Matthieu 18,17) car ces deux textes insistent plutôt sur son aspect visible et institutionnel. Nous ne le mettons pas en cause, mais nous cherchons un aspect plus caché du rôle de l’Église.

Dans les écrits pauliniens, le mot mystère nous rapproche de notre sujet. Mais, il faut savoir que ce mot recouvre plusieurs choses. C’est la lettre aux Éphésiens qui est la plus claire et la plus difficile sur le sujet. Dans l’hymne du début (1,9-10), Paul nous fait part cette connaissance du mystère de sa volonté, que Dieu réalise par le Christ : réunir tout l’univers sous un seul chef, le Christ. Mais un peu plus loin, (4,6), Paul met en avant un aspect plus précis du mystère qui lui tient tant à cœur : les païens sont admis au même héritage. Mais il ajoute aussitôt que cette intelligence du mystère le qualifie pour le faire connaître. Le mystère devient à la fois le plan universel de Dieu, y compris envers les païens, et l’annonce que Paul doit en faire. Enfin, le projet de cette lettre est de dévoiler le rôle de l’Église, Corps du Christ (1,23) qu’il qualifie, dans un verset très difficile à traduire de plénitude (en grec : plérôme) de celui qui remplit tout en tous (TOB en note), ou plénitude de celui que Dieu lui-même remplit totalement (TOB), ou encore l’Église est son corps, et en elle se déploie pleinement celui qui est tout en tous (Bible des Peuples) Une traduction qu’il faut éviter à tout prix serait de dire que le Plérôme (l’Église) serait une sorte de complément du Christ. Ce verset nous met sur la piste du rôle de l’Église : elle est le lieu où l’action divine initiée par le Christ atteint tous ceux qui s’y trouvent. Les chrétiens, par l’Église, ont à la fois part à la plénitude du Christ, comme Paul le dira en 3,19, et en même temps, il constituent cette plénitude. L’Église apparaît alors comme le lieu, et en même temps le fruit de la divinisation.

Un écrit du 2° siècle, très influencé par les apocalypses (celle de saint Jean, mais surtout le 4° livre d’Esdras), le Pasteur, écrit par Hermas, peut-être un frère du pape Pie (140-155), décrit ce qu’était la vie chrétienne à son époque. À travers le foisonnement d’images et de visions, on peut saisir ce qu’il veut dire de l’Église. Il le fait avec deux allégories. Au début du livre, c’est une femme âgée, en habits resplendissants, qui lui confie le rôle de prêcher la pénitence, occasion d’énumérer à la fois tous les membres de l’Église et toutes les vertus chrétiennes. On y voit une allégorie de l’Église, âgée parce qu’elle existe depuis très longtemps dans le dessein du Père, resplendissante à cause de la sainteté qu’elle communique et qu’elle charge Hermas de communiquer. Dans le cinquième tableau de cette même vision, la symbolique de la femme va être enrichie par ses différents âges. Elle est présentée comme vieillie, car elle souffre du péché de ses membres qui la font vieillir, jeune, car ceux qui auront fait pénitence jouiront d’un rajeunissement et d’un affermissement définitif. Un autre vision détaille l’allégorie de la tour. C’est un personnage nommé le Pasteur, d’où le titre du livre, qui lui explique que cette tour, c’est l’Église. Elle est en construction jusqu’à la fin des temps. Les pierres qui la composent sont à la fois différentes (apôtres, évêques, vierges, hommes « hospitaliers et charitables »…..) et semblables :
Toutes les nations qui habitent sous le ciel, après avoir entendu la prédication et y avoir cru, ont été appelés du nom du Fils de Dieu. En recevant le sceau, ces hommes ont pris les mêmes sentiments et le même esprit, et se sont unis dans une même foi et une même charité. (9° parabole, § 17)

Un peu plus tard, Irénée, va tenir deux discours sur l’Église. D’une part, contre les hérétiques qui prétendent posséder un enseignement secret, il va souligner l’aspect non secret de l’enseignement des l’Église, corroboré par la continuité des responsables de ce dépôt de la foi, les évêques, et il prend comme exemple Rome dont il énumère, témoignage historique précieux, les évêques depuis Pierre. Mais en d’autre endroits, il met en avant l’aspect vivifiant de l’Église, à cause de la présence de l’Esprit. Ceci, pour affirmer que ceux qui se coupent de l’Église par un enseignement faux perdent cette vie.
C’est à l’Église elle-même, en effet qu’ a été confié le « Don de Dieu » (Jean 4,10), afin que tous les membres puissent y avoir part et être par là vivifiés : c’est en elle qu’a été déposé la communion avec le Christ, c’est-à-dire l’Esprit Saint…..Car là où est l’Église, là aussi est l’Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce. (Contre les hérésies 3,24,2)

Vers 250, Cyprien, évêque de Carthage, est confronté à de graves dissensions dans son diocèse, suite aux persécutions. Il écrit alors un traité, L’unité de l’Église, pour convaincre ses fidèles de la nécessité de ne pas faire de menées fractionnistes, même si ceux qui les conduisent se vantent d’avoir résisté aux persécutions. Pour inciter à l’unité, il souligne l’aspect institutionnel, en particulier par les figures bibliques de l’Arche de Noé, de la colombe, et surtout de la tunique sans couture (§ 7). On peut aussi glaner cette phrase qui nous met dans une perspective plus intérieure : « Nul ne peut avoir Dieu pour père, s’il n’a pas l’Église pour mère »(§ 6). Cette phrase est moins brutale et plus spirituelle que celle qu’il emploie dans une lettre et qui a eu un certain retentissement : « Hors de l’Église, point de salut .» Son emploi a souvent été dévié du sens que lui donnait Cyprien. En effet, il profère cette menace à l’égard de ceux qui sont en état de dissidence à l’égard de l’Église, par leur refus de rester d’accord avec l’Évêque, surtout dans le domaine de la foi.

Le Moyen Âge n’a pas oublié l’Église mais elle ne la voit que comme le canal de la communication de la grâce du Christ, spécialement par les sacrements, sans chercher cette face cachée que nous nommons le mystère de l’Église. Cette tendance va être renforcée par deux choses : le souci de savoir qui appartient véritablement à l’Église et la nécessité de scruter son aspect juridique lié à sa réalité sociologique. La polémique avec les protestants va renforcer ce point de vue, dans la mesure où le salut par la foi, insistant très fort sur l’aspect subjectif de cette foi-confiance, va mettre dans l’ombre l’aspect objectif que donne l’appartenance à l’Église et le fait que l’on reçoit d’elle cette foi qui nous sauve.

Le concile Vatican l aurait voulu redonner une vision plus équilibrée de l’Église, mais la discussion, fort âpre, qui a abouti à la déclaration de l’infaillibilité du pape, n’a pas laissé de temps pour aborder les autres aspects, car le concile fut interrompu par la guerre de 1870.

Le renouveau de l’étude des Pères de l’Église, autant que l’attention portée à la pensée des chrétiens d’Orient, a préparé le terrain au concile Vatican ll. La constitution dogmatique sur l ‘Église Lumen gentium commence en effet par un chapitre sur le mystère de l’Église. Il remet en valeur le dessein du Père de communiquer la sanctification obtenue par le Christ par le moyen d’une société, certes, mais dont l’important est la partie invisible, spécialement la présence de l’Esprit. Les deux aspects, société visible et organisme spirituel, sont ainsi fortement liés.

II- Comment intervient l’Église dans notre divinisation ?

– A – Au niveau de la foi.
C’est par l’Église et sa prédication que nous avons connaissance du Christ. Certains voudraient s’en passer en disant qu’il leur suffit de lire l’Évangile. Se sont-ils demandé comment nous parvient cet Évangile si ce n’est par la communauté des croyants qui l’a reçue des Apôtres et l’a gardé fidèlement. Plus largement, notre credo porte : « Je crois en l’Église ». Cela a trois sens : – je crois en étant dans ce corps immense de l’Église qui me fait connaître le Christ et me le communique ; on dirait maintenant, je crois en Église ; – je crois ce que me dit l’Église, j’accepte son enseignement ; on dit alors je crois l’Église. ; – enfin, j’accepte cette réalité dans sa variété, sa structure, son mystère, pourrait-on dire, d’où les qualificatifs qu’énumère le Symbole de Nicée-Constantinople : une, sainte, catholique et apostolique. Elle n’est pas un objet de foi, au sens de l’adhésion à une personne comme la foi en Jésus, elle est le milieu dans lequel cette foi est proposée, étudiée et vécue comme source de sanctification. Néanmoins, les qualités complexes de l’Église : visible et spirituelle, sainte et composée de pécheurs, universelle et pourtant bien située dans le temps et dans l’espace, demandent de la part du croyant un plongeon dans l’invisible qui est un acte de foi au sens de s’en remettre à elle. C’est par ce milieu vital que la foi peut atteindre son but, perfectionner notre vie d’enfants de Dieu

– B – Par ce qu’elle nous communique.
Nous avons frôlé cela en parlant de l’évangile et de la prédication. Notre relation au Verbe de Dieu, au Christ, Parole de Dieu faite chair, passe par les mots qui nous ont été dit, qui nous ont touchés, qui nous ont fait désirer le connaître et l’aimer plus. Et cela dans les deux registres conjoints : la lecture de la Bible et la prédication. Mais l’un comme l’autre ne peuvent se passer d’intermédiaires humains. D’autant plus que cet enseignement, vital, doit finalement être un témoignage et pas seulement la transmission d’un savoir, même si celle-ci reste indispensable.
Le Christ nous atteint surtout par cette action intérieure que nous nommons la grâce. C’est elle, action de L’Esprit en nous, qui va modeler notre être pour nous rendre pleinement participants à la nature divine. Jésus a voulu que cette action passe par des signes concrets : les sacrements. Confiés à l’Église qui nous les propose, ils sont le moyen régulier de notre sanctification. (voir la communication précédente).

– C – « Entourés de cette foule immense de témoins » (Hébreux 12,1)
C’est le rôle de l’Église comme communauté des croyants qui apparaît sous ce titre. Les témoins nous entraînent dans le vie avec le Christ. Les vivants, ceux qui nous ont donné envie de croire. Le témoignage de la place de Dieu dans leur vie, de leur amour du Christ, de leur vie imprégnée de charité… autant de flèches qui peuvent atteindre notre cœur.
Les saints, dont la vie est un exemple. Ils peuvent susciter en nous le désir de les imiter. Ignace de Loyola dans sa retraite forcée a lu, faute des romans de chevalerie qui lui faisaient défaut, des vies de saints et il s’est dit : « Et si je faisait ce que fit saint François et ce que fit saint Dominique ? » De plus, ils sont associés à notre progrès spirituel par leur intercession.

– D – Par ses exigences de communion.
Le cardinal de Lubac a écrit : « L’Église est un double mystère de communication et de communion. » Nous avons vu cette richesse de communication. En quoi cette communion est-elle sanctifiante, divinisante ?
Il y a, bien sûr, la pratique des commandements, prise au sens large, c’est-à-dire incluant la vie liturgique et sacramentelle. Par là, l’Église nous propose le chemin voulu par Dieu pour nous rapprocher de lui. Elle nous oblige à sortir de nous-mêmes et à accepter une norme extérieure qui nous met sur le chemin du Christ qui fait la volonté de celui qui l’a envoyé.
De plus, cette vie en Dieu est une vie d’amour dont le premier terrain d’exercice est notre communauté ecclésiale : « Ainsi donc, tant que nous en avons l’occasion, pratiquons le bien à l’égard de tous et surtout de nos frères dans la foi. » (Galates 6,10). Il y aura d’abord l’émerveillement devant l’infinie variétés des dons de l’Esprit à son Église. Nous sommes habitués à cette contemplation dans la riche diversité des saints. Nous devons le faire aussi par le regard que nous portons sur ceux qui vivent avec nous la même expérience de foi. Nous ferons l’expérience de nos diversités et de nos complémentarités. C’est cette mosaïque du Peuple de Dieu qui peut faire croître en nous le désir d’apporter notre contribution à cette diversité polyphonique qui construit le Corps du Christ.
Mais cela n’est pas toujours aisé et provoque souvent des tensions qui ne peuvent être surmontées que dans la foi. Avec ceux qui nous irritent n’avons-nous pas en commun l’essentiel, notre adhésion à Jésus Christ, notre amour pour lui ? Tout le reste doit pâlir devant ce fondement. Si cette diversité est souvent une complémentarité, elle est parfois une source de déchirement et de souffrance. Elle peut alors devenir participation à la souffrance du Christ et devenir alors source de notre résurrection.
Ceux qui ont choisi la vie religieuse en sont un exemple. Ils ont choisi une voie de sanctification, non seulement en organisant leur temps autour de la prière, mais en acceptant de le faire avec d’autres, non choisis, à l’égard desquels ils vivent leur exigence de charité.

– E – Par son réseau invisible.
C’est la communion des saints qui va nous donner la clé de cet aspect invisible, spirituel, de l’Église. Ne réservons pas ce mot au lien qui nous unit aux défunts. Le lien actuel de tous les croyants avec le Christ assure une communion qui profite à tous. Déjà la communion eucharistique réalise, ou devrait réaliser, pour être plus modeste, cette union multiforme au Christ. Bien des chants de communion insistent sur cet aspect. Mais ce lien invisible va au delà. Par la prière, par le renoncement volontaire, nous tissons un réseau de liens spirituels très forts. N’est-ce pas un des sens de la vie contemplative de ceux et de celle qui prient pour d’autres et qui leur apportent aide et soutien dans leur vie chrétienne ? On cite souvent cette phrase d’Élisabeth Lesueur : « Toute âme qui s’élève élève le monde. »

Conclusion
Empruntons au cardinal Daniélou cette phrase un peu provocante : « L’Église n’existe pas. » Il voulait dire par là qu’elle n’a de réalité que comme lieu de notre rencontre avec Dieu par le Christ, comme lieu de notre sanctification, tant par sa réalité visible, et en ce sens, l’Église existe bel et bien, que par ce lien invisible qu’il ne faut pas minimiser puisqu’il en est la finalité ultime.