50 ans de Renouveau charismatique - France Catholique
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50 ans de Renouveau charismatique

C'est toute l'Église catholique qui a été atteinte par la grande vague du Renouveau charismatique des années soixante-soixante-dix. Le pape François, qui a lui-même expérimenté l'effusion de l'Esprit Saint, est très sensible à ce que le Renouveau a pu apporter à beaucoup de fidèles qui n'appartiennent pas aux communautés, mais qui ont beaucoup appris de sa spiritualité, et notamment de sa façon de prier. C'est une des raisons pour lesquelles il a invité à Rome les mouvements charismatiques pour une grande fête d'anniversaire... Nous en avons profité pour interviewer Martine Catta, cofondatrice de la communauté de l'Emmanuel.

Entretien avec Martine Catta

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En 1975, le pape Paul VI avait convoqué à Rome un premier rassemblement des nouvelles communautés du Renouveau charismatique. Tu y étais sans doute. Aujourd’hui, c’est le pape François qui, toujours à l’occasion de la Pentecôte, réunit autour de lui les membres du Renouveau. Comment évalues-tu le parcours accompli entre ces deux rassemblements ?

Martine Catta : J’ai participé bien sûr à ce rassemblement de lundi de Pentecôte à Rome en 1975 lorsque le pape Paul VI a reçu les 10 000 participants du Renouveau charismatique. Ce Renouveau charismatique était apparu dans l’Église catholique en 1967. Au bout de huit ans nous assistions à une explosion de joie, de dynamisme au cœur de la catholicité. Nous étions frappés, édifiés par la foi et la joie de la louange, spécialement de nos frères d’Amérique latine, de Porto Rico en particulier.

Tout le monde priait joyeusement dans les trains, dans les rues, dans Saint-Pierre en attendant l’arrivée du Saint-Père. C’était une Église jeune qu’il rencontrait. Il a alors prononcé les paroles fameuses : « Comment ce Renouveau ne pourrait-il être une chance pour l’Église et pour le Monde ? » Avec ce discours, le Renouveau charismatique recevait ses lettres d’approbation. En 1981, Jean-Paul II reprenait ces paroles pour les confirmer.
Le Renouveau charismatique est véritablement une grâce historique, ce n’est pas la première dans l’histoire de l’Église. C’est un don de l’Esprit Saint pour rajeunir l’Église. Aujourd’hui, quarante-deux ans après, il ne s’agit pas de regarder en arrière, mais de prendre acte de l’invitation du pape François pour qu’elle nous pousse à nouveau en avant. Et que nous vivions véritablement ce don de l’Esprit Saint fait à l’Église entière, et que nous répandions ce feu partout. Il me semble que cet appel doit nous stimuler, nous tourner vers l’avenir pour une évangélisation de plus en plus pressante, urgente, dans le monde.

Après ces deux dates, 1967, 1975, que s’est-il passé ? On a assisté véritablement à un rajeunissement de l’Église. Beaucoup plus de prière et de joie. La louange fait partie maintenant de la vie de l’Église : on prie, on chante le Seigneur joyeusement. L’adoration, autant que je me souvienne, n’existait pratiquement plus, sauf dans des lieux dédiés extrêmement rares.

L’adoration a fait sa réapparition dans beaucoup de paroisses, d’églises, de lieux spirituels. Et puis aussi l’annonce de l’Évangile. Comme disait Karl Rahner, il y avait un hiver de l’Église, eh bien, cet hiver a laissé place à un printemps. Des dizaines de millions d’hommes et de femmes à travers le monde ont été convertis, renouvelés dans leur foi, ont découvert l’Église.

Mais en 1975, tu avais accompli déjà tout un chemin. Peux-tu nous confier ce qui fut à l’origine de ta vocation ?

Dans ma famille j’avais reçu une éducation chrétienne. Au début de mes études de médecine, au cours d’un voyage en Italie, au milieu des musées de Florence, le Christ s’est manifesté à moi comme personne vivante, proche et pleine d’amour. Cette rencontre a comblé un désir non formulé que je portais en moi, et demeure fondatrice pour ma vie. Dès lors j’essayais de prier chaque jour, d’aller à la messe en semaine chaque fois que je pouvais. Je désirais devenir un médecin vraiment chrétien et vraiment compétent. Cela m’a beaucoup aidé dans mes études. J’avais fait la connaissance du père Caffarel et j’avais une « école d’oraison » pour des étudiants, chez moi. Je désirais donner ma vie au Seigneur. J’étais pourtant d’un tempérament timide et solitaire.

J’avais rencontré Pierre Goursat, ponctuellement, puis il avait participé à une session de l’école de prière fin 1971, mais je n’avais pas une relation particulière avec lui.

Le Renouveau charismatique est venu me surprendre en février 1972 avec le témoignage d’un couple qui rentrait des États-Unis, Xavier et Brigitte Le Pichon. Nous étions une trentaine de personnes à les écouter, Pierre Goursat était là. Ce fut pour moi une découverte de l’Esprit Saint comme personne vivante. J’avais jusque-là seulement une relation intellectuelle avec Lui. Je lui ai demandé ce jour-là de guider ma vie que je tenais fortement dans mes mains. Ce couple et l’abbé Caffarel ont prié sur chacun de ceux qui l’ont demandé. à la fin du week-end, marqué par une joie extraordinaire, en nous saluant Pierre et moi nous avons reçu un appel à avancer ensemble, alors que rien ne nous rapprochait humainement. Un appel à avancer ensemble vers on ne savait pas quoi. Mais cet appel était clair, c’était évident. Nous nous connaissions vraiment peu. Pierre était seulement venu quelques semaines auparavant participer à l’animation de l’école de prière.

Ne sachant que faire, nous avons commencé à nous rencontrer presque tous les jours pour louer le Seigneur ensemble. Puis au bout de trois mois nous avons commencé un groupe de prière, nous étions cinq. Et des gens sont arrivés spontanément, sans que nous ne disions rien. En novembre, nous étions cinquante. À la Pentecôte 73 nous étions cinq cent. Pierre Goursat, qui était un homme de grande maturité humaine et spirituelle et qui connaissait bien l’Église, voyait bien que des chrétiens seuls ne pouvaient pas tenir. Il voyait aussi combien nous devions aller dans le monde pour annoncer l’amour du Seigneur. Et petit à petit s’est forgée en lui l’idée, qu’il n’avait pas conçue auparavant, que des personnes se réunissent pour annoncer l’amour du Seigneur. C’est comme cela qu’est née la communauté.

Le Renouveau nous est venu des États-Unis, à cause de l’expérience pentecôtiste. Comment la transposition a-t-elle pu se faire à l’Église catholique ?

Il ne faut pas lier obligatoirement les deux dans leur origine. L’expérience du Pentecôtisme remonte au début de l’année 1901. Et il y a eu quelque chose de tout à fait original dans l’Église catholique. L’Esprit Saint est le même, mais il a agi de façon différente. Jean XXIII au moment du concile a demandé de prier pour qu’il y ait une nouvelle Pentecôte sur l’Église, et quelques étudiants catholiques de l’université Duquesne ont pris cet appel au sérieux Ils se sont réunis pour un week-end et ils ont prié avec foi pour qu’il se passe quelque chose, qu’ils soient renouvelés dans leur confirmation. Et la première personne, Patti Gallagher, qui a reçu l’effusion, l’a reçue devant le Saint-Sacrement, et les autres aussi. Donc il y a eu quelque chose de très particulier dans l’Église catholique : une naissance, un jaillissement dans l’Église catholique. Alors bien sûr, ne sachant pas comment faire, ils ont eu ensuite beaucoup de contacts avec des pentecôtistes et des protestants charismatiques, et cela a marqué effectivement le développement de leurs groupes de prière et bientôt de leurs communautés.

Chez nous en France, pays de tradition catholique, ça n’a pas posé de problème d’être charismatique totalement catholique. Pierre Goursat était profondément ancré dans la vie de foi et dans l’Église, moi également. Et donc il était tout simple d’ouvrir d’emblée les personnes qui arrivaient et qui se convertissaient à la prière personnelle silencieuse, à la vie des sacrements, à l’enseignement de l’Église. L’Eucharistie a tout de suite trouvé sa place. On faisait des nuits d’adoration du Saint-Sacrement exposé, ce qui était je dirais presque révolutionnaire dans l’Église en France à ce moment-là.

Nous recevions aussi des protestants : nous avons eu dans notre premier groupe de prière un couple de protestants, Andrée et Paul, qui nous ont donné le témoignage de leur foi vive, une foi à déplacer les montagnes. Cela nous a soutenus, nous a aidés. Ils nous ont vraiment marqués. Pierre de son côté était un homme d’une grande foi. Cette foi est devenue un charisme, pour la susciter chez les autres.

Parmi les autres communautés nouvelles, celle de l’Emmanuel se distingue par un certain nombre de caractéristiques. Comment les définirais-tu ?

Le nom de notre Communauté, « Emmanuel », repose sur la réalité de l’incarnation du Fils de Dieu qui promet : « Je suis avec vous chaque jour jusqu’à la fin du monde. » Cette Parole est source permanente de joie et d’une louange qui fortifie notre foi. Outre la louange, chacun essaie de grandir dans l’amour, dans l’amitié et dans l’intimité du Christ par la prière, l’adoration, les sacrements, la lecture de l’Écriture. Ce contact régulier avec le Christ ouvre notre cœur à la charité pour annoncer l’amour de Dieu où que nous soyons.

Nous sommes une communauté de personnes ordinaires, de tous âges, milieux et états de vie. Nous vivons comme tout un chacun dans le monde, habitons chacun chez soi, travaillons comme tout le monde, mais nous sommes fortement unis et solidaires entre nous pour nous soutenir, nous stimuler. Et surtout pour être témoins dans le monde là où nous sommes de l’amour et de l’Espérance du Christ et l’annoncer. Tout ce que nous entreprenons en communauté, nous le faisons au nom du Christ. Nous ne mettons pas en commun nos biens, mais chacun donne selon ses possibilités et librement une participation financière pour aider à la vie de la communauté, aux missions d’évangélisation et aux services des pauvres.

Certaines communautés ont traversé des crises très douloureuses. C’est sans doute la rançon de toute aventure spirituelle. Aurait-on pu les éviter ? Est-il possible d’en tirer quelques enseignements ?

Toute vie personnelle et familiale a des hauts et des bas, il est normal de passer par des crises, c’est une loi de la vie. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille baisser la garde. À l’Emmanuel nous avons eu la grâce d’avoir un fondateur très humble. Il a toujours cherché à s’effacer, et était d’un grand désintéressement par rapport à lui-même. Nous avons aussi grandement bénéficié de son expérience humaine et spirituelle, avec une grande maturité.
Les règles de prudence nécessaires s’apprennent peu à peu à travers les crises. Pierre nous a fait éviter bien des erreurs. Par exemple Pierre a toujours tenu à ce que soient distingués et séparés les rôles d’autorité et de conseil. Et il a voulu que les frères gardent une grande liberté. L’engagement se prend pour une année, et se renouvelle si l’on veut.

La cause de béatification de Pierre Goursat est en route. Toi qui l’as bien connu et qui as édité ses précieuses Paroles dans un magnifique petit livre  1, peux-tu nous dire en quoi il fut un saint dans le monde d’aujourd’hui ?

Dans un monde compliqué, individualiste et compétitif, Pierre a eu l’audace de proposer une vie de sainteté toute simple : tout faire et vivre avec amour, dans les petites choses de la vie comme dans les grandes. En cela il continue le chemin ouvert par la petite Thérèse. Il y ajoute le soutien de la charité fraternelle : associer prêtres et laïcs dans une communion d’amour témoin de l’amour de Dieu même. Dans le feu de l’Esprit saint qui nous pousse chaque jour à annoncer la joie du salut en Jésus et son amour. De tout cela il a été un modèle original et entraînant, en laïc engagé totalement comme nous dans le monde. Modèle de prière et d’adoration, exemple d’humilité, d’écoute et d’attention aux personnes. Exemple de créativité pour l’évangélisation. Témoin de la foi, une foi humble et brûlante.


Photo : Laurent Landette,modérateur de la communauté de l’Emmanuel, et Martine Catta, cofondatrice, le 4 juin dernier place Saint-Pierre.

  1. Pierre Goursat – Martine Catta, Paroles,éd. de l’Emmanuel, 330 pages, 19 e.