3140-Obamania : joie et craintes - France Catholique
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3140-Obamania : joie et craintes

Abraham Lincoln, John et Bob Kennedy, Martin Luther King ? Tous assassinés... L'événement est si incroyable que l'on ne peut pas ne pas avoir une peur terrible.
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Un tel bonheur est une insulte au temps. L’histoire américaine est pleine de ces mé­téo­­rites, nourrissant un messianisme irrépressible qui ressuscite à chaque mort du Messie. Cette fille qui dans le bus londonien a entendu autour d’elle : « le Messie est arrivé ». Elle dit modestement : « c’est sans doute excessif ». Bien sûr, mais elle a reconnu qu’on se trouve à la limite, au seuil de quelque chose, ce qui est la transcendance. Non qu’il soit le Messie, mais on voudrait y croire. Il le sait lui-même, l’a dit et répété pour couper court à tout nouveau messianisme dont il connaît, de l’intérieur du monde afroaméricain, la force destructrice. Un mouvement messianique serait ce qui contredirait radicalement sa volonté de changement, le retour à une Amérique plus humaine, à l’image idéale que le monde se fait d’elle, qui est tout sauf écrasante.

L’Obamania va à l’en­contre de l’homme et désormais du président élu Obama. Celui-ci a vu le danger. Il n’a pas arrêté, depuis la convention démocrate de Denver de la fin août, de banaliser, de relativiser, d’humaniser. Les attentes sont si immenses qu’il sait ne pas pouvoir donner tout à tous. Il est essentiel qu’on ne se fasse pas des illusions. Tout ne se fera pas en un jour, ni même en un an, ni en quatre (la durée d’un mandat). Tel fut son leitmotiv dans son discours de remerciement devant la foule massée dans le grand parc de Chicago, comme si cette foule allait le prendre pour le faire roi, dans une sorte de marche sur Washington.
Plus on l’idolâtre, plus il devient une icône, et plus il tente les déséquilibrés, ceux qui le prennent ou se prennent véritablement pour le Messie. Certes l’assassinat politique est autre chose qu’un acte de fou isolé. L’Histoire nous apprend l’inverse. Les autorités ont souvent intérêt à présenter les choses ainsi. On sait que la vérité est ailleurs. Qui a tué John Kennedy ? Le feuilleton fait encore recette. On n’a pas manqué de l’évoquer à nouveau maintenant qu’un nouveau Kennedy arrive à la Maison Blanche. Y arrivera-t-il même sain et sauf ? Ces quelque soixante-dix jours qui nous séparent de l’investiture le 20 janvier concentrent le risque maximum. Il en ira de même à chaque minute de son mandat. N’en parler jamais, y penser toujours, comme on disait de la Revanche après 1870.

Nous sommes à l’un de ces instants historiques où tout tient à un homme. Bien sûr il ne peut pas tout faire, tout résoudre. Il peut même très peu. Mais ce petit peu change tout. Et de sa présence ou de son absence dépend le sort du monde. Nous avons le privilège dans une vie de connaître un instant de ce genre, peut-être deux – l’élection de Kennedy c’était il y a presque un demi-siècle ! -, guère plus. Il ne faut pas le laisser échapper.

Cet instant se suffit à lui-même. Tout est accompli. Certes, tout le monde attend des changements à venir, des réformes, des décisions, des mesures, des lois, des accords. Cela viendra ou ne viendra pas. On sera déçu ou au contraire heureux. Forcément un peu des deux. Mais cela ne change rien à la magie du moment, de ce qui vient de se passer. Rien ne changera l’événement qui s’est produit. Il est inscrit dans l’Histoire. Et plus rien ne sera plus pareil après.

Il faudra du temps pour réaliser exactement la portée de l’événement. Un épiphénomène, un feu-follet, une étoile mort-née ? Non, ce qui est arrivé est arrivé. Même si tout doit avorter demain, en un instant, en un éclair, on ne reviendra pas sur le passé. Le 4 novembre 2008 est à jamais une date historique.

Pourquoi est-ce que, en ce jour, comme le 11 sep­tembre 2001, « nous sommes tous des Américains » ? Oui c’est la vérité : alors, comme au­jourd’hui. Entre deux, nous ne nous sommes pas du tout sentis tels, bien au contraire, nous avons renié chaque minute de ces huit années de brousse (Bush).

C’est une magie propre à l’Amérique que nous ne pouvons pas lui enlever, tout antiaméricains que nous souhaitions être. À certains moments privilégiés, l’Amérique est le monde.

Le défi d’Obama est de faire en sorte que ces mi­nutes deviennent des heures, que ces heures deviennent une vie. C’est possible. Tous ceux qui ont réussi le rêve américain en témoignent. Mais leurs parcours ont jusqu’à présent été individuels, quoiqu’ils se comptent pas millions. Ce qu’Obama doit accomplir est de le rendre possible pour tous ceux qui l’ont élu et aussi pour les autres nations qui n’avaient pas à voter mais l’ont quand même plébiscité, non pour lui seul et les Américains mais pour eux-mêmes.

Yves LA MARCK