3097-Lettres de Turquie du Père Santoro - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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3097-Lettres de Turquie du Père Santoro

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Le 5 février 2006, Andrea Santoro, prêtre italien, était assassiné dans l’église de Trabzon, au nord de la Turquie. Ces Lettres de Turquie sont des extraits de sa correspondance et constituent en quelque sorte des épîtres apostoliques : dans un environnement peu accueillant, comment, au jour le jour, témoigner du Christ ? Et nous, où en est notre foi ? Rencontre bouleversante avec un témoin de notre temps !

«Ici, on est seul, et tous vous regardent… on doit être le Christ ! » Cette parole du père Santoro, rappelée par le cardinal Ruini dans sa préface, résume le sens qu’il donnait à sa présence en Turquie. Il disait souvent aussi : « si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruits » (Jn 12,24). Comment ne pas songer à ce jour où, agenouillé en prière dans l’église, le père Santoro meurt en tombant à terre ? En réalité, tout au long de ces Lettres, on le sent prêt à cet ultime sacrifice, non pas qu’il l’ait désiré ni provoqué, mais l’immolation de l’Agneau qu’il contemple et sur laquelle il revient sans cesse, laisse présager une disponibilité intérieure au martyre.

« Les chrétiens subissent des pressions dans tout le Moyen-Orient. Il faut être prêts au martyre, de l’âme comme du corps. Il y a une faiblesse forte et il y a une force faible : la Croix est une faiblesse forte, en effet, Jésus est ressuscité. Nous, que choisissons-nous ? » Plus loin : « Lors de la fête du sacrifice, un animal (en général un agneau) est tué. Une famille m’a demandé : « Vous, vous n’offrez pas de sacrifice ? » J’ai répondu : « Le sacrifice est notre cœur »… « Notre agneau est Jésus. Notre agneau est notre vie unie à la sienne. Notre agneau est d’aimer Dieu avec tout notre cœur, avec tout notre esprit, avec toute notre force et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. » Le père Santoro poursuit sa réflexion dans son journal : « Nous qui croyons dans l’Agneau immolé devrions nous « immoler » chaque jour avec Lui… Nous devrions même accepter d’être tués, mais jamais de tuer. »
Il rappelle qu’au IVe siècle, en Turquie, saint Jean Chrysostome a dit : « Le Christ garde les agneaux. Tant que nous demeurerons agneaux, nous serons vainqueurs, mais si nous devenons des loups, nous serons vaincus » et rajoute « Il en fut ainsi dans cette région du monde où le christianisme s’est flétri. Seul un esprit d’agneau le fera refleurir. Si nous oublions les paroles de Jésus : « Remets ton épée dans le fourreau » et « Aimez vos ennemis », nous aussi allons nous flétrir. »

Le 15 septembre, en la fête de Notre-Dame des Douleurs, alors que l’Évangile relate la prophétie de Syméon à Marie : « Vous-même, un glaive transpercera votre âme », le père Santoro conclut : « Je pense qu’il y a un transpercement que nous ne pouvons éviter, car il est la conséquence naturelle de notre vie auprès du Christ. »

Enfin, lors d’une discussion avec des jeunes, le père Santoro les invite à changer d’attitude : « Tu me refuses et je te respecte ; tu me détestes et je t’aime ; tu ne me veux pas de bien et je continue à t’aimer ! Tu me tues… mais qu’est-ce que la mort ? Quelqu’un doit commencer ! » Après un moment de silence, un jeune : « Quelqu’un doit commencer ? Pourquoi ne commences-tu pas ? » On est en droit d’accueillir sa mort comme ce commencement dont il avait parlé.

Et il est vrai que cette « fin » ne pouvait pas lui sembler inimaginable, étant souvent en butte à toutes sortes de difficultés. « Plusieurs épi­sodes plutôt antipathiques se sont produits » dit-il à un moment. « De retour de Trabzon, j’ai dû affronter de nombreuses épreuves, l’adversité et la souffrance… D’autres lumières sont venues, pour éclairer les ténèbres. Mais c’est surtout le Seigneur, présent dans le tabernacle et à travers sa Parole, qui est mon réconfort » et enfin « Obscurité, humiliation, solitude sont toutefois des choses concrètes qui font mal, comme elles firent « vraiment » mal à Jésus. »
Il est difficile de mesurer sa souffrance mais il va jusqu’à dire : « Cette nuit, je me suis réveillé en me demandant : « Que fais-je ici ? » La phrase de Jean l’évangéliste m’est venue à l’esprit : « Et le Verbe s’est fait chair et il est venu habiter au milieu de nous ». » Il fait sienne une phrase du père Borrmans (expert mondial de l’islam) : « Un chrétien ne peut aller à la rencontre de l’islam qu’avec les mains crucifiées, comme le Christ ».

Avec la crucifixion, c’est également la faiblesse du Christ que le père Santoro contemple et essaie de faire sienne. « Notre petitesse n’est pas l’impuissance mais la force même de Jésus, qui de grand qu’il était s’est fait petit et a choisi des voies inconnues du monde et mystérieuses encore pour nous aujourd’hui » ou encore : « Et moi ? Quels sont mes dons à cette terre ? Lors de la multiplication des pains, Jésus a voulu mettre ses apôtres devant leur impuissance, pour la recueillir, rendre grâce à Dieu et la multiplier. Ainsi la pauvreté devient richesse et l’impuissance devient grâce. » Et il ajoute : « Ce n’est pas toujours facile. Parfois, on a l’impression d’être inutile, ou que Dieu nous a laissé de côté. »

Cette faiblesse constitue un réel programme pour le père Santoro : « Notre avantage à nous, chrétiens, est de croire en un Dieu sans défense, en un Christ qui invite à aimer ses ennemis, à servir pour être les « seigneurs » de la maison, à se faire le dernier pour être le premier, en un Dieu qui attire avec l’amour et ne domine pas avec le pouvoir. C’est un avantage à ne pas perdre ». Il ajoute : « Les chrétiens doivent renouer avec une œuvre de médiation non charnelle, c’est-à-dire détachée de ses intérêts en prouvant par elle-même que la « petitesse », la « faiblesse », la bienveillance, l’humilité, la disponibilité au don et au service de l’autre sont les armes victorieuses et les voies de la paix. »

Ce programme, c’est aussi un appel à la sainteté, qui seule peut permettre au Seigneur d’agir : « Il faut que nous, chrétiens, regardions le Christ et le suivions. Jésus nous l’a dit : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ». Tout passe : seule la sainteté travers les siècles et éclaire le monde. Seul l’amour demeure. Il s’agit en définitive de redevenir tout simplement chrétiens. » Puisque cela semble si simple…

Pour le père Santoro, la peur n’a pas lieu d’être pour des chrétiens, même si, nous l’avons vu, il a dû l’expérimenter à de nombreuses
reprises. « Lors d’une rencontre à Rome, beaucoup de fidèles ont exprimé une grande peur des musulmans. Je leur ai répondu que Jésus nous a enseigné de n’avoir peur de rien. Une seule chose est à craindre : ne pas être chrétien, ou être, comme disait Jésus, un « sel sans saveur », une lumière éteinte ou du levain sans vie. »

Quant aux musulmans, le père Santoro les respectait et les aimait et cela ressort très bien de ces Lettres. C’est justement parce qu’il les aime qu’il veut leur donner ce trésor qu’il est venu leur apporter, le Christ : « Notre cœur était gonflé de joie : le Jésus aux bras ouverts sur la Croix, qui était couché dans le tombeau, qui ressuscitait avec les plaies lumineuses, n’était pas le nôtre, il était là pour tous, il entrait dans chaque maison, il recueillait le cœur de ce peuple si simple et si plein de Dieu, de ces enfants si sérieux, si transparents et si semblables à Lui dans la pauvreté, il répandait la plénitude de sa mission de Fils et de Rédempteur, il semait quelque chose qui, si Dieu le veut, germera avec le temps » et il ajoute : « Nous lui avons seulement prêté nos mains pour qu’il soit présent à travers la liturgie, et nos corps pour qu’il soit visible dans son humanité. »

Le père Santoro se réjouit car, dit-il : « Beau­coup de musulmans sont venus visiter l’église, veulent voir, savoir, comprendre, comparer. Beaucoup veulent parler, ouvrir leur cœur, trouver un soutien. Qui les accueillera ? Je repense souvent à mon vieux prêtre qui parlait de la « liturgie de la porte » : ouvrir, sourire, saluer, répondre. »

Il cherche la rencontre mais elle est ordonnée à l’annonce. Comme le dit Annie Laurent dans l’avant-propos, « Le père Santoro est un homme d’ouverture, aimant le pays et les habitants auprès desquels il est envoyé, il ne fait pas du dialogue interreligieux une fin en soi mais une manière d’être, ce qui est tout différent, car son cœur brûle du désir de faire connaître aux musulmans la vérité sur Dieu, révélée en Jésus-Christ ». Il cite le témoignage de Ali, un musulman : « J’ai lu l’Évangile avec beaucoup d’attention et je me suis rapproché de Jésus. J’ai compris que l’Évan­gile est basé sur l’amour, le Coran sur la force… Le christianisme me plaît et m’attire. Dieu, dans le christianisme, est très proche de l’homme : il l’aime. La foi chrétienne et la foi musulmane, en ce sens, ne sont pas compatibles entre elles ».

Pour le père Santoro, l’évangélisation commence par notre propre conversion. Lors du colloque de l’AED du 4 octobre dernier, sur le thème A-t-on encore le droit d’évangéliser ?, Mgr Vingt-Trois ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait : « Notre capacité d’évangéliser se définit d’abord par l’authenticité de notre propre vie chrétienne ». Le père Santoro poursuit donc : « Quelqu’un dira alors : pourquoi être ici ? Pas pour convertir, justement, mais pour se convertir, en changeant notre cœur et nos pensées, pour retrouver ce que nous avons jeté et enseveli sous la cendre » et il ajoute : « Et puis pour offrir un Jésus dans sa plénitude : pas seulement le Jésus prophète, messie et homme de Dieu tel que le connaît déjà le Coran, mais le Jésus Fils de Dieu qui a fait de nous des fils. »

Les chrétiens ont un devoir de moyens, se convertir et témoigner de l’amour du Christ, mais pas de résultats. Après tout, la foi est un don et c’est Dieu seul qui peut la donner. Le père Santoro à vivre « en se remettant à une présence simple, humble et limpide : à un « être ensemble » avant tout, en portant le Christ dans notre cœur. Puis, si Lui le veut, il attirera quelqu’un à Lui : celui qu’il voudra, comme il le voudra et quand il le voudra. » Sans doute pouvons-nous et devons-nous hâter les temps mais le Seigneur reste le maître du temps !

Le témoignage des chrétiens serait d’autant plus fort si l’unité brisée étant enfin retrouvée, et le père Santoro est aussi là pour créer des ponts avec nos frères orthodoxes. Il raconte sa ren­contre avec un moine orthodoxe qui lui dit : « Jésus nous a demandé de nous aimer et de ne faire « qu’un » ; au contraire, nous, chrétiens, nous nous sommes divisés et regardés de travers. Lui nous a alors frappés pour nous corriger, il nous a soumis à l’oppression pour nous inviter à la conversion. Nous devons changer. »

Le père Santoro ajoute : « Au Moyen-Orient, les péchés de l’Eglise se sont manifestés sur un mode dramatique et ses douleurs et ses souf­frances ont eu des caractéristiques particulières. Au Moyen-orient, Satan s’acharne à détruire et le berceau dans lequel nous avons été engendrés, et notre fidélité à la mémoire des origines », ce que le cardinal Ruini confirme : « Don Andrea ressentait fortement les racines de la première Eglise apostolique née au Moyen-Orient et il ne se lassait pas de rappeler combien l’Église d’Occident a be­soin de boire à cette source. À la lumière de cette conviction, il considérait les relations avec le Moyen-Orient comme une des principales voies pour réévangéliser notre Occident. » D’un seul coup, nous sommes d’autant plus concernés : il ne s’agit pas simplement d’aider nos frères chrétiens qui souffrent mais c’est également de l’avenir de l’Église en Occident qu’il s’agit !

Pour finir, quelques pistes concrètes proposées par le père Santoro : tout d’abord, croire aux miracles ! « Au fond, toute l’his­toire de la Bible est un miracle permanent de Dieu. L’Évangile est le miracle de la grâce qui illumine, réconcilie et convertit. Il nous faut lui demander ces miracles, il faut en être convaincus, il faut compter sur eux et non sur nos maigres res­sources » et il ajoute : « Il faut des miracles en Turquie, au Moyen-Orient, en Europe ».
Plus concrètement encore : « Dans cette ré­gion du Moyen-Orient, nous avons besoin de gens qui souhaitent simplement être chrétiens au milieu de la population, en menant une vie pour moitié « contemplative », pour l’autre moitié « au seuil de la porte », c’est-à-dire en accueillant ceux qui viennent et en allant à la rencontre de ceux qui ne viennent pas. »

Pour conclure, ces Lettres de Turquie sont à la fois Les actes des apôtres réactualisés et un vibrant appel à la mission. Tout au long de cette correspondance, il demande : « qui viendra ? » Mais avant tout, son témoignage est une action de grâce à Dieu qui « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). ■

« Lettres de Turquie », Andrea Santoro, éditions Sarment/Jubilé 2007, 250 pages, 21 euros

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